Un champignon et son histoire

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Le Sphaerobolus stellatus (Fig. 1) est l’espèce la plus commune et la plus étudiée du genre Sphaerobolus qui comprend aussi les espèces S. iowensis et S. ingoldii.

Ce texte parle de l’étonnante histoire de ce minuscule champignon.

On le nomme Sphérobole étoilé ou Sphérobole en étoile en français et Shotgun fungus, Artillery fungus, Cannonball fungus, Cannon fungus ou Sphere thrower en anglais.

Le mécanisme d’éjection des spores et la structure du basidiome de ce champignon intriguent et fascinent les mycologues depuis sa première description par Pier Antonio Micheli en 1729.

Ce petit champignon, qui fait à peine 2-3 mm de diamètre, peut projeter ses spores jusqu’à presque 6 m ! (Money et al. 2025) soit presque deux fois la distance d’éjection du Pilobolus qui est d’environ 3 m (Yafetto et al. 2008). Un exploit inégalé dans le monde fongique.

L’histoire du Sphaerobolus stellatus commence avec Pier Antonio Micheli (1679‑1737). Micheli est un botaniste et un mycologue italien considéré comme l’un des pères de la mycologie moderne. Il a remarqué que ce champignon est capable d’éjecter ses spores, sous la forme d’un péridiole, à une distance considérable et, dans « Nova Plantarum Genera » (Fig. 2), il a décrit et illustré (Fig. 3) pour la première fois le Sphaerobolus, qu’il a appelé Carpobolus.

Fig. 2 – Première page du Nova Plantarum Genera de Micheli, publié à Florence en 1729

Fig. 3 – Description du Carpobolus par Micheli. (Nova Plantarum Genera p.221)
(voir les références pour l’aide à la traduction latin-français)

Quelques années après Micheli, en 1790, dans son ouvrage « Fungi Mecklenburgenses Selecti. » (Sélection de champignons du Mecklembourg), le mycologue allemand Heinrich Julius Tode a renommé le Carpobolus de Micheli en Sphaerobolus (Fig. 4) et en a fait une description, accompagnée d’illustrations (Fig. 5).

Fig. 4 – Justification de Tode pour renommer le Carpobolus de Micheli en Sphaerobolus. « Fungi Mecklenburgenses Selecti. » p.43
(voir les références pour l’aide à la traduction latin-français)

Fig. 5 – Illustrations du Sphaerobolus par Heinrich Julius Tode dans « Fungi Mecklenburgenses Selecti. » Tab. VII. 57a, 57 b, 57c.

Plus tard, en 1825, Robert Kaye Greville, un botaniste, bryologue et mycologue écossais, a décrit et illustré (Fig. 6) la structure et le mécanisme d’éjection du Sphaerobolus dans son ouvrage « Scottish Cryptogamic Flora »

« Au moment de la déhiscence du péridium externe, le péridium interne (à ce moment concave, avec son orifice en haut), avec une rapidité et une force inconcevables, se retourne et projette la boule de sporidies à une distance de plusieurs pouces, avec un bruit de craquement distinctement audible. 
C’est sans aucun doute la plante possédant la structure la plus merveilleuse qu’il m’ait été donné de décrire dans la présente publication. Qu’un degré aussi élevé de force existe dans un corps pas plus gros que la tête d’une épingle, et qu’une telle force, exercée en défiant une résistance considérable, semble dépasser la capacité d’une théorie à l’expliquer de manière satisfaisante. »
(Traduction personnelle)

Fig. 6 – Illustration du Sphaerobolus stellatus par Greville. « Scottish Cryptogamic Flora » p.158 et 159

Description de la (Fig. 6) telle que faite par Greville :
« -1 Plantes, grandeur nature -2 Jeunes plantes -3 Plante coupée, le péridiole restant est entier (illustré juste avant la déhiscence) -4 Processus qui ne se voit pas en réalité, mais qui a été dessinée pour montrer le processus supposé de l’éjection de la sphère -5 Plante faible, avec un péridium intérieur non parfaitement retourné et les segments extérieurs réfléchis -6 Plante forte, avec le péridium intérieur complètement retourné -7 Péridium extérieur âgé -8 Sphère de sporanges ou de sporules -9 Une sphère coupée -10 Le péridium intérieur éjecté -11 Plante avec le péridium intérieur en train de s’inverser -12 Section d’une plante avant la déhiscence -13 Coupe horizontale 14 Portion d’une coupe horizontale »
(Traduction personnelle)

Quelques années après la publication de Greville, Eduard Fischer a publié la première étude complète de la structure et du développement du basidiome de Sphaerobolus. Il a proposé une explication générale du mécanisme d’éjection du péridiole du Sphaerobolus stellatus, accompagné d’un croquis détaillant les différentes couches qui composent le basidiome (Fig. 7). Son travail sera poursuivi, entre autres, par Walker (1927) et Buller (1933).

Fig. 7 – Détail de la structure du basidiome du Sphaerobolus stellatus par Eduard Fischer (1884 p.452).
sp : glèbe dans l’endopéridium. f, c, m, p : couches de l’exopéridium

Poursuivant le travail de Fischer sur la structure, le développement ainsi que le mécanisme d’éjection du péridiole des Sphaerobolus, Leva Belle Walker a proposé une nouvelle espèce, S. Sphaerobolus iowensis et a publié plusieurs photos et croquis de Sphaerobolus en collaboration avec Buller (Fig. 8).

Fig. 8 – (Walker Plate 22) – En haut à gauche : basidiocarpe mature d’un Sphaerobolus avant l’éjection. En haut à droite : position des couches péridiales après l’éjection.

En bas : disposition des tissus d’un basidiocarpe presque mature de Sphaerobolus stellatus. À gauche (1), croquis des différents tissus du basidiocarpe. À droite (2), portion externe d’une masse glébale éjectée montrant des cristaux, des spores et des hyphes.

En collaboration avec Walker (1927), dans Researches on Fungi, vol. V. (1933), Arthur Henry Reginald Buller, a décrit en détail le développement des différentes couches qui composent le basidiome du Sphaerobolus, en expliquant leur participation au mécanisme d’éjection de la masse glébale.

Le péridium du basidiome du Sphaerobolus stellatus est formé de 6 couches (Fig. 9) décrites de l’extérieur vers l’intérieur de la façon suivante par Buller (1933) :

  • la couche 1 est formée du mycélium à partir duquel s’est développé le basidiome
  • la couche 2 est formée d’hyphes lâchement entrelacées
  • la couche 3 est formée d’hyphes bulbeuses, pseudo-parenchymateuses
  • la couche 4 est une couche d’hyphes fibreuses orientées dans une direction circonférentielle autour de la couche 5
  • la couche 5 est formée de cellules palissadiques à la base devenant pseudo-parenchymateuse et de couleur orange au sommet.
  • la couche 6 est une fine couche pseudo-parenchymateuse orangée englobant le sporangium, appelé glèbe ou masse glébale

Dans cette description, les couches 2 à 5 forment l’exopéridium et la couche 6 est la couche unique de l’endopéridium qui, avec la glèbe, forme la masse glébale (Oliveira 2022).

Fig. 9 – Sphaerobolus fermé et description des couches du basidiome

En résumé, voici comment une si petite chose (environ 2 mm de diamètre) peut projeter une masse glébale d’un millimètre de diamètre contenant jusqu’à 10 millions de spores à une distance si considérable, jusqu’à 6 m. (soit environ 6 000 fois le diamètre de sa masse glébale !)

Le processus démarre par la déchirure de l’exopéridium le long de lignes préformées exposant la glèbe à l’air libre. À ce moment, des cellules de la couche 6 subissent une autolyse et forment un liquide lubrifiant dans lequel la masse glébale est libre, mais immergée. Ce liquide, de faible viscosité, réduit la résistance de détachement entre la masse glébale et la couche palissadique, lorsque celle-ci se retournera vers l’extérieur. Buller (1933) a suggéré que le liquide qui reste à la surface des glèbes agirait comme un adhésif les aidant à se fixer à la végétation sur laquelle elles ont atterri.

Au moment de l’ouverture de l’exopéridium, la coupelle externe, formée des couches 2 et 3, se sépare de la coupelle interne, formée des couches 4 et 5, au niveau des couches 3 et 4. Les deux coupelles ne restent attachées qu’à certains points permettant l’entrée d’air dans le basidiome. Le retournement (l’éversion) très rapide de la coupelle interne au moment de l’éjection de la masse glébale, ne pourrait se produire sans cette entrée d’air (Fig. 10).

Fig. 10 – Coupe transversale du basidiome du Sphaerobolus stellatus après déchirure et ouverture du péridium

La séparation des couches 3 et 4 est essentielle parce qu’elle autorise l’entrée d’air dans le basidiome permettant le retournement (l’éversion) des couches 4 et 5.

Après l’éjection, les coupelles interne et externe restent rattachées par les extrémités dentées du basidiome (Fig. 11).

Fig. 11 – Éjection de la masse glébale du Sphaerobolus stellatus

Avant le retournement de la coupelle interne, les cellules de la couche palissadique sont gonflées à la base et comprimées au sommet. L’ouverture de l’exopéridium provoque une infiltration d’eau dans le basidiome entre les couches 5 et 6. Cette eau est absorbée par les cellules de la couche palissadique qui deviennent turgescentes et ont tendance à se dilater au sommet en augmentant la compression locale. Cette compression au sommet des cellules déclenche un phénomène de flambage qui retourne brusquement la coupelle interne et éjecte le péridiole. La compression-étirement s’inverse alors, et la base des cellules est comprimée pendant que le sommet est gonflé (Fig. 12).

Cette tension sur les cellules disparaît lorsqu’elles se déshydratent parce qu’exposées à l’air ambiant, provoquant l’effondrement de la coupelle.

Fig.12 – État de tension dans les cellules de la palissade (couche 5) avant et après le déclenchement de l’éjection (la courbure des coupelles est exagérée pour fin de démonstration).

Récemment une étude portant sur la balistique du Sphaerobolus a été faite [Money et al. 2024]. Les espèces du genre Sphaerobolus, utilisent un mécanisme de « courbure à relâchement brusque ou flambage instantané » (snap-through buckling) pour projeter leurs spores sur une plus longue distance que tout autre champignon connu.

Les résultats de l’étude démontrent que l’utilisation de ce mécanisme par certaines espèces de Sphaerobolus consomme 80 fois plus d’énergie qu’un champignon lamellé pour éjecter le même nombre de spores. L’évolution de ce mécanisme coûteux est peut-être contrebalancée par une perte relativement faible de spores transportées dans les sporanges par rapport aux pertes plus importantes de spores éjectées par les autres champignons en général.

La mesure de la vitesse d’éjection de la glèbe faite à partir d’enregistrements vidéo à grande vitesse est de 9,27 m s-1, ce qui correspond à la vitesse estimée par Buller en 1933.

Conclusion

Cette histoire du Sphaerobolus stellatus est évidemment incomplète et de nombreux chercheurs dont la contribution est importante ne sont pas mentionnés. La bibliographie des articles cités en référence en fait foi. Cette histoire n’est pas terminée, et ce champignon continuera sans doute à intéresser les chercheurs.

Glossaire

Basidiome : structure dans laquelle se développent les spores. Très petit chez Sphaerobolus stellatus, généralement de 1 à 3 mm de diamètre.

Endopéridium : partie interne du basidiome en forme de coupelle située entre l’exopéridium et le péridiole. Il est formé par la glèbe et la couche 6 du basidiome.

Exopéridium : partie externe du basidiome en forme de coupelle. Il est formé par les couches 2 à 5 du basidiome.

Flambage : tendance qu’a un matériau soumis à une force de compression longitudinale à fléchir, et donc à se déformer dans une direction perpendiculaire à la force appliquée.

Glèbe : partie interne du basidiome qui contient les spores. Elle se développe dans le

péridiole.

Masse glébale : voir Péridiole.

Palissade : structure formée d’hyphes radiales. Chez le Sphaerobolus stellatus, c’est la couche 5 du basidiome, soit la couche interne de l’endopéridium.

Parenchyme : ensemble des cellules constituant le tissu d’un organe.

Péridiole : petit œuf renfermant des spores

Péridium : ensemble des couches qui forment le basidiome. Il est formé par l’endo- et l’exopéridium.

Pseudo-parenchymateux : qui a l’aspect d’un parenchyme

Sporange : cellule spécialisée en forme de sac produisant des sporangiospores

Sporule : spore enfermée dans un sac.

Références :

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  • Buller, A.H.R., (1933). Researches on Fungi, vol. V. Longmans, Green, & Co., London. Arthur Henry Reginald Buller, (1874 –1944). Téléchargeable ici
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Sites d’aide à la traduction latin-français

Merci à François Guay pour la permission d’utiliser sa photo.

Guy Fortin

Mai 2025

2 Responses

  1. Patrick Poitras

    Bonjour, Guy,

    Merci beaucoup pour cette fascinante histoire du Sphaerobolus stellatus, cette « si petite chose », à travers les âges et la science! Je l’ai beaucoup apprécié!

    Patrick Poitras

    • Guy Fortin

      Merci à toi, Patrick, pour ton commentaire. C’est, en effet, un champignon spécial dont j’ai pris beaucoup de plaisir à découvrir l’histoire.

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