À la recherche du dolipore

Classé dans : Microscopie | 3

 


 

par Guy Fortin avec la collaboration de Johanne Paquin.

 

Tous les [simple_tooltip content=’Les hyménomycètes sont les basidiomycètes qui exposent leur hyménium à l’air libre lorsqu’ils sont rendus à maturité.’]Hyménomycètes[/simple_tooltip] sont composés d’hyphes. Les hyphes sont de longs tubes caractérisés, la plupart du temps, par la présence à intervalles variés de septum déterminant des sections plus ou moins longues appelées « articles ». Toutes les cellules qu’on observe au microscope, et ce, dans toutes les parties des champignons (basides, cystides, hyphes de toute nature) sont des modifications spécialisées des mêmes hyphes basales. Celles-ci portent le nom d’hyphes végétatives dans les mycéliums et d’hyphes génératrices dans les sporophores.

Les septa sont formés par une extension localisée de la couche interne de la paroi de l’hyphe vers le centre de celle-ci, à la manière d’un diaphragme d’appareil photo qui se ferme. Dans de nombreux cas, les septa sont incomplets et possèdent un ou plusieurs pores qui restent ouverts pendant la majorité de la période de croissance de l’hyphe, permettant le libre passage du cytoplasme entre les articles adjacents.

Les septa ont plusieurs fonctions : ils servent à renforcer et stabiliser ces longs tubes que sont les hyphes et servent aussi de protection au mycélium. En cas de brisure d’une hyphe, ils se ferment et isolent l’article brisé du reste de l’hyphe, protégeant celle-ci du milieu extérieur. Enfin, en isolant les articles du reste de l’hyphe, ils permettent la différenciation et la spécialisation des articles et leur transformation en hyphes modifiées.

 

Il existe plusieurs types de septa.

En général, les zygomycètes n’ont pas de septa, mais parfois des septa complètement clos peuvent se former pour isoler de vieilles sections ou des sections endommagées du mycélium. (Fig. 1-A).

Les ascomycètes ont des septa perforés dont le pore peut être ouvert ou fermé par un corps membraneux composé de protéines appelé « corps de Woronin » (Fig. 1-B). Le pore des ascomycètes est relativement grand (0,05 à 0,5 µm) et permet le passage des organites cytoplasmiques et même des noyaux. Après qu’un pore a été obstrué par un corps de Woronin, il ne retrouve jamais sa perméabilité. La croissance de l’hyphe peut quand même se poursuivre à partir d’un nouvel apex formé derrière l’article endommagé ou d’un nouvel apex qui croît à l’intérieur de l’article endommagé à partir du septum. Les septa des ascomycètes sont aussi caractérisés par l’absence de parenthésome (voir ce terme plus loin).

Mais le plus complexe des septa est celui que possèdent les basidiomycètes (Fig. 1-C).

Fig. 1
Fig. 1 Quelques types de septa et de pores

 

 

Les basidiomycètes ont des septa qui divisent l’hyphe en articles. Ces septa possèdent un pore central relativement étroit (100-150 nm) ayant la forme d’un beignet, appelé dolipore (dolium = tonneau), qui peut se fermer complètement ou s’ouvrir et servir de filtre. Au microscope optique, le dolipore apparaît comme un petit bouton central au septum. Dans des conditions favorables, le pore lui-même peut-être observé (Fig. 2). Grâce à ce dolipore, il existe une continuité entre les articles qui permet au cytoplasme, aux noyaux et aux mitochondries de [simple_tooltip content=’Dans certains cas, le dolipore et le parenthésome entravent la migration des noyaux dans une hyphe en croissance et une structure spéciale appelée « anse ou boucle d’anastomose » doit être formée pour permettre la migration des noyaux.’] migrer d’un article à l’autre le long de l’hyphe.[/simple_tooltip]

C’est la présence des « septa-dolipores » qui différentie les articles des hyphes et les cellules des plantes, lesquelles sont isolées les unes des autres et autonomes. Pour marquer cette différence, il serait préférable, si on veut utiliser le mot cellule, d’appeler les articles des hyphes « cellules hyphales » plutôt que simplement « cellules ».

À une certaine distance de chaque côté du dolipore se trouve une structure, la plupart du temps perforée, qui ressemble à une paire de parenthèses, d’où son nom, parenthésome. Le parenthésome provient du réticulum endoplasmique et serait une structure ancestrale au dolipore; il assurerait la continuité cytoplasmique tout en bloquant le passage aux organites majeurs. Les dolipores et les parenthésomes agissent ensemble comme un tamis dans le cytoplasme.

Chez les basidiomycètes, les septa seraient sélectivement dégradés lorsque commence la formation des basidiomes. Ceci permettrait la redistribution de la masse des matériaux nécessaires à la formation de ces structures complexes que sont les sporophores.

L’observation du dolipore au microscope optique a été grandement facilitée suite à l’application des propriétés du « Sodium Dodécyl Sulfate » (SDS) sur les basidiomycètes, par [simple_tooltip content=’Les propriétés du Sodium Dodécyl Sulfate ont été découvertes par un élève de H. Clémençon, Michel Monod, alors qu’il effectuait des recherches sur les dermatomycoses.’]H. Clémençon[/simple_tooltip] . Le SDS est un détergent puissant qui, dilué dans le rouge Congo (rouge Congo-SDS), colore sélectivement certaines parties des hyphes, dont la paroi et le dolipore, sans trop colorer le cytoplasme. Le parenthésome n’est pas visible au microscope optique.

Les photographies qui suivent montrent des septa et des dolipores. Les préparations ont été colorées au rouge Congo-SDS et observées en immersion à 1000x.

Fig. 2 Amanita amerirubescens, dolipore en forme de beignet. On peut apercevoir le pore entrouvert.
Fig. 2 Amanita amerirubescens, dolipore en forme de beignet. On peut apercevoir le pore entrouvert.
Fig. 3 Sebacina concrescens, dolipore au centre du septum
Fig. 3 Sebacina concrescens, dolipore au centre du septum
Fig.4 Sebacina concrescens, quelques septa, certains sont complets, d’autres en voie de dégradation. La dégradation des septa permet le transport rapide des matériaux nécessaires à la formation des basidiomes.
Fig.4 Sebacina concrescens, quelques septa, certains sont complets, d’autres en voie de dégradation. La dégradation des septa permet le transport rapide des matériaux nécessaires à la formation des basidiomes.
Fig. 5 Cortinarius uliginosus, boucle d’anastomose, les deux dolipores permettent la migration des noyaux.
Fig. 5 Cortinarius uliginosus, boucle d’anastomose, les deux dolipores permettent la migration des noyaux.

 

 

 

Bibliographie

  1. Clémençon, H. (2012). Cytology and Plectology of the Hymenomycetes (2e éd.). Stuttgart: J. Cramer.
  2. Clémençon, H. (1998 ). Observing the Dolipore with the Light Microscope. Inoculum. Suppl. to Mycologia 49, April.
  3. Deacon, J. (2006). Fungal Biology (4e éd.). Blackwell Publishing Ltd
  4. Isaac, S. (1999). How and why do many fungal hyphae form septa? Mycologist (Mycology Answers ) Volume 13, Part 2.
  5. Moore, D., Robson, G., Trinci, T. (2011). 21st Century Guidebook to Fungi. Cambridge University Press, New York
  6. Webster, J., Weber, R. (2007). Introduction to Fungi. (3e éd.). Cambridge University Press.

Les photographies et dessins sont de l’auteur

 

Merci à Roland Labbé pour sa lecture critique

* Ce texte est paru dans Le Boletin de novembre 2014 Volume 61 Numéro 4

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3 Responses

  1. Alain Victor

    C’est par des articles comme celui-ci que nous nous apercevons qu’en fait, on ne voit pas grand-chose du champignon que nous cueillons. Qui pourrait se douter de la vie complexe des éléments microscopiques qui s’activent de façon ordonnée pour produire ces merveilles de la nature que sont les champignons. Lecture particulièrement instructive.

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