Nouvelle identité pour la « Chanterelle commune » au Québec

Notre « Chanterelle commune » : nouvelle identité, même saveur.

C’est l’un des champignons sauvages les plus faciles à reconnaître et à trouver en abondance. C’est également l’un des meilleurs. La chanterelle n’a pas un goût de champignon classique. Elle a un goût qui lui est propre, un goût à inspirer les plus grands cuisiniers. Alors que pour l’amateur de saveurs, il n’existe qu’une seule chanterelle jaune, Mycoquébec en énumère 4 espèces : Cantharellus cibarius (Chanterelle commune), C. cibarius var. pallidifolius (Chanterelle à plis pâles), C. appalachiensis (Chanterelle des Appalaches) et C. minor (Chanterelle mineure) , la première étant et de loin la plus fréquemment trouvée, typiquement sous les conifères.

Craterellus lutescens, à première vue, ressemble à une chanterelle, mais s'en distingue facilement par son pied creux se terminant sur un chapeau perforé, une caractéristique classique des craterelles.

Malheureusement, de toutes nos chanterelles, c’est justement notre Chanterelle commune dont l’identité est problématique. Cette belle espèce a été désignée Cantharellus cibarius depuis toujours par les mycologues québécois, à une époque pas si lointaine où toutes les chanterelles jaunes au monde, y compris bien sûr celles du continent américain étaient ainsi nommées. Il s’agit sans doute de l’erreur de nom la plus répandue en mycologie. Notre chanterelle n’est pas Cantharellus cibarius, on s’en doutait depuis longtemps, on le sait maintenant avec une quasi certitude.

Cantharellus roseocanus, St.-Eugène-de-Guigues
PHOTO : Patrick Poitras

C. cibarius a été décrit pour la première fois par Fries en 1821 à partir d’une collection suédoise. La description qu’il en a faite était très peu détaillée, comme toutes les descriptions de champignons faites à l’époque, de sorte que rien ne permettait de penser, pendant longtemps, que ce qui était trouvé à travers le monde et qui ressemblait à C. cibarius ne lui correspondait pas. Un problème supplémentaire avec les chanterelles d’allure cibarius, c’est que leur structure microscopique est d’une monotonie déconcertante, n’offrant que peu d’indices pour séparer les espèces (Buyck et al, 2013). Ainsi, ce n’est que depuis le début des années 1990 et surtout depuis une dizaine d’années, avec l’utilisation accrue des caractéristiques génétiques moléculaires des collections, qu’il est apparu évident que ce qui était appelé C. cibarius un peu partout représentait en fait de nombreuses espèces bien différentes. C’est à la suite d’analyses effectuées au cours des dernières années sur de nombreux d’échantillons provenant de partout aux États-Unis, mais aussi tout près de nous, comme au Massachusetts et à Terre-Neuve, qu’une conclusion s’est imposée : Cantharellus cibarius n’existe probablement pas en dehors du nord de l’Europe et, surtout, notre Chanterelle commune n’est pas C. cibarius

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Photo à la Une, Cantharellus roseocanus, Le Fjord-du-Saguenay
PHOTO : Herman Lambert

Mais alors quelle est-elle? Il est important de préciser en premier lieu que très peu de nos chanterelles ont fait l’objet d’une analyse d’ADN et donc, compte tenu de la difficulté à cerner l’identité de ces espèces sur la seule base morphologique, que leur identité est encore incertaine.

Notre « Chanterelle commune », appelée jusqu’à maintenant C. cibarius, du moins celle que l’on trouve exclusivement sous les conifères, serait, en toute probabilité, Cantharellus roseocanus. Officiellement, c’est un groupe de chercheurs de l’Université Laval (Rochon et al., 2011) qui ont signalé les premiers l’existence au Québec de cette chanterelle découverte en Oregon (Redhead et al., 1997). Leur analyse était plutôt sommaire, mais elle a été confirmée par des études plus élaborées publiées tout récemment. Ainsi, il est maintenant reconnu que C. roseocanus est l’espèce de chanterelle des conifères la plus répandue en Amérique du Nord avec une répartition géographique démontrée actuellement dans l’État de Washington, en Oregon, en Idaho, au Colorado, dans le Nord du Michigan et, aussi et surtout, dans des territoires tout près de nous comme le Massachusetts, l’État de New-York et Terre-Neuve (Foltz et al. 2013; Thorn et Voitk, 2011). C. roseocanus était d’ailleurs jusqu’en 2011 la seule chanterelle trouvée sous les conifères à Terre-Neuve (Thorn et Voitk, 2011).

D’ici à ce que l’on en fasse la démonstration, on peut donc présumer que les chanterelles trouvées chez nous sous les conifères correspondent aussi à C. roseocanusLe nom français de « Chanterelle des conifères » lui conviendrait certes parfaitement bien, mais il est cependant préférable d’attendre de voir si d’autres espèces se trouvent sous ces arbres. Dans la liste des champignons du Québec tenue à jour par Mycoquébec, c’est donc sous ce nom, Cantharellus roseocanus / Chanterelle commune, que vous trouverez désormais cette chanterelle présente en abondance dans nos forêts de conifères.

C. cibarius var. pallidifolius (Jacques Landry)
Cantharellus cibarius var. pallidifolius, Québec.
PHOTO : Jacques Landry

La « Chanterelle à lames pâles », nommée C. cibarius var. pallidifolius conserve pour le moment son identité. Contrairement à C. cibarius, C. cibarius var. pallidifolius est une espèce américaine. Elle a été définie en 1968 par Smith à partir d’une collection du Michigan et correspond parfaitement bien à nos grosses chanterelles des chênaies qui atteignent les 15 cm dans les meilleures conditions, avec leur pied toujours blanc au début, jaunissant avec l’âge et des plis jaunâtre très pâle presque tout au long du développement, devenant plus foncées (jaune rosé) à la sporulation (Yves Lamoureux, communication personnelle 2014). Cette variété devrait être élevée au rang d’espèce, mais Foltz et al. (2013), dans l’impossibilité d’obtenir une séquence de l’échantillon original, ont préféré donner un nouveau nom, Cantharellus phasmatis, à une collection du Wisconsin qu’ils considéraient être semblable à celle de Smith. Cependant leur description et leur illustration de C. phasmatis ne correspondent pas aussi bien à notre « Chanterelle à lames pâles » que celles de Smith. Il semble donc préférable de conserver le nom C. cibarius var. pallidifolius d’ici à ce que son identité ait été démontrée.

C. appalachiensis (Yves Lamoureux)
Cantharellus appalachiensis, mont Saint-Bruno
PHOTO : Yves Lamoureux.

Quant à notre Chanterelle des Appalaches (C. appalachiensis) et à Chanterelle mineure (C. minor), il s’agit d’espèces propres au Nord-est américain qui ne sont pas touchées par le présent bouleversement. La première se reconnaît aisément à sa teinte brunâtre et la seconde, à sa très petite taille.

C. minor (Renée Lebeuf)
Cantharellus minor, Sainte-Anne-de-Bellevue
PHOTO : Renée Lebeuf.

On a beau rebaptiser nos chanterelles, elles restent les mêmes et leur saveur ne change pas. Heureusement, car avec l’aide de la génétique moléculaire qui nous permettra de mieux circonscrire les espèces sur le plan morphologique, il est à prévoir que d’ici quelques années nous apprendrons à reconnaître plus d’une espèce autant en association avec les conifères qu’avec les chênes. C’est déjà le cas dans certains États chez nos voisins du Sud, et une étude détaillée est en cours à Terre-Neuve. Pour le moment, contentons-nous des noms roseocanus (conifères), cibarius variété pallidifolius (grosse espèce sous chênes), appalachiensis (espèce brune) et minor (très petite espèce). Une description complète de ces espèces telles qu’on les observe au Québec est disponible sur www.mycoquebec.org.

Remerciements à Herman Lambert, Patrick Poitras et Yves Lamoureux pour la permission d’utiliser leurs photos et à Roland Labbé, Renée Lebeuf et Yves Lamoureux pour leur aide à la préparation de ce texte.

Références.

Foltz, M.J., Perez, K.E., Volk, T.J., 2013. Molecular phylogeny and morphology reveal three new species of Cantharellus within 20 m of one another in western Wisconsin, USA. Mycologia 105, 447–461. doi:10.3852/12-181

Buyck, B., Kauff, F., Eyssartier, G., Couloux, A., Hofstetter, V., 2013. A multilocus phylogeny for worldwide Cantharellus (Cantharellales, Agaricomycetidae). Fungal Divers 1–23

Buyck, B., Hofstetter, V., 2011. The contribution of tef-1 sequences to species delimitation in the Cantharellus cibarius complex in the southeastern USA. Fungal Divers 49, 35–46.

Eyssartier G (2001) dans le groupe de Buyck Vers une monographie du genre Cantharellus Adans.:Fr. Dissertation. Museum national dhistoire naturelle. Paris. 259 pp

Redhead, S.A., Norvell, L., Danell, E., 1997. Cantharellus formosus and the pacific golden chanterelle harvest in western North America. Mycotaxon 65, 285–322.

Rochon, C., Paré, D., Pélardy, N., Khasa, D.P.,  Fortin, J.A. 2011. Ecology and productivity of Cantharellus cibarius var. roseocanus in two eastern Canadian jack pine stands. Botany 89: 663-675.

Smith, A.H., 1968. The Cantharellaceae of Michigan. Michigan Bot. 7, 143–183.

Thorn, R.G., Voitk, A. (2011) The Newfoundland chanterelle Omphalina. 2: 14-17

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5 Responses

  1. pierreb

    Mr. Landry,

    Je ne trouve pas l’accès au blog afin de vous poser une question.

    J’ai un terrain dans la MRC de Portneuf avec une multitude de champignons sauvages dont chanterelles, bolets, lactaires, etc. J’aimerais savoir s’il y a moyen de les aider à fructifier en milieu naturel.

    Merci et au plaisir!

    PS: Je suis devenu complètement accro au champignons!

    Pierre

  2. Yves Lamoureux

    Je viens de penser à cela, nos cèpes ont été nommés edulis de la mauvaise façon aussi longtemps que cibarius, notre chanterelle commune.

    Et puis on parle d’au moins trois espèces ici. Les Italiens m’achalaient déjà il y a 25 ans dans mes cours de débutants, re pépétant sans cesse que leur Cèpe avait un pied gros comme les pied de vigne. Alors qu’ici…

    Donc la Girole n’est peut-être pas la plus mal nommée?
    Prendre en rigolant,
    Y 🙂

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