Du nouveau chez les Hygrophorus

par Renée Lebeuf

Une nouvelle étude menée par une équipe composée de mycologues européens et nord-américains vient de paraître concernant les hygrophores de la section Olivaceoumbrini, laquelle regroupe des espèces bien connues telles que Hygrophorus agathosmus, H. pustulatus et H. olivaceoalbus. Cette étude contribue de façon majeure à notre connaissance de ce groupe.

Bellanger J-M., Lebeuf R, Sesli E, Loizides M, Schwarz C, Moreau P-A, Liimatainen K, Larsson E. 2021. Hygrophorus sect. Olivaceoumbrini: new boundaries, extended biogeography and unexpected diversity unravelled by transatlantic studies. Persoonia 46:272–312. https://doi.org/10.3767/persoonia.2021.46.10

Dans un article publié en 2018 sur les hygrophores de la section Aurei (Moreau et al., 2018), les auteurs ont décelé l’existence d’espèces cryptiques dans la section Olivaceoumbrini telle que définie par Lodge (2013). C’est dans le but de déterminer la diversité des espèces de cette section et d’élucider les relations entre les différentes sous-sections que cette étude a été entreprise.

Une équipe composée de Jean-Michel Bellanger et Pierre-Arthur Moreau de France, Ellen Larsson de Norvège, Michael Loizides de Chypre, Ertugrul Sesli de Turquie, Kare Liimatainen du Royaume-Uni, Renée Lebeuf du Canada et Christian Schwarz des États-Unis, a été mise sur pied. Des échantillons en provenance d’Europe, de la région de la mer Noire et des deux côtes de l’Amérique du Nord, la plupart des collections de l’est provenant du Québec, ont été séquencés. Des arbres phylogénétiques comportant 268 séquences, dont sept nouvelles séquences d’holotypes, ont été assemblés. Onze espèces supposées nouvelles pour la science ont été découvertes, et sept d’entre elles ont été décrites officiellement, dont quatre d’Amérique du Nord, y compris une nouvelle forme : Hygrophorus canadensis Lebeuf & P.-A. Moreau, Hygrophorus agathosmoides Lebeuf, E. Larss. & Bellanger, H. agathosmoides f. albus E. Larss. & Lebeuf, Hygrophorus pustulatoides Lebeuf, E. Larss. & Bellanger et Hygrophorus albofloccosus C. F. Schwarz, Lebeuf & Bellanger. En ce qui concerne les quatre autres espèces, il faudra attendre que des données additionnelles soient recueillies pour qu’elles puissent être décrites. Par ailleurs, des espèces connues mais jamais répertoriées au Québec auparavant ont été trouvées dans le cadre de l’étude.

L’analyse des séquences produites ou obtenues dans le cadre de l’étude a révélé que la section Olivaceoumbrini telle que l’avaient définie Lodge et ses collaborateurs dans leur article phare (2013) était polyphylétique (ne contenant pas tous les descendants de leur ancêtre commun le plus près), et nous l’avons donc scindée en cinq sections monophylétiques (contenant toutes les espèces issues d’un ancêtre commun). Nous présentons ici ces sections avec leurs représentants nord-américains. Les espèces présentes au Québec sont en gras.

  • Olivaceoumbrini : H. canadensis, H. fuscoalboides (= H. olivaceoalbus var. intermedius), H. olivaceoalbus, H. whitei
  • Tephroleuci : H. agathosmoides, y compris la forme albus, H. pustulatoides, H. pustulatus, H. odoratus, H. exiguus, H. morrisii?, H. albofloccosus et H. suaveolens
  • Fuscocinerei : H. adiaphorus, H. betulae, H. cf. mesotephrus et une espèce non décrite du Tennessee
  • Limacini : H. paludosoides, H. glutinosus et deux espèces non décrites, une de l’Ontario et l’autre du Québec
  • Nudolidi : H. tennesseensis, H. bakerensis

Section Olivaceoumbrini

La section Olivaceoumbrini regroupe des espèces au chapeau glutineux, brun foncé, brun noirâtre, gris-brun ou olivacé au moins au disque, parfois pâlissant ou jaunissant avec l’âge; aux lames subdécurrentes, espacées, blanches; et au pied glutineux ou visqueux, orné de fibrilles brun olive grisâtre sur fond blanc et parfois muni d’un voile partiel formant un anneau, à apex blanc, sec et floconneux. Réaction aux alcalis négative chez la plupart des espèces, ou confinée à la base du pied chez d’autres.

On trouve au Québec deux espèces de cette section. Elles se distinguent principalement par la largeur du pied à l’apex, ce qu’illustre bien la figure 1. Le pied de H. canadensis (fig. 2) mesure 3‑9 mm de diamètre et celui de H. fuscoalboides (fig. 3), 8‑25 mm. H. fuscoalboides et la variété intermedius de H. olivaceoalbus ont été décrits par Hesler et Smith dans leur monographie sur les hygrophores d’Amérique du Nord (1963). L’analyse génétique a révélé qu’il s’agissait d’une seule et même espèce. La collection type de H. canadensis provient de Saint-Casimir, dans la MRC de Portneuf. Les basidiomes poussaient sous de grandes épinettes blanches, tout juste à côté de basidiomes de H. fuscoalboides, mais étaient faciles à distinguer par leur stature. Nous nommions auparavant ces deux espèces H. olivaceoalbus.

Fig. 1. À gauche, H. canadensis, holotype, collection HRL2344; à droite, H. fuscoalboides, collection HRL2345. Photo Renée Lebeuf

         

Fig. 2. H. canadensis, collection HRL0173. Photo Renée Lebeuf
Fig. 3. H. fuscoalboides, collection HRL2822. Photo Renée Lebeuf

H. olivaceoalbus a été trouvé en Colombie-Britannique et en Californie et n’est pas encore connu de l’est de l’Amérique du Nord. Il possède un chapeau convexe et un pied glutineux tous deux teintés d’olive.

H. whitei ressemble beaucoup à H. canadensis, et possède comme lui un pied étroit, viscidule mais vite sec. Il est pour l’instant restreint au nord de la Californie.

Section Tephroleuci

Cette section est celle qui compte le plus d’espèces au Québec. Elle se caractérise ainsi : chapeau visqueux à sec, blanc, gris, cendré, brun noirâtre ou brun grisâtre; lames adnées à subdécurrentes, espacées ou subespacées, blanches; pied habituellement sec ou viscidule, blanc, grisâtre à la base et parfois orné de fibrilles ou de granules brun grisâtre foncé issus du voile; odeur souvent distinctive d’amande amère, de jacinthe ou de bonbon anglais. Croissance sous les conifères.

On peut classer les espèces de cette section en deux groupes : celles qui ont une odeur distinctive et celles qui n’en ont pas. Au Québec, toutes les espèces odorantes dégagent une odeur d’amande amère ou de cerise au marasquin.

L’espèce odorante la plus commune au Québec est H. agathosmoides (fig. 4). Elle est très semblable à H. agathosmus, lequel est strictement européen, et ne s’en distingue que par des caractères microscopiques (largeur des hyphes de la trame des lames) et sa croissance surtout dans des milieux modifiés par l’homme, comme des plantations. Son odeur d’amande amère, sa taille et son pied orné de flocons blancs qui virent au brun avec l’âge, sans jaune à la base, la distinguent du reste de la section. Il faut prendre garde lorsqu’on hume le champignon, car l’odeur est peu perceptible par temps froid.

Fig. 4. H. agathosmoides, holotype, collection HRL2823. Photo Renée Lebeuf

           

Nous trouvons aussi au Québec, quoique rarement, la forme blanche de H. agathosmoides (fig. 5), qui est identique sur le plan génétique. Outre son absence de couleur, elle possède les mêmes caractères que la forme colorée.

Fig. 5. H. agathosmoides f. albus, collection HRL2824. Photo Renée Lebeuf

H. albofloccosus, autre espèce à odeur d’amande amère, est génétiquement proche de H. agathosmoides, mais s’en distingue par la présence sur son pied de flocons blancs qui ne brunissent pas avec l’âge, sa plus grande taille et sa croissance sur la côte du Pacifique, de la Colombie-Britannique jusqu’à la Californie.

H. odoratus A.H. Sm. & Hesler (fig. 6), décrit de l’Oregon en 1954 et présent dans toute l’Amérique du Nord, dégage aussi une odeur d’amande amère. Bien qu’il soit répertorié en Nouvelle-Écosse, aucune mention à son sujet ne figure dans la littérature québécoise. Lors d’un passage à Amos, nous avons eu la chance d’en trouver deux basidiomes dans la mousse d’une forêt de pin gris. On le distingue de H. agathosmoides par son pied jaune à la base et, microscopiquement, par ses grandes spores de 11‑14 × 6,5‑8 µm. Selon l’analyse phylogénétique, H. odoratus serait différent de ma collection nommée H. morrisii Peck (fig. 7), mais une incertitude demeure à savoir si les deux sont distincts ou non. Pour le moment, nous conservons le nom de H. morrisii dans la base de données de Mycoquébec.

Fig. 6. Hygrophorus odoratus, collection HRL3088. Photo Renée Lebeuf

Fig. 7. Hygrophorus morrisii, collection HRL1346. Photo Renée Lebeuf

H. exiguus E. Larss., E. Campo & M. Carbone (fig. 8) a été décrit de Finlande en 2014 (Larsson et al., 2014). Outre sa petite taille, son chapeau à la fois visqueux et fibrilleux et sa faible odeur d’amande amère, il se distingue par sa croissance en association avec Tricholoma inamoenum, sous les épinettes. Nous avons eu l’occasion d’en faire deux collections en 2019, une à Amos et l’autre dans le Parc national de la Mauricie, les premières en Amérique du Nord. On soupçonne qu’il pourrait entretenir une relation parasitaire aux dépens de T. inamoenum.

Fig. 8. Hygrophorus exiguus, collection HRL3114. Photo Renée Lebeuf

H. suaveolens Kleine & E. Larsson est une autre petite espèce à odeur d’amande amère qui a été décrite très récemment de Suède (Larsson et al., 2018). Elle est associée aux pins et n’a pour le moment été trouvée qu’en Alaska, dans des échantillons de sol.

H. pustulatoides (fig. 9) et H. pustulatus (fig. 10) coexistent dans l’est de l’Amérique du Nord. Le premier est de loin le plus fréquent. En fait, parmi toutes les séquences analysées, la seule correspondant à H. pustulatus était une collection de Raymond Boyer faite à Sept-Îles. Les deux sont inodores et présentent sur le pied de petites granulations brunes, mais H. pustulatoides possède un chapeau orné de fibrilles radiales apprimées, alors que celui de H. pustulatus est squamuleux au centre.

Fig. 9. Hygrophorus pustulatoides, holotype, collection HRL2832. Photo Renée Lebeuf

Fig. 10. Hygrophorus pustulatus, collection CMMF005053. Photo Raymond Boyer

Section Fuscocinerei

Cette section est constituée d’espèces grêles aux basidiomes glutineux, munis ou non d’un voile partiel évanescent. Chapeau gris pâle, brun foncé à gris olive, jamais blanc pur, au centre distinctement plus foncé que la marge. Pied glutineux jusqu’à une zone annuliforme plus ou moins bien délimitée, présentant ou non quelques fibrilles sous-jacentes.

La section compte une seule espèce très rare confirmée en Amérique, H. adiaphorus, décrite du Michigan par Hesler et Smith (1963), et dont il n’existe qu’une seule collection, l’holotype. H. betulae K. Bendiksen & E. Larss., décrit tout récemment de Finlande (Larsson et Bendiksen, 2020), est quasi identique génétiquement, mais présente de grandes différences morphologiques, de là l’incertitude à synonymiser les deux espèces. Dans leur description, Hesler et Smith indiquent que H. adiaphorus ressemble à la forme gracile de H. olivaceoalbus (probablement H. canadensis), mais il ne possède pas de voile partiel ni de boucles sur les hyphes, il produit des spores relativement petites sur des basides bisporiques, et il croît sous les épinettes et les sapins. La section compte aussi une autre espèce confirmée seulement d’Europe, H. mesotephrus Berk. & Broome, qui vient sous les hêtres et les chênes. Il existe une collection de Lamoureux nommée ainsi dans Mycoquébec (fig. 11), faite sous chêne tard en saison, mais dont le séquençage a malheureusement échoué. Pour l’instant, nous pourrions présumer que l’espèce est aussi présente au Québec, mais le séquençage de nouvelles collections serait nécessaire pour s’en assurer. Il pourrait aussi s’agir d’un taxon nord-américain non décrit.

Fig. 11. Hygrophorus cf. mesotephrus, collection CMMF001840. Photo Yves Lamoureux

      

Il existe aussi dans la section une espèce non décrite du Tennessee.

Section Limacini

La section Limacini regroupe des espèces semblables à celles de la section Olivaceoumbrini par leur chapeau brun foncé, parfois jaunâtre, mais produisant habituellement des basidiomes plus gros ou plus robustes, souvent fasciculés, très glutineux et glissants par temps humide. D’après la littérature et les espèces vérifiées, la réaction aux alcalis est habituellement forte et intense, alors que les espèces de la section Olivaceoumbrini donnent une réaction négative ou faible, le plus souvent confinée à la base du pied. La plupart des espèces sont associées aux feuillus, en particulier dans la région méditerranéenne.

Deux espèces décrites ont été trouvées au Québec : H. paludosoides (fig. 12), cueilli sous hêtre à Repentigny par Yves Lamoureux, et H. glutinosus (fig. 13), cueilli à Oka sous chêne par Jacques Piché.

Fig. 12. Hygrophorus paludosoides, collection YL4339. Photo Yves Lamoureux

Fig. 13. Hygrophorus glutinosus, collection YL2080, non séquencée. Photo Yves Lamoureux

Nous vous présentons ici les photos des deux espèces de cette section actuellement non décrites (fig. 14 et 15).

Fig. 14. Hygrophorus sp. 1, collection HRL1647. À noter la coloration jaune olivacé de la base du pied. Collection faite sous chêne à Sainte-Anne-de-Bellevue. Photo André Paul

Fig. 15. Hygrophorus sp. 3, collection RGT131109. Cueilli sous chêne dans le sud-ouest de l’Ontario. Photo Greg Thorn.

    

Section Nudolidi

La section Nudolidi est définie ainsi : basidiomes charnus de taille moyenne à grande, au chapeau brun à brun orangé, crème à blanc à la marge; pied blanchâtre à chamois rosâtre pâle, sans traces de gluten ni de voile partiel; odeur d’amande amère ou de pomme de terre crue; saveur douce ou amère. Pour l’instant, limitée aux forêts de conifères de l’Amérique du Nord.

La section compte deux espèces très semblables : H. tennesseensis (fig. 16) et H. bakerensis. Hesler & Smith (1963) les disent facilement séparables par leur odeur, leur saveur et leur distribution : patate crue, saveur amère et croissance sur la côte est pour le premier, et odeur d’amande, saveur douce et croissance sur la côte ouest pour le deuxième. La collection québécoise ayant une odeur d’amande et une saveur douce, elle avait d’abord été nommée H. bakerensis. Cependant, l’analyse génétique a démontré qu’il s’agissait plutôt de H. tennesseensis. Ainsi, les critères distinctifs énoncés par Hesler & Smith semblent inadéquats. Pour l’instant, on pourrait présumer que l’espèce de l’est est H. tennesseensis et celle de l’ouest, H. bakerensis, mais seule l’analyse génétique de davantage de collections nous permettra de le confirmer. La photo illustre des basidiomes cueillis dans la seule station connue de cette espèce au Québec, à Montebello, sous conifères. L’espèce est aussi rare ailleurs dans l’est de l’Amérique du Nord.

Fig. 16. Hygrophorus tennesseensis, collection HRL0940. Photo Renée Lebeuf

Hôtes et distribution

La grande majorité des espèces dont il est question ici poussent sous les conifères, en particulier les épinettes. Ce n’est que dans les sections Limacini et Fuscocinerei qu’on trouve des espèces qui poussent sous les feuillus.

Par ailleurs, seules 6 des 30 espèces dont il est question dans notre article poussent à la fois sur le continent européen et le continent américain : H. agathosmoides, H. pustulatus, H. exiguus, H. suaveolens, H. olivaceoalbus et H. adiaphorus, la plupart des espèces étant endémiques soit à l’Europe soit à l’Amérique du Nord. 

Il est aussi bon de souligner que, dans notre article, nous avons décrit d’Europe trois nouvelles espèces et une nouvelle forme : H. agathosmoides f. trabzoni et H. marcocontui (restreints à la Turquie), H. limosus (connu de Chypre) et H. pinophilus (poussant dans le sud de l’Europe et associé aux pins). Par ailleurs, pour stabiliser l’usage de noms historiques, nous avons désigné de nouveaux types pour six espèces européennes : H. glutinifer (synonyme antérieur de H. persoonii), H. hyacinthinus, H. mesotephrus, H. olivaceoalbus, H. pustulatus et H.tephroleucus.

Nous terminons par une clé des espèces répertoriées dans l’article qui sont présentes au Québec ou pourraient l’être.

Références

Hesler LR, Smith AH. 1963. North American species of Hygrophorus. University of Tennessee Press, Knoxville.

Larsson E, Bendiksen K. 2020. Hygrophorus betulae, a new species described from subalpine birch forest in Finland, Karstenia 58(1):1–9.

Larsson E, Campo E, Carbone M. 2014. Hygrophorus exiguus, a new species in subgenus Colorati section Olivaceoumbrini, subsection Tephroleuci. Karstenia 54: 41–48.

Larsson E, Kleine J, Jacobsson S, et al. 2018. Diversity within the Hygrophorus agathosmus group (Basidiomycota, Agaricales) in Northern Europe. Mycological Progress 17(12):1293–1304.

Lodge DJ, Padamsee M, Matheny PB, et al. 2013. Molecular phylogeny, morphology, pigment chemistry and ecology in Hygrophoraceae (Agaricales). Fungal Diversity 64:1–99.

Moreau P-A, Bellanger J-M, Lebeuf R, et al. 2018. Hidden diversity uncovered in Hygrophorus sect. Aurei (Hygrophoraceae), including the Mediterranean H. meridionalis and the North American H. boyeri, spp. nov. Fungal Biology 122: 817–836.

Smith AH, Hesler LR. 1954. Additional North American Hygrophori. Sydowia 8(1-6):304–333.

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2 Responses

  1. Chantal Gauthier

    Merci pour cette publication Renée et pour cette belle clé qui nous aidera à trouver et identifier ces espèces. C’est du gros boulot!!

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