L’Amanite dévoilée

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par Guy Fortin et Johanne Paquin

Ce texte est paru dans le Boletin de avril 2015 Volume 62 Numéro 2.
Les mots en caractères gras apparaissent au glossaire qui suit le texte

Les Amanites sont parmi les plus beaux de nos champignons.

Leur stature élancée, leurs couleurs variées, leur volve et leur anneau, en font un genre de champignons que nous arrivons rapidement à identifier.

Leur développement et leur étude microscopique comportent des particularités qui les rendent encore plus intéressantes.

Le texte qui suit présente quelques-unes de ces particularités.

La genèse

Dans le mycélium se forme un nodule composé d’une concentration dense d’hyphes génératrices. Ce nodule peut croître considérablement et atteindre quelques centimètres de diamètre, il prend alors le nom de bulbe. À ce moment, le bulbe est formé d‘hyphes génératrices fortement emmêlées, densément compactées, et de plusieurs terminaisons hyphales turgescentes rappelant les acrophysalides. Sa couche externe se différentie en voile général et est composée d’hyphes gonflées d’eau qui protègent le contenu de la dessiccation.

Progressivement, le contenu du bulbe se transforme par le développement des éléments de la plupart des organes essentiels du futur basidiome et prend le nom de primordium (Fig. 1). On l’appelle aussi parfois «‍­ œuf ». Le primordium, ainsi protégé par sa « coquille » (c.-à-d. le voile général), ne se développera que lorsque les conditions ambiantes seront propices à la maturation définitive du basidiome et à la sporulation (Fig. 2).

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Fig. 1.  Primordium d’une amanite, avant l’expansion du basidiome. 
© Guy Fortin et Johanne Paquin, 2015

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Fig. 2. Coupe transversale du primordium de la fig. 1. Le basidiome est presque complet. La couche externe est le voile général. Il protège le basidiome jusqu’au début de son expansion. 
© Guy Fortin et Johanne Paquin, 2015

Le développement schizohyménial

Les Amanita ont un type de développement de leurs lames qui leur est propre. Au tout début du développement, dans le tissu du bulbe, au niveau de la région qui deviendra l’hyménium, se forme une zone d’hyphes presque parallèles dont une partie disparaîtra pendant le développement. Dans cette région apparaissent de nouvelles hyphes plus ou moins horizontales qui prennent une forme de palissade, ce sont les futures basides.

Puis, avec la croissance, les hyphes situées dans la région de formation des palissades dégénèrent par apoptose et libèrent un espace entre les palissades de basides qui devient l’espace interlamellaire.

La région comprise entre la base de deux palissades est la future trame lamellaire. À ce stade du développement, elle est de forme régulière. Ce n’est que plus tard que des acrophysalides divergentes apparaîtront pour former une trame lamellaire bilatérale.

Le tissu qui est situé au-dessus des lames deviendra le contexte du jeune pileus et celui qui est situé sous les lames formera le contexte du voile partiel ou les chinures couvrant le stipe du basidiome mature.

Ce type de développement est appelé schizohyménial et est probablement spécifique au genre Amanita (Fig. 3).

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Fig. 3.  Développement schizohyménial du basidiome dans le genre Amanita.
A : la zone entre les futures lames est formée d’hyphes qui vont disparaître par apoptose. Ici, elles sont colorées en rose. B : de nouvelles hyphes plus ou moins horizontales (en noir) se développent dans cette zone. C : deux palissades adjacentes de futures basides se forment. D : après l’apoptose des hyphes, l’espace interlamellaire est libre.  
© Guy Fortin et Johanne Paquin, 2015

À ce moment du développement, le tissu situé entre la base de deux palissades de basides est formé d’hyphes presque parallèles et forme une trame lamellaire d’abord régulière. Des acrophysalides divergentes apparaîtront plus tard et la trame lamellaire deviendra bilatérale divergente (Fig. 5). – D’après Clémençon 2012, redessiné et modifié.

Les acrophysalides

Une autre particularité spécifique au genre Amanita est la suivante: au microscope optique, une coupe verticale mince du stipe montre toujours des articles terminaux, turgescents, alignés verticalement ayant la forme d’un bâton de baseball. Ces hyphes peuvent se présenter en chaînettes, mais sont le plus souvent solitaires. On les appelle acrophysalides. Un tel contexte est caractéristique de la famille Amanitaceae et est si persistant et unique que sa présence peut être observée en microscopie par l’examen du contenu gastrique d’une personne intoxiquée par ce champignon, et confirmer l’intoxication par une amanite (Fig.4 )

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Fig. 4.  Acrophysalides du stipe. À gauche, Amanita rhacopus Y. Lamoureux nom. prov.  À droite,  Amanita citrina.
© Guy Fortin et Johanne Paquin, 2015

La trame lamellaire bilatérale divergente

Encore une caractéristique des champignons de la famille Amanitaceae (mais ceci n’est pas unique à cette famille) : lorsqu’ils sont à maturité, leur trame lamellaire, vue en coupe transversale, a un aspect particulier. Si, sur cette coupe, on trace une ligne au centre de la lame allant de la base à l’apex, chaque côté, de part et d’autre de cette ligne, est l’image en miroir de l’autre et est formé d’hyphes qui se courbent vers l’extérieur. Cette structure est appelée trame bilatérale divergente (Fig. 5).

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Fig. 5. Amanita citrina. Trame lamellaire bilatérale divergente.  
© Guy Fortin et Johanne Paquin, 2015

L’arête lamellaire

Enfin, une particularité des Amanita qui, cette fois, est une hypothèse avancée par le Dr. Tulloss, concerne la structure et la fonction de leur arête lamellaire, c’est-à-dire l’extrémité distale des lames.

Souvent, chez les champignons agaricoïdes, on trouve, au niveau de l’arête lamellaire, des cellules stériles qu’on appelle « cheilocystides ». Une cheilocystide se définit comme étant un article terminal stérile, provenant de la trame lamellaire d’un champignon, qu’on ne retrouve uniquement que sur l’arête lamellaire de ce champignon et qui est différent des autres articles trouvés sur la même arête lamellaire (Fig. 6).

 

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Fig. 6.  Agaricus bisporus; cheilocystides en faisceaux sur l’arête lamellaire. 
© Guy Fortin et Johanne Paquin, 2015

Les Amanita feraient exception. L’hypothèse du Dr.Tullos veut que ces cellules qu’on retrouve sur leur arête lamellaire ne soient pas des cheilocystides. Ce serait des articles non terminaux, qui ne proviendraient pas de la trame lamellaire, et qui formeraient des faisceaux d’hyphes étroitement compactées en une bande continue et uniforme à la manière d’un câble, disposés le long de l’arête lamellaire (Fig. 7). Ces articles joueraient un rôle important dans le développement schizohyménial et l’expansion du basidiome des Amanita.

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Fig. 7. Amanita praecox Y. Lamoureux nom. prov.; apex de la trame lamellaire. Haut, l’amas de cellules de l’arête s’est détaché pendant le montage. Bas, l’apex est intact. 
© Guy Fortin et Johanne Paquin, 2015
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Fig. 8.  Amanita flavoconia. Cellules globuleuses de l’arête.  
© Guy Fortin et Johanne Paquin, 2015

Le tissu en forme de câble qui est présent sur l’arête lamellaire des Amanita permettrait une séparation non destructrice entre l‘arête lamellaire et les tissus adjacents pendant le développement du basidiome. Ces tissus adjacents sont le stipe ou le voile partiel. Une fois le développement du basidiome terminé et les structures séparées, le tissu de l‘arête lamellaire se dessècherait ou se gélatiniserait et se séparerait de l’arête lamellaire.

Conclusion

Les belles amanites, si originales, n’ont pas fini de nous étonner et leurs voiles nous cachent sûrement encore quelques surprises.

Glossaire :

  • Acrophysalide : article terminal turgescent, solitaire, parfois en chaînette, ayant la forme d’un bâton de baseball, provenant de l’apex d’une hyphe simple. Les acrophysalides donnent aux stipes et aux pileus des Amanita leur rigidité et leur structure caractéristiques. On les retrouve aussi en position inclinée dans la trame lamellaire bilatérale divergente de ces champignons, ce qui donne de l’épaisseur aux lames sans ajouter beaucoup de biomasses.
  • Apoptose : processus par lequel des cellules déclenchent leur auto-destruction. Mort cellulaire programmée
  • Arête lamellaire : partie d’une lame de champignon lamellé située à son extrémité distale, son apex
  • Basidiome : sporophore des Basidiomycotina. Structure multicellulaire supportant l’hyménium qui produit les spores
  • Biomasse : ensemble de la matière organique qui peut devenir une source d’énergie
  • Bulbe : chez les Amanita, structure intermédiaire entre le nodule et le primordium
  • Cheilo– : préfixe dérivé du mot grec cheilos (χείλος) qui signifie lèvre
  • Cheilocystide : type de cystide situé sur l’arête des lames et des tubes
  • Chinure : ornementation de formes et de couleurs variées présentes sur le stipe de certains champignons 
  • Contexte : chair, tissu ou trame interne des champignons à chapeau 
  • Cystide : cellule stérile présente sur la surface d’un basidiome, dans l’hyménium ou le sous-hyménium ou à l’apex d’une hyphe de la trame et des revêtements
  • Dessiccation : dessèchement. Élimination de l’humidité contenue dans un corps
  • Hyménium : partie fertile du basidiome, donnant naissance aux spores 
  • Hyphe génératrice : hyphe indifférenciée située dans un basidiome
  • Hyphe indifférenciée : hyphe vivante, nucléée, septée, bouclée ou non, à paroi mince, souvent de grande dimension, prédominante. Présente chez tous les champignons dont elle constitue la structure de base, donnant naissance aux autres types d’hyphes ainsi qu’aux cellules spécialisées de l‘hyménium.
  • Mycélium : ensemble des hyphes filamenteuses qui se développent dans divers substrats où elles constituent l’appareil végétatif des champignons
  • Nodule : concentration d’hyphes génératrices issues du mycélium qui est la première étape du développement d’un basidiome 
  • Pileus : le chapeau d’un champignon, la structure qui porte l’hyménium sur sa face inférieure
  • Primordium : stade du développement d’une Amanita qui suit la formation du bulbe et se développe en basidiome lorsque les conditions environnementales s’y prêtent
  • Schizo– : préfixe dérivé du mot grec, schizein (σχίζειν) qui signifie diviser, fendre, séparer
  • Schizohyménial : type de développement ontogénique d’un basidiome, probablement particulier au genre Amanita, dans lequel tous les éléments se développent à l’intérieur d’un primordium solide et sont séparés par le développement de tissus gélatinisés ou friables, ce qui permet aux arêtes lamellaires de se séparer du voile partiel ou de la surface du stipe et aux surfaces hyméniales de se séparer l’une de l’autre.
  • Le mot schizohyménial vient du fait que la connexion entre les hyphes de ce qui va devenir deux surfaces hyméniales opposées doit être brisée pour permettre l’expansion du basidiome.
  • Sporophore : structure portant les spores chez les champignons supérieurs
  • Stipe : pied supportant le chapeau d’un champignon
  • Turgescent : se dit d’une structure, en particulier d’une hyphe d’aspect gonflé, ballonné, dilaté, distendu
  • Voile général appelé aussi voile universel : voile enveloppant certains sporophores en développement des Agaricales, au début de leur développement
  • Voile partiel : voile couvrant l’hyménium, reliant la marge du chapeau au pied

Références

Remerciements

Les photographies et le dessin sont des auteurs. Merci à Roland Labbé pour la lecture critique.

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