par Jacques Landry
David Arora et Jonathan Frank publient dans le dernier numéro de Mycologia (mai 2014) un article proposant le nouveau nom de genre Butyriboletus pour un groupe de Boletus caractérisé par des tubes et pied jaunes, un pied réticulé, un bleuissement au froissement et une saveur douce. Ce groupe est connu en Amérique sous le nom familier de butter Boletes (bolets de beurre). Génétiquement, ces bolets se distinguent clairement des vrais Boletus, ce dernier nom de genre devant être réservé au groupe des Porcini ou cèpes (Dentinger et al. 2010). Étymologiquement, le préfixe butyri- est inspiré du latin butyrum et du grec βούτυρον, qui signifient « beurre ».
Boletus speciosus var. speciosus et B. roseopurpureus
Pour le moment, un seul des bolets que nous retrouvons au Québec appartiendrait à ce genre. Arora et Frank (2014) élèvent Boletus speciosus var. brunneus au rang d’espèce, ce qui va dans le sens de ce qu’ont déjà publié nos auteurs québécois (Lamoureux et Després, 1997), et le désignent Butyriboletus brunneus. L’espèce Boletus speciosus var. speciosus apparaît par ailleurs comme un taxon énigmatique. Les auteurs de l’article n’ont pas réussi à en trouver de collections récentes. De plus, les séquences publiées de collections de Boletus speciosus var. speciosus faites au Tennessee et en Caroline du Nord (Li et al. 2013) sont identiques aux séquences qu’Arora et Frank ont obtenues de Boletus roseopurpureus. D’ailleurs, la séquence des B. roseopurpureus dont Renée Lebeuf a déposé les photos sur Mycoquébec (Fig. 2) correspond exactement à celles publiées de B. speciosus. Cela soulève évidemment des doutes quant aux déterminations de B. speciosus var. speciosus et de B. roseopurpureus.
B. speciosus a été décrit par Frost de la Nouvelle-Angleterre en 1874, avec une très courte description, comme c’était coutume à l’époque. Boletus roseopurpureus a été décrit en 2000, et l’un des caractères permettant de le distinguer de B. speciosus était la taille des spores, qui est beaucoup plus petite que celle décrite pour B. speciosus. B. roseopurpureus est donc beaucoup plus récent que B. speciosus et ainsi devrait disparaître si ces deux espèces s’avéraient être la même.
Pour compliquer le tout, plusieurs bolétologues comme Yves Lamoureux, Ernst Both, Dick Homola, Michael Kuo et, après la parution de leur livre North American Boletes, Allan et Arleen Bessette (Lamoureux et Després, 1997; Siegel, 2014) pensent que Boletus pseudopeckii serait la même espèce que B. speciosus var. brunneus. Noah Siegel (2014) a notamment fait une collection à l’endroit même où le type (collection qui a servi à décrire le nouveau bolet) a été trouvé, et sa photo correspond à ce qui est nommé aujourd’hui Boletus speciosus var. brunneus. Puisque B. pseudopeckii est un nom d’espèce alors que brunneus en est un de variété, ce serait le premier qui, selon les règles de nomenclature, aurait priorité si les deux espèces s’avéraient être la même, faisant de Butyroboletus brunneus un mort-né.
L’histoire n’est donc pas terminé pour ces bolets et on pourrait dans un avenir prochain se retrouver avec le nom de Butyriboletus pseudopeckii à la place de Boletus speciosus var. brunneus. De plus, B. roseopurpureus a été exclu du groupe des Butyriboletus pour des raisons qui ne feront peut-être pas l’unanimité : c’est la présence d’une large délétion dans sa séquence ITS (Internal transcribed spacer) qui le place pour le moment seul dans une branche sœur des Butyriboletus (Siegel, 2014). Ainsi, de prochaines études pourraient nous ramener au nom Butyriboletus speciosus et ainsi enterrer Boletus roseopurpureus. Mais tout cela n’est que pure spéculation pour le moment et plus de données seront nécessaires pour trancher. Parions que d’ici une année ou deux, nous aurons un éclaircissement dans la littérature.
Suillus pictus et Boletus bicolor
Un autre problème signalé cette semaine par Noah Siegel sur sa page Facebook (Siegel, 2014) concerne Suillus pictus et Boletus bicolor, deux champignons faciles à reconnaître et fréquents au Québec, le premier associé aux pins blancs et le second, aux chênes et hêtres. D’après les règles de nomenclature, ces deux noms seraient invalides.
Le problème pour Suillus pictus est reconnu depuis longtemps et est d’ailleurs noté par Lamoureux et Després (1997) dans leur livre sur les bolets du Québec et signalé dans la page de cette espèce sur Mycoquébec. Peck décrit S. pictus le premier en 1872, mais le nom qu’il choisit, Boletus pictus, avait déjà été utilisé auparavant et est donc invalide. Ce serait plutôt le nom de Suillus spraguei, choisi par Berkeley et Curtis pour décrire cette espèce aussi en 1872, qu’il devrait porter. À noter que S. pictus est souvent désigné sous le nom de S. spraguei aux États-Unis. L’espèce pourrait conserver le nom de S. pictus à la condition qu’une demande soit faite au Comité international de nomenclature et qu’elle soit acceptée. D’après les règles, c’est possible compte tenu de la valeur économique liée au nom S. pictus. Mais faire cette demande représente beaucoup de travail et, semble-t-il, personne ne l’a fait jusqu’à maintenant.
Il existe un problème similaire avec Boletus bicolor. Raddi avait choisi ce nom pour décrire une espèce en 1806, fait que Peck ignorait lorsqu’il a choisi ce même nom en 1872 pour l’espèce que nous connaissons. Cependant, aucun autre nom n’a été proposé pour ce beau bolet, qui reste donc, à ce jour, sans nom légitime. Une solution pourrait s’imposer d’elle même. B. bicolor Raddi semble être une espèce fantôme européenne que personne ne connaît (Snell et Dick, 1941). Ce taxon pourrait un jour être déclaré nomen dubium et ainsi, B. bicolor ne serait peut-être plus illégitime (Yves Lamoureux, communication personnelle, 2014).
Qui, parmi nos bolétologues nord-américains, prendra le temps d’entreprendre les procédures requises pour que ces deux beaux bolets, parmi les plus beaux de notre patrimoine, aient enfin un nom légitime à eux.
Et pour paraphraser Auguste-Hilarion Kératry : les bolets en perdent leur latin, pourvu que les mycologues n’en perdent pas la tête.
Remerciements. L’auteur remercie Renée Lebeuf et Yves Lamoureux pour leur aide à la préparation de cet article ainsi que pour la permission d’utiliser leurs photos.
- Arora, D., Frank, J.L., 2014. Clarifying the butter Boletes: a new genus, Butyriboletus, is established to accommodate Boletus sect. Appendiculati, and six new species are described. Mycologia 106, 464–480.
- Dentinger, B.T.M., Ammirati, J.F., Both, E.E., Desjardin, D.E., Halling, R.E., Henkel, T.W., Moreau, P.-A., Nagasawa, E., Soytong, K., Taylor, A.F., Watling, R., Moncalvo, J.-M., McLaughlin, D.J., 2010. Molecular phylogenetics of porcini mushrooms (Boletus section Boletus). Mol Phylogenet Evol 57, 1276–1292.
- Snell, W.H., et Dick, E.A. Notes on boletes. VI. Mycologia 33: 23–37.
- Lamoureux, Y. et Després, J., 1997. Champignons du Québec. Tome 1. Les bolets. Cercle des mycologues de Montréal, pp 115.
- Li, H., Wei, H., Peng, H., Ding, H., Wang, L., He, L., Fu, L.. 2013. Boletus roseoflavus, a new species of Boletus section Appendiculati from China. Mycol Prog 24, 1–11
- Siegel, N., 2014, Page privé, Facebook
Francine Lévesque
J’ai cueilli aujourd´hui des bolets que j’ai identifiés comme étant comestibles, que j’ai fait revenir et dans le beurre, séparément, et le résultat au goût est plutôt amer pour moi et trés trés amer pour mon conjoint ! Toutefois ce n’est pas le bolet amer, il ne lui ressemble pas !
J’en ai avalé sans malaise aucun, mais le plaisir au goût n’y est pas !
Vous pouvez m’aider à identifier ce bolet ? Je peux vous faire parvenir des
mycoqueb
Il existe plusieurs sites qui pourraient vous aider à identifier votre champignon. Mycoquébec en a un : https://www.flickr.com/groups/674788@N24/ Les Cercles en ont aussi. Voir par exemple : https://www.facebook.com/groups/155469917846952/
Vous pouvez aussi m’envoyer une photo. Je verrai si je peux aider.
Renée Lebeuf
Boletus bicolor porte maintenant un nouveau nom : Baorangia rubelloides. Le nom a été publié dans Fungal Diversity : Gang Wu, Kuan Zhao, Yan-Chun Li, Nian-Kai Zeng, Bang Feng, Roy E. Halling, Zhu L. Yang. Four new genera of the fungal family Boletaceae, publié en ligne le 22 février 2015.
Jacques Landry
Oui, je sais. Les changements seront faits sous peu et seront expliqués dans un blogue. Merci!
Renée Lebeuf
Eh bien, les choses évoluent très rapidement en mycologie. Le nom Baorangia rubelloides était illégitime et est maintenant recombiné en Baorangia bicolor. C’est donc ce dernier nom qui est valide.
Jacques Landry
Baorangia bicolor ? D’où vient cette information?
J’ai trouvé :
Baorangia rubelloides G. Wu, Halling & Zhu L. Yang, in Wu, Zhao, Li, Zeng, Feng, Halling & Yang, Fungal Diversity: 10.1007/s13225-015-0322-0 [6] (2015)
Nomenclatural comment:
Nom. illegit., Art. 52.1
Editorial comment:
Circumscription includes the type of a name (Suillus bicolor Kuntze 1898), the epithet of which ought to have been adopted. Published on-line 22 Feb. 2015
Jacques Landry
D’accord. Index Fungorum no. 231
Nom de champignons! No 9 (avril 2016) | Le blogue Mycoquébec
[…] changement avait été annoncé dans un récent blogue. Il est maintenant […]