Deux belles xérampélines orangées nommées à tort Russula barleae Quél.

Classé dans : Champignon vedette | 3
par Yves Lamoureux.
Adaptation et mise en page par Jacques Landry à partir d’un texte publié originalement dans les pages Flickr de l’auteur.


Au Québec, deux belles russules à chapeau orangé, brunissant au contact et à odeur de crustacés cuits, ont longtemps été nommées à tort “Russula barlae Quél.”.

À ce jour, l’autorité mondiale en xérampélines (voir l’encadré : QU’EST-CE QU’UNE XÉRAMPÉLINE? ), Slavomír Adamčík, tout comme la majorité des auteurs européens modernes (Mauro Sarnari, Bart Buyck, etc.), considère Russula barlae comme un nomen dubium (espèce fantôme, en quelque sorte), le taxon ayant été confondu avec d’autres espèces du même groupe.

Par ailleurs, Index Fungorum désigne aujourd’hui le taxon « Russula barlae » comme un simple synonyme de «R. xerampelina ss. stricto». Ce dernier taxon est également mal utilisé au Québec, mais on y reviendra dans un autre texte, car c’est une tout autre histoire…

À l’occasion de sa visite au Québec, en 2006, Bart Buyck a vu des photos de nos deux xérampélines orangées. Lors d’une projection de diapositives des russules de mon fongarium, il a été très clair: « En Europe, Russula barlae n’est pas une espèce de cette couleur. Tes deux espèces sont endémiques et non décrites. Je les connais toutes deux pour les avoir vues aux États-Unis. Adamčík et moi travaillons sur ce groupe actuellement ».

QU’EST-CE QU’UNE XÉRAMPÉLINE?

Il s’agit d’une espèce du genre Russula, sous-genre Russula (lamellules rares ou absentes), section Xerampelinae. Sont regroupées ici les espèces qui présentent ces trois caractères:

  • elles brunissent au toucher ou avec l’âge (sans rougir ni noircir),
  • elles dégagent une odeur plutôt désagréable et habituellement forte à maturité, dite de “crevettes cuites” ou de triméthylamine (évidente après séchage);
  • elles verdissent au contact du sulfate ferreux.

Leur sporée de couleur ocre jaunâtre (E-F, 3a-4a) et leur saveur douceâtre confirment leur appartenance à ce groupe.

De plus, les xérampélines que nous connaissons n’ont pas d’hyphes incrustées, ni de pilocystides devenant noirâtres dans la sulfovanilline. Leur cuticule piléique se compose plutôt de cellules difformes, et d’autres plus longues (soies), à bout arrondi ou pointu. Les deux types de cellules sont présentes en quantité plus ou moins abondante selon les espèces. C’est pourquoi il est fréquent de trouver des basidiomes à chapeau pruineux ou mat, même s’ils peuvent être viscidules par temps humide. Cette variabilité de la texture du chapeau varie selon le climat. Elle s’observe à l’oeil nu, plus aisément avec l’expérience.

 

Le mot latin « xerampelina » signifie « de la couleur des feuilles de vigne mortes ». Le dictionnaire Urban Dictionnary (latin-anglais) définit « xerampelinae» ainsi: “dark red garnments”.

Le nom français « Russule feuille-morte » a été utilisé par le passé pour désigner toutes les espèces de xérampélines, sans égard à leurs couleurs, leur écologie et leurs caractères microscopiques. Cela ne pouvait évidemment que semer la confusion.

Pour les Américains, il s’agit des “Shrimp Russulas”.

Selon Bart Buyck (comm. orale, 2006), une cinquantaine d’espèces seraient présentes sur l’ensemble du territoire de l’Amérique du Nord, cela au vu et au su des premiers résultats obtenus à partir d’analyse génétique de nombreuses collections américaines.

Au Québec, à l’heure actuelle, on peut facilement distinguer une dizaine d’espèces (ou « complexes d’espèces »), en se basant uniquement sur les caractères observables à l’oeil nu et sur l’écologie des espèces.

Deux autres espèces peuvent passer pour des xérampélines sur le terrain. Il s’agit de Russula compacta et de R. crassotunicata, brunissant au toucher et à forte odeur poissonneuse. Pourtant, ces dernières ne se classent pas dans ce groupe. Leur sporée blanche et leurs caractères microscopiques les rangent ailleurs.

 

Comme cela me prend trois ans pour publier une espèce à l’heure actuelle, et que Bart Buyck compte décrire ces deux russules éventuellement, je préfère vous les présenter ici :  Russula ameribarlae Y. Lamoureux nom. prov. / Russule fausse-barlae et Russula aurantiobarlae Y. Lamoureux nom. prov. / Russule mandarine

Russula ameribarlae Y. Lamoureux nom. prov. / Russule fausse-barlae

 

Russula ameribarlae Y. Lamoureux nom. prov. / Russule fausse-barlae
Russula ameribarlae Y. Lamoureux nom. prov. / Russule fausse-barlae

Étymologie:

Nom latin : ameri-barlae, d’Amérique, de Barla, (le taxon «Russula barlae» tel qu’interprété en Amérique).
Nom français : fausse-barlae, fausse russule de Barla (qui n’est pas l’espèce décrite en l’honneur de Barla).

= Russula barlae ss. plur. amer. auctt. p. p.
Russula barlae Quél. (= R. xerampelina ss. stricto, = R. erythropoda)

Collection Lamoureux 3276 (fongarium CMMF).
Contrecoeur (Montérégie), 3 septembre 1998
Habitat : dans une vieille forêt de pins blancs, sur sol sablonneux et bien drainé, en basse altitude.


On reconnaît Russula ameribarlae par cette combinaison de caractères:

  • chapeau jaune orangé à orange, vite sec et mat, souvent pruineux, subvelouté;
  • pied blanc, brunissant au contact;
  • saveur douce;
  • odeur de crevettes cuites (triméthylamine);
  • sporée ocrée;
  • réaction verdâtre au sulfate ferreux;
  • habitat dans les pinèdes sèches.

 R. ameribarlae est commune et répandue dans les pinèdes blanches de la rive sud du Saint-Laurent, notamment dans la région de Contrecoeur (Sorel). On la trouve surtout au mois d’août. Cependant, elle semble plus rare ailleurs.

Il n’est pas nécessaire de décrire Russula ameribarlae plus en détail. Les caractères indiqués dans la clé ci-dessous, ajoutés à ceux listés ci-haut ainsi qu’à ceux décrits dans la définition des xérampélines (voir l’encadré ci-dessus), établissent un diagnose bien assez précise pour reconnaître l’espèces traitées, du moins au Québec.

À mon avis, R. ameribarlae ne peut être confondue qu’avec R. aurantiobarlae, qui est plus rare, ou à la limite, vue de haut, avec d’autres russules orangées ne brunissant pas au toucher, et n’appartenant pas aux Xerampelinae.

Russula aurantiobarlae Y. Lamoureux nom. prov. / Russule mandarine

Russula aurantiobarlae Y. Lamoureux nom. prov. / Russule mandarine
Russula aurantiobarlae Y. Lamoureux nom. prov. / Russule mandarine


Étymologie:

Nom latin : aurantio-barlae, de couleur orangée, en l’honneur de Barla.
Nom français : mandarine, qui a la couleur de la mandarine (orange vif).

= Russula barlae ss. plur. amer. auctt. p. p.
Russula barlae Quél. (= R. xerampelina ss. stricto, = R. erythropoda).

Collection Lamoureux 3913 (fongarium CMMF).
Bonsecours (Estrie), 24 août 2005
Habitat : dans une plantation d’épinettes blanches d’une trentaine d’années, sur sol humide et mal drainé, en montagne.


Russula aurantiobarlae peut être reconnue par les caractères suivants:

  • chapeau jaune orangé à orange rougeâtre vif, viscidule, lisse, entièrement ruguleux, parfois pruineux;
  • pied et chair brunissant au contact;
  • saveur douce;
  • odeur de crevettes cuites (triméthylamine);
  • sporée ocrée;
  • réaction verdâtre au sulfate ferreux;
  • habitat dans les forêts de conifères, en terrain humide.

Cette espèce, lorsque vue du dessus en forêt, peut facilement être confondue avec R. decolorans s. l., et avec la forme orangée de Russula paludosa. Toutefois, le brunissement du pied et l’odeur poissonneuse nous ramènent rapidement dans le “bon chemin”, celui des xérampélines. De couleur parfois semblable, R. paludosa diffère entre autres par son pied immuable au grattage. Quant à R. decolorans s. l., on le distingue par son grisonnement et par l’absence d’odeur.

À cause de la texture de sa cuticule piléique, viscidule et non mate, on s’attendrait à trouver des pilocystides SV+ chez R. aurantiobarlae (cette combinaison de caractères va souvent de pair). Toutefois, ce type de pilocystides est absent. Le revêtement du chapeau comprend plutôt de courtes cellules difformes et de longues hyphes à bout arrondi.

Russula ameribarlae diffère de R. aurantiobarlae par son chapeau mat ou velouté, sa cuticule piléique comportant beaucoup d’hyphes effilées (soies), et par sa venue sur sol très bien drainé. De plus, la cuticule de R. ameribarlae est peu détachable de la chair, contrairement à celle de R. aurantiobarlae, qui se pèle facilement presque jusqu’à mi-rayon. J’ajouterai toutefois qu’il faut beaucoup d’expérience pour observer cette distinction correctement.

La clé ci-dessous peut permettre de distinguer les deux xérampélines orangées que l’on trouve au Québec.

CLÉ DES XÉRAMPÉLINES À CHAPEAU ORANGÉ AU QUÉBEC

 

1a- Chapeau viscidule seulement par temps pluvieux, vite sec et mat, subvelouté, non ruguleux, jaune orangé à orange; espèce commune en plaine, sur sol sec et sablonneux, avec le pin blanc, dans les pinèdes pures ou dans les pinèdes à chêne rouge. Occasionnel…

Russula ameribarlae Y. Lamoureux nom. prov.

1b- Chapeau longtemps viscidule, lisse, entièrement ruguleux, ni mat ni velouté, jaune orangé à orange rougeâtre vif; espèce plutôt montagneuse, sur sol humide, parfois parmi les sphaignes, dans les forêts mélangées d’épinettes et de sapins. Parfois dans les plantations. Plutôt rare…

Russula aurantiobarlae Y. Lamoureux nom. prov.

 

 

Bonne russulologie!

REMERCIEMENTS : Ma gratitude à Louise Rocheleau pour sa participation à la rédaction du texte. Mes remerciements à Bart Buyck pour avoir confirmé l’unicité des deux espèces traitées ici. Également merci à Jacques Landry et Roland Labbé pour m’avoir récemment fourni des tirés-à-part pertinents.

 

OUVRAGES CONSULTÉS

 

ADAMČÍK, S. & K. MARHOLD, 2000. «Taxonomy of the Russula xerampelina group. I. Morphometric study of the Russula xerampelina group in Slovakia.» Mycotaxon, 76: 463-479.

ADAMČÍK, S. & K. MARHOLD, 2002. «Taxonomy of the Russula xerampelina group. Part 2. Taxonomic and nomenclatural study of Russula xerampelina and R. erythropoda.» Mycotaxon, 82: 241-267.

ADAMČÍK, S. & B. BUYCK, 2010. «Re-instatement of Russula levyana Murrill as a good and distinct American species of Russula section Xerampelinae.» Cryptogamie, Mycologie, 31: 119-135.

ADAMČÍK, S. & B. BUYCK, 2011. «The species of Russula subsection Xerampelinae described by C. H. Peck and Miss G. S. Burlingham.» Cryptogamie, Mycologie, 32: 63-81.

BUYCK, B., S. ADAMČÍK & D. P. LEWIS, 2008. « Russula section Xerampelinae in Texas.» Cryptogamie, Mycologie, 29: 121-128.

BON, M., 1988. «Clé monographique des russules d’Europe.» Doc. Mycol., 18: 1-120.

DESPRÉS, J., Y. LAMOUREUX, R. BOYER, R. ARCHAMBAULT et A. JEAN. 2002. «Mille et un champignons du Québec.» [document électronique]. Montréal, Cercle des mycologues de Montréal, cédérom.

KIBBY, G. & R. FATTO, 1990. «Keys to the species of Russula in northeastern North America.» Kibby-Fatto Enterprises, Somerville.

KNUDSEN, R. & J. VESTERHOLT (Éd.), 2008. «Funga nordica. Agaricoid, boletoid and cyphelloid genera». Nordswamp, Copenhagen.

KRÄNZLIN, F., 2005. «Champignons de Suisse. Tome 6. Russulaceae. Lactaires, russules.» Mykologia, Lucerne.

LAMOUREUX, Y., 2013 (20e éd.). «Fongarium de Yves Lamoureux et du Cercle des mycologues de Montréal p. p.» Liste des espèces herborisées. Yves Lamoureux et Cercle des mycologues de Montréal, Saint-Alphonse-Rodriguez, non publié.

MARCHAND, A., 1977. «Champignons du Nord et du Midi. Tome 5. Les russules.» Soc. Mycol. Pyrénées Méditerranéennes, Perpignan.

MARSTAD, P., 2004. «Russula in the Nordic countries.» Publié par l’auteur, Tønsberg.

PHILLIPS, R., 1991. «Mushrooms of North America.» Little, Brown & Co, Toronto.

ROMAGNESI, H., 1967. «Les russules d’Europe et d’Afrique du Nord.» Bordas, Paris.

SARNARI, M., 1998-2005. «Monographia illustrata del genere Russula in Europa.» Associazione Mycologici Bresadola, Trento. (En deux tomes.)

SHAFFER, R. L., 1970. «Notes on subsection Crassotunicatinae of and other species of Russula.» Lloydia, 33: 49-96.

THIERS, H. D., 1997. The Agaricales (gilled fungi) of California. 9. Russulaceae I. Russula. Mad River Press, Eureka.

 

Print Friendly, PDF & Email

3 Responses

  1. Deux belles xérampélines orang&ea...

    […] par Yves Lamoureux.Adaptation et mise en page par Jacques Landry à partir d’un texte publié originalement dans les pages Flickr de l’auteur. Au Québec, deux belles russules à chapeau orangé, brunissant au contact et à odeur de crustacés cuits, ont longtemps été nommées à tort “Russula barlae Quél.”. … Comme cela me prend trois ans pour publier une espèce à l’heure actuelle, et que Bart Buyck compte décrire ces deux russules éventuellement, je préfère vous les présenter ici : Russula ameribarlae Y. Lamoureux nom. prov. / Russule fausse-barlae et Russula aurantiobarlae Y. Lamoureux nom. prov. / Russule mandarine  […]

Laisser un commentaire