Le réveil d’un sclérote de Fuligo

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Jules Cimon

Les myxomycètes ont quelque chose de mystérieux et on a souvent l’impression qu’ils sortent de nulle part: là où il n’y avait rien la veille, se trouve le lendemain matin une masse gluante souvent jaune verdâtre, plus ou moins étendue, formant un réseau de veines qui continue de se ramifier et de gagner de plus en plus de terrain sur leur substrat, avant de se fixer, et de se transformer en myxocarpe. Et dans certains cas, le myxocarpe peut être assez volumineux.

La partie principale d’un champignon, c’est son mycélium qui envahit son substrat pour s’en nourrir par absorption, et la partie aérienne qui en résulte, ce que nous appelons plus communément champignon, c’est la fructification ou l’organe de reproduction où sont produites les spores. Mais que se passe-t-il dans le substrat des myxomycètes avant leur émergence et leur fructification?

Les champignons et les myxomycètes ont beaucoup de choses en commun, dont la production de sclérotes, des organes qui permettent à ces organismes de rester en dormance durant des périodes non propices à leur développement, et qui vont se réveiller éventuellement, lorsque les conditions environnementales le permettront.

On entend rarement parler des sclérotes de myxomycètes, et on en observe rarement. Pourtant, selon Edvin Johannesen* (comm. pers.), tous les myxomycètes ou presque forment des sclérotes. Ils sont rarement rapportés, car ils sont enfouis dans leur substrat et difficiles à repérer. De plus, les myxomycètes sont de véritables boîtes à surprise, et on ne peut prédire où et quand ils vont se manifester.

J’ai trouvé à quelques occasions des sclérotes de myxomycètes et j’aimerais vous faire part des observations récentes que j’ai eu la chance de faire concernant des sclérotes de Fuligo que j’ai vu évoluer de leur réveil jusqu’à leur fructification.

Les tas de copeaux de bois fragmentés constituent l’un des environnements les plus propices au développement du Fuligo (fig.1). L’automne passé, je me suis fait livrer un voyage de bois fragmenté constitué d’essences diverses de résineux et de feuillus. Rapidement, ce tas a commencé à dégager de la vapeur, et la neige fondait à mesure qu’elle tombait, dû à la chaleur produite par l’activité fongique et bactérienne qui avait commencé son travail de décomposition de la matière organique. C’est probablement durant cette période riche en nutriments que le myxomycète s’est développé. Avec l’arrivée des grands froids, la neige a pris le dessus et le tas de bois fragmenté s’est retrouvé protégé sous une épaisse couche de neige et selon toute probabilité, le myxomycète est entré en dormance sous forme de sclérote.

Figure 1. Un amas de bois fragmenté est un site de prédilection pour trouver un Fuligo

Au printemps, j’ai commencé à prélever du matériel jusqu’à ce que j’aperçoive à quelque 15 cm sous la surface, une masse jaune enrobant les particules de bois fragmenté (fig. 2). La masse occupait un espace grossièrement sphérique d’environ 25 cm de diamètre. J’ai tout de suite déduit qu’il s’agissait d’une masse sclérotique très possiblement de Fuligo, puisque le bois fragmenté est particulièrement favorable à leur fructification. La matière jaune avait une bonne consistance. J’en ai prélevé un petit échantillon (fig. 3) que j’ai déposé sur un tissu humide et gardé en atmosphère humide. Trente-six heures plus tard, le fragment de sclérote s’était réveillé (fig. 4) et le plasmode avait envahi le tissu.

Figure 2. Infime partie d’une masse sclérotique dans les interstices d’un tas de bois fragmenté
Figure 3. Échantillon de sclérote prélevé pour culture
Figure 4. Trente-six (36) heures après avoir été conservé en atmosphère humide et à température ambiante, le fragment de sclérote est sorti de son état de dormance et a envahi le tissu.

Sur les conseils d’Edvin Johannesen, j’ai retourné le tout à son emplacement d’origine dans l’espoir que le plasmode continue son développement et produise un myxocarpe. Trois semaines plus tard (fig. 5), un aethalium mesurant 15×30 cm est apparu à la surface du tas de bois fragmenté. Malheureusement, l’aethalium était déjà arrivé à maturité avec un épais cortex brun rosé en surface. J’avais manqué son émergence sous forme de plasmode. Cependant, l’année précédente, dans le même type d’environnement, j’avais réussi à en observer un fraîchement émergé à l’état de plasmode mature (fig. 6).

Figure 5. Aethalium mature de Fuligo issu du sclérote
Figure 6. Plasmode mature et aethalium de Fuligo trouvé l’année précédente dans un environnment comparable.

En continuant à prélever des copeaux, j’ai enfin pu observer d’autres masses sclérotiques, toutes situées à environ 15 cm de profondeur. Certaines étaient sorties de leur dormance, et avaient entrepris leur migration en tant que plasmode en veines (fig. 7) vers la surface.

Figure 7. Après être sorti de son état de dormance, le Fuligo devenu plasmode migre graduellement vers la surface sous forme de multiples veines.

En séchant, l’aethalium devient très friable. En coupe (fig. 8), dans le substrat sous-jacent, on observe des reliques de plasmode orangé correspondant à une forme d’hypothale caché sous l’aethalium. L’aethalium comprend trois couches : à la base, une couche floconneuse alvéolée jaune citron, tout probablement un pseudocapillitium issu du péridium qui recouvrait chacun des sporocystes compris dans l’aethalium. La seconde couche est constituée de flocons jaune verdâtre (pseudocapillitium) enrobant des corps sinueux noirâtres non identifiés, le tout recouvert d’un mince cortex. Cette description découle d’un examen à la loupe, et le tout devra être validé éventuellement lors d’une étude microscopique.

Figure 8. Coupe verticale à travers l’aethalium montrant les différentes couches qui le constitue.

*Edvin Johannesen a fait des études avec spécialité en mycologie à l’Université d’Oslo, en Norvège. Il a rédigé une thèse sur les myxomycètes de ce pays et écrit divers articles sur le sujet. Il est actuellement à la retraite après avoir fait carrière à la faculté de médecine de l’Université d’Oslo.

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5 Responses

  1. Thirion Jordan

    merci pour cet article. j’entre dans cet univers depuis peu et trouve cela fascinant!

  2. Jeff

    comment créer un compte sur mycoquebec.org?

    pas le blog, mais le site Web réel.

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