Une si belle strophaire

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par Guy Fortin

Stropharia (Fr.) Quél. est un genre de champignons dans l’embranchement des basidiomycètes, de la famille des strophariacées. L’espèce type de cette famille est Stropharia aeruginosa (Curtis) Quél., une espèce européenne. Les strophaires sont en général des champignons de taille modeste et non comestibles, sauf Stropharia rugosoannulata Farl. ex Murrill qui fait exception.

Stropharia rugosoannulata est assez fréquente en Amérique du Nord et bien connue en Europe où elle est cultivée commercialement. On l’appelle généralement en français Strophaire à anneau rugueux ou en anglais Wine Roundhead. C’est un saprophyte grégaire ou dispersé qui préfère l’humus, les paillis et les copeaux de bois pour se développer. On la trouve dans les jardins urbains, en bordure des forêts de feuillus et dans les zones cultivées du printemps à l’automne. Comestible appréciée lorsqu’elle est jeune, elle devrait être consommée avec modération parce qu’elle peut causer des troubles digestifs chez certaines personnes. C’est un gros champignon dont le chapeau peut faire jusqu’à 20 cm de diamètre à maturité. Elle est très caractéristique lorsque jeune et fraîche, mais la couleur rouge vin du chapeau vire au brun rougeâtre, au beige paille et même presque au blanc par temps sec, ce qui peut la rendre difficile à distinguer des autres champignons à chapeau blanc de même taille.

Fig. 1 : Stropharia rugosoannulata mature avec un chapeau décoloré, blanchâtre et des restes d’anneau sur le pied. ©Herman Lambert
Fig. 2 : Jeune spécimen de Stropharia rugosoannulata avec chapeau rouge vineux décoré de nombreux restes vélaires. Le voile secondaire n’est pas encore détaché de la marge piléique pour former l’anneau caractéristique de l’espèce. ©Guy Fortin

Les lames

Les lames adnées, blanchâtres, deviennent gris pourpre avec l’âge alors que l’arête demeure blanchâtre. La lame elle-même n’est pas pigmentée, elle est beige pâle chez les jeunes et les vieux spécimens. À maturité, sa coloration foncée est due à la présence de nombreuses spores sur l’hyménium. L’arête étant stérile, l’absence de basides, donc de spores, explique sa pâleur.

Fig. 3 : Lames gris pourpre à arête blanchâtre et reste d’anneau d’une Stropharia rugosoannulata. Présence de nombreux cordons mycéliens au niveau de la base du pied. ©Jacques Landry
Fig. 4 : Détail des lames foncées à arête pâle. Cet aspect est conservé sur l’exsiccata. ©Guy Fortin
Fig. 5 : La coloration foncée de la lame est due à la présence de nombreuses spores foncées sur sa surface. À maturité, toutes les spores s’étant éjectées, la lame redevient concolore au chapeau, beige pâle. En haut, une lame mature vue à faible grossissement à la loupe binoculaire. Au milieu, fort grossissement de la même lame. En bas, une lame blanchâtre d’un vieux spécimen. ©Guy Fortin

Le pied

Le pied souvent clavé vers la base est plein, lisse, blanc jaunâtre et prolongé par des cordons mycéliens. Il porte un anneau membraneux remarquable, caractéristique de l’espèce, persistant, segmenté en roue dentée, blanc crème à jaunâtre.

Fig. 6 : Détail du voile secondaire en forme de roue dentée reliant le pied et la marge du chapeau, chez un jeune spécimen. En se détachant, il formera l’anneau caractéristique de Stropharia rugosoannulata. ©Guy Fortin

La chair

La chair est épaisse, ferme, blanchâtre à odeur et saveur agréables.

Fig. 7 : La chair est épaisse, ferme, blanchâtre. Les lames sont adnées, blanchâtres chez ce jeune spécimen dont l’hyménium n’est pas encore mature. ©Guy Fortin

La sporée

La sporée est pourpre foncé.

Fig. 8 : Sporée généreuse, pourpre foncé, sur un acétate. ©Guy Fortin

Microscopie

Les basides sont clavées, tétrasporées, bouclées. Dimension moyenne : 33,8 × 8,9 µm

Fig. 9 : Quelques exemples de basides. ©Guy Fortin

La trame lamellaire est formée d’hyphes cylindriques parallèles et le sous-hyménium est cellulaire.

Fig. 10 : Trame lamellaire parallèle formée d’hyphes cylindriques. L’hyménium est formé de basides tétrasporées, de basidioles et de pleurocystides. Le sous-hyménium est cellulaire. ©Guy Fortin

Les spores de Stropharia rugosoannulata sont ellipsoïdes à ovoïdes, lisses et à paroi très épaissie. Cette épaisseur de la paroi est de 1,1 µm en moyenne sur les spores de mes spécimens, observées dans le KOH. On voit bien sur la paroi un pore germinatif et, à l’apex de certaines spores, une « cicatrice hilaire », témoin de la séparation du stérigmate et de la spore lors de son éjection [1].

Dimensions des spores :

(8,98) 9,26 – 10,92 (12,20) x (5,38) 6,51 – 7,64 (8,65) µm
Q = (1,27) 1,36 – 1,52 (1,75) ; N = 35
Me = 10,11 x 7,04 µm ; Qe = 1,44
Épaisseur de la paroi : 0 × 1 – 1,2 (1,3) µm; Me = × 1,1 µm
Largeur du pore germinatif : 0 × (1,2) 1,3 – 1,6 (1,8) µm; Me = × 1,4 µm

Fig. 11 : Spores ellipsoïdes, à paroi épaissie et pore germinatif ainsi que cicatrice hilaire bien visible au niveau du hile. ©Guy Fortin

Sur la paroi de la spore, à l’extrémité opposée à l’apicule, on observe un pore germinatif qui a une largeur moyenne de 1,4 µm sur les spores observées. Ce pore germinatif est un trou dans la paroi sporale, comblé par du matériel provenant de l’endosporium. C’est par ce pore que germera la spore lorsque les conditions le permettront. [2]

Fig. 12 : Détail d’une basidiospore typique de Stropharia rugosoannulata avec identification des principales structures visibles au microscope. ©Guy Fortin
Fig. 13 : La cicatrice hilaire est une « lésion » visible sur la surface de la spore au niveau du hile, l’endroit où la spore se détache du stigmate. ©Guy Fortin

L’arête lamellaire est stérile. Les cheilocystides se présentent sous forme de leptocystides lagéniformes ou de chrysocystides avec inclusions réfringentes. Dimension moyenne des cystides : 48,2 × 11,1 µm

Fig. 14 : Détail de l’arête lamellaire et quelques exemples de cystides. L’arête lamellaire, stérile, est formée de nombreuses leptocystides et chrysocystides. Les chrysocystides se reconnaissent à leurs inclusions cytoplasmiques bien délimitées. En haut, observation dans l’ammoniaque. En bas, coloration au Rouge Congo ammoniacal. ©Guy Fortin

Sur la face lamellaire, les pleurocystides et pleurochrysocystides sont nombreuses et similaires aux cheilocystides. Dimension moyenne : 32,3 × 10,6 µm

Fig. 15 : Pleurocystides et pleurochrysocystides bouclées à la base, semblables aux chrysocystides. Coloration au Bleu Patenté V. ©Guy Fortin

Le pileipellis de Stropharia rugosoannulata évolue avec l’âge du champignon. Il est typiquement décrit en cutis chez les spécimens matures, mais est en trichoderme chez les jeunes spécimens. Avec l’âge, les hyphes redressées du trichoderme se couchent sur la surface du chapeau pour former un cutis caractéristique [3].

Fig. 16 : En haut, pileipellis en trichoderme chez un jeune spécimen. En bas, pileipellis en cutis chez un spécimen mature. ©Guy Fortin

Le stipitipellis est en cutis. Le contexte du pied est formé de cellules cylindriques, bouclées,  parallèles à la direction de croissance du stipe.

Fig. 17 : Stipitipellis en cutis formé d’hyphes cylindriques bouclées. ©Guy Fortin

Voici en résumé les principales caractéristiques microscopiques de l’espèce.

Fig. 18 : Schéma de quelques structures microscopiques. ©Guy Fortin

Acanthocytes

Les espèces du genre Stropharia ont typiquement des cordons mycéliens comme prolongement du pied. Les hyphes végétatives de ce mycélium produisent des cellules épineuses spéciales appelées acanthocytes. On a récemment démontré que ces terminaisons hyphales spécialisées servent de défense contre les attaques d’organismes nuisibles, en particulier les nématodes [4]. Les nématodes s’empalent littéralement sur ces épines. En laboratoire on a observé que leur contenu, qui s’échappe par les plaies, se répand dans le milieu environnant et serait absorbé par le mycélium dont la croissance est accélérée aux endroits où se produit le phénomène.

Fig. 19 : Quelques exemples d’acanthocytes. ©Guy Fortin

Note :

Le nom officiel de « Stropharia rugosoannulata Farlow ex Murrill » exige une explication qui est vraisemblablement la suivante.

En 1922, William Alphonso Murrill (1869-1957) publiait, dans le magazine Mycologia, un article intitulé « Dark-Spored Agarics: II. Gomphidius and Stropharia » [5]. À la section 19 de cet article, il présentait une nouvelle espèce, la « Stropharia rugoso-annulata Farlow ms. ».

La  préposition latine « ms » signifie ici « manu scriptum ». Murrill a donc publié une description manuscrite inédite, faite antérieurement, par son compatriote William Gilson Farlow (1844-1919) décédé deux ans plus tôt. Comme l’explique Murrill dans la note qui suit la diagnose, le manuscrit de Farlow lui avait été remis par un nommé Dr House.

La préposition latine « ex » signifie ici « de », « d’après », « conformément à ».

Diagnose de Murrill [5]

19. Stropharia rugoso-annulata Farlow ms.

Pileus fleshy, hemispheric to convex, 5-15 cm. broad; surface glabrous or at times slightly and innately fibrillose on the margin, chestnut-colored, becoming paler on drying; context firm, thin, whitish, with mild taste; lamellae thin, crowded, wider than the thickness of the pileus, adnate, whitish when young, becoming dark-brown or almost black with age; spores ellipsoid, dark-brown, 10-12 x 6-8 µ; stipe equal or slightly tapering upward, spongy within, sometimes becoming hollow with age. whitish, silky-fibrillose, with mycelium at the base at times, 5-8 cm. long, 10-12 mm. thick; annulus whitish, appearing double, the lower membrane radiately splitting on the margin.

Type locality : Newton, Massachusetts.
Habitat : Rich, cultivated grounds.
Distribution : Massachusetts.

Two collections are at Albany, one from George E. Morris and the other from G. B. Fessenden. I have specimens collected by Morris in a corn field at Waban. Massachusetts, September 13, 1905- The descriptive notes were kindly supplied in manuscript by Dr. House.

Étymologie :

  • strophium, -ii : soutien gorge, bande, ruban, lien, corde; du grec ancien στρόφϊον (strophion) : soutien gorge, bandeau porté par les prêtres
  • -aria : appartenant à, relatif à, qui possède
  • Stropharia : ceinturé, qui porte une ceinture. Probablement en référence à l’anneau ou aux traces d’anneau souvent présent sur le pied
  • rugosus : ridé, rugueux
  • annulatus : annelé, qui porte un anneau
  • rugosoannulatus : à anneau rugueux

Références :

  1. Fortin, G. (2018) Le mécanisme d’éjection des spores des hyménomycètes, Le blogue Mycoquébec.
  2. Fortin, G. (2013) La paroi des spores, Le blogue Mycoquébec.
  3. Pierre-Arthur Moreau (2021), communication personnelle.
  4. Luo H, Li X, Li G, Pan Y, Zhang K. (2006). Acanthocytes of Stropharia rugosoannulata function as a nematode-attacking device. Applied and Environmental Microbiology 72:2982–2987. (PDF)
  5. Murrill, W.A. (1922). Dark-Spored Agarics: II. Gomphidius and Stropharia. Mycologia 14(3): 121-142. (JPG 1, JPG 2)

Sites WEB consultés :

  • Stropharia rugosoannulata Farl. ex Murrill – Wine Roundhead, First Nature (Consulté le 2022-01-05)
  • Kuo, M. (2017). Stropharia rugosoannulata.  MushroomExpert (Consulté le 2022-01-05)
  • Hodgson, L. (2020) Utilisez votre paillis pour produire des champignons. Jardinier paresseux (Consulté le 2022-01-05)
  • Emberger, G. (2008) Stropharia rugosoannulata. Fungi Growing on Wood (Consulté le 2022-01-05)
  • (2021) Stropharia rugosoannulata. Wikipedia (Consulté le 2022-01-05)
  • Sweet, H. (2021) Large and Edible Wine Cap Mushrooms (Stropharia rugosoannulata) Eat The Planet (Consulté le 2022-01-05)

Remerciement

Mes remerciements à Herman Lambert et Jacqueline Labrecque pour le prêt d’exsiccata et à Roland Labbé, Jacques Landry et Johanne Paquin pour leur aide.

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