Excursion chez les tout-petits

Classé dans : Général, Mycologie | 1

Changer d’échelle

François Guay

Novembre 2025

À la rencontre des microchampignons et de leur diversité insoupçonnée

Quand on parle de champignons, on pense spontanément aux grandes espèces visibles à l’œil nu : les amanites, les bolets, les russules… Pourtant, ces géants fongiques ne représentent qu’une infime partie de la biodiversité réelle du règne fongique. Un monde entier nous échappe, tout simplement parce qu’il est trop petit pour être vu sans s’en approcher vraiment.

Bactridium ellisi

Depuis quelques années, j’ai développé une fascination grandissante pour les microchampignons. Ces espèces minuscules, souvent invisibles sans loupe ou microscope, qui colonisent le bois en décomposition, les tiges herbacées mortes, les feuilles en décomposition, les aiguilles de conifères et les sols riches en matière organique.

On y retrouve une grande diversité de taxons parmi les ascomycètes, comme les Helotiales, les Hypocreales, mais aussi plusieurs lignées de basidiomycètes méconnues, telles que les Sebacinales, Atractiellales, ou encore des représentants discrets des Agaricomycetes. Ces derniers, souvent classés comme microchampignons en raison de leur taille ou de leur morphologie réduites, sont largement sous-étudiés malgré leur importance potentielle dans les écosystèmes. Leur documentation est encore embryonnaire, surtout dans le contexte québécois.

Moserella sp., nouvelle espèce pour la science, sur racine de conifère.

Je m’intéresse tout particulièrement aux microchampignons basidiomycètes, surtout ceux qui forment des synnemata, ces structures en forme de petits bouquets ou de colonnes fongiques. Ils sont formés d’un « pied » et d’un capitule et font souvent à peine 1mm de hauteur au total. C’est le cas de certains basidiopycnides, de membres des Atractiellales et même de certains Agaricomycetes. Récemment, Alexandra Audet et moi avons trouvé Riessia semiophora, observé et documenté pour la première fois au Québec. Très peu de ces anamorphes de basidiomycètes ont été séquencés ou étudiés en profondeur, ce qui laisse croire que nous sommes à peine en train de gratter la surface. Leur diversité semble dépasser l’entendement, et chaque échantillonnage révèle son lot de surprises. Comme Riessia semiophora, avec ses conidies en forme de trèfle à quatre feuilles, une morphologie unique dans le monde fongique jusqu’à présent.

Riessia semiophora, sur bois mort de conifère

Ce qui est extraordinaire, c’est qu’en changeant simplement d’échelle, en s’accroupissant, en se couchant au sol avec une loupe ou un objectif macro; on entre dans un autre monde, littéralement. C’est comme si on atterrissait sur une planète inconnue, pleine de formes étranges, de structures improbables, de couleurs insoupçonnées. Pour moi, c’est l’équivalent mycologique de l’exploration spatiale. Et ce monde, il est partout : au fond de notre cour, sur une brindille tombée sur un sentier, ou dans les forêts du Québec que nous arpentons chaque semaine.

Malgré les efforts des mycologues à travers le monde, la biodiversité fongique reste l’un des grands mystères de la biologie moderne. Une étude publiée en 2023 dans Fungal Diversity (Hawksworth & Lücking, 2023) estime qu’il pourrait exister jusqu’à 2,5 millions d’espèces fongiques sur Terre. Pourtant, à ce jour, à peine 150 000 espèces ont été décrites formellement, ce qui signifie que nous connaissons seulement environ 6 % de la diversité fongique mondiale. C’est vertigineux.

Sphaerostilbella aurifila, sur bois mort de feuillu

Cela montre à quel point la recherche mycologique de terrain demeure essentielle, même pour les amateurs. Chacun d’entre nous peut contribuer à cette exploration. Oui, il est encore possible de découvrir une nouvelle espèce pour la science… derrière chez soi. Encore faut-il ouvrir l’œil, documenter nos trouvailles, et les conserver correctement.

C’est ici que l’importance des collections fongiques prend tout son sens. Prendre le temps de photographier ces microchampignons, c’est essentiel. Les récolter avec soin, les faire sécher, les conserver dans un fongarium personnel ou institutionnel, cela l’est tout autant. Ce geste permet de garder une trace physique du spécimen, qui pourra être étudiée plus tard au microscope, ou envoyée au séquençage de l’ADN pour aider à confirmer l’identité. L’outil moléculaire est aujourd’hui incontournable pour percer les mystères des microchampignons, dont les caractéristiques morphologiques sont parfois insuffisantes pour l’identification.

Neocudoniella radicella

En parallèle, iNaturalist est une plateforme puissante pour cartographier la diversité fongique québécoise. En y partageant nos photos, nous créons une base de données vivante, qui pourra être utilisée par les chercheurs, autant pour les scientifiques que pour tous les citoyens passionnés de mycologie. Ce que l’on observe aujourd’hui peut devenir une pièce du casse-tête demain. Donc, je vous invite tous à utiliser cette application .

Chaque observation compte. Chaque fructification minuscule est une porte d’entrée vers un monde insoupçonné. Ce n’est pas un monde lointain : il est à nos pieds. Il suffit de s’en approcher pour le découvrir.

À vos loupes, prêts, partez!

Chromosera lilacifolia

Roridomyces roridus

Clavulina ornatipes

François Guay, Co-fondateur – Mycosphaera

Instagram : @fungikingdom.qc

Références

– Beug. M.W., Bessette, A.E. & Bessette, A.R. (2014). Ascomycete Fungi of North America: A Mushrooms reference guide. University of Texas Press.

– Hawksworth DL, Lücking R. Fungal Diversity Revisited: 2.2 to 3.8 Million Species. Microbiol Spectr. 2017 Jul;5(4):10.1128/microbiolspec.funk-0052-2016. doi: 10.1128/microbiolspec.FUNK-0052-2016. PMID: 28752818; PMCID: PMC11687528.

– iNaturalist.org Lien

– Mille et un champignons du Québec, Cercle des mycologues de Montréal inc., Montréal, 2002.

– Muntanola-Cvetkovic, M. & Gomez-Bolea, A. (1999). First record of Riessia semiophora Fresen form Spain. Revista Catalana de Micologia, vol. 22: 155-157;

MycoMatch (MatchMaker) Mushrooms of the Pacific Northwest. Version 2.4.1. 2023.

Mycoquébec.org

Mycosphaera

– Poulain, M., Meyer, M. & Bozonnet, J. (2011). Les Myxomycètes. Fédération mycologique et botanique Dauphiné-Savoie.

– Smith, A.H. (1947). North American Species of Mycena. University of Michigan Library.

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