Nouveautés chez les Suillus du Québec

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Sept Suillus changent de nom.

Pauline Dubé, Roland Labbé et Jacques Landry

 

Une bonne nouvelle! Contrairement aux Boletus qui ont été complètement démantelés suite aux études phylogénétiques des dernières années (voir l’article sur les Bolets paru précédemment), les Suillus eux résistent. Une étude phylogénétique à grande échelle vient de révéler que le concept des Suillus tient la route, bien que l’identité de plusieurs de nos espèces ait été précisée et qu’ils changeront de noms. Heureusement, les auteurs ont utilisé plusieurs séquences de Suillus en provenance du Québec, ce qui nous permet de nous ajuster précisément aux résultats de l’étude. (Photo à la une : Suillus paluster, Herman Lambert)

Nguyen et al. (2016)  dont l’article doit paraître dans Mycologia très bientôt, ont réalisé une vaste étude phylogénétique des espèces du genre Suillus en utilisant les séquences ITS disponibles dans les bases de données publiques et en séquençant 224 nouveaux spécimens, de collections et cultures. Quinze holotypes d’espèces nord-américaines ont aussi été séquencés.

Ces données ont généré l’alignement de 1 ­­029 séquences, qui ont été divisées en trois groupes majeurs, renfermant chacun plusieurs clades. La distribution géographique des espèces se reflète en des clades souvent différents pour l’Eurasie, l’Amérique du Nord et l’Asie. Les résultats obtenus suggèrent des changements de noms pour quelques espèces nord-américaines, dont sept retrouvées au Québec. Alors que la force de l’étude est que beaucoup d’espèces y sont incluses, sa faiblesse est qu’une seule séquence est considérée (ITS).

Suillus neoalbidipes ⇒ Suillus glandulosipes

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Suillus glandulosipes, Mascouche  
PHOTO : Joseph Nuzzolese

 

Certaines espèces de Suillus ont été décrites sous différents noms en se basant sur quelques différences morphologiques, parfois subtiles. Ainsi, S. glandulosipes, connu de l’ouest de l’Amérique du Nord, se distingue de S. neoalbidipes principalement par ses glandules brun foncé à noires (caulocystiques) qui ornent le pied de S. glandulosipes, même chez les jeunes spécimens.

Or, l’examen des séquences ITS des 2 holotypes démontre que S. neoalbidipes et S. glandulosipes sont synonymes, ce dernier nom étant prioritaire. Cependant, l’étude ne dit  pas si notre neoalbidipes /glandulosipes en est vraiment un, la séquence la plus près utilisée étant du Michigan.

 

Suillus aff. granulatus  ⇒ Suillus weaverae

Suillus, Québec PHOTO : Jacqueline Labrecque
Suillus, Québec
PHOTO : Jacqueline Labrecque

Nous supposions déjà que Suillus granulatus du Québec était différent de l’espèce européenne, d’où l’appellation Suillus aff. granulatus retenue par Mycoquébec. Les séquences le confirment et révèlent que l’espèce européenne appartient à un clade différent de celui de l’espèce nord-américaine.

À l’intérieur du clade nord-américain, s’insèrent des séquences de S. granulatus, S. aff. granulatus du Québec (Saint-Emile-de-Suffolk) et, comme l’ont constaté avec étonnement Nguyen et al. des séquences de S. weaverae, dont celle de son holotype décrit par Smith et Shaffer (1965). Les données moléculaires et morphologiques permettent donc d’affirmer que S. weaverae est le nom approprié pour l’espèce nord-américaine S. granulatus, à tout le moins pour les spécimens que nous trouvons ici  lié au pin blanc.

Suillus grevillei ⇒ à rechercher

Suillus grevillei ⇒ Suillus clintonianus

Korhonen et al. (1993) ont conclu que les formes jaunes et brun rougeâtre de S. grevillei appartenaient à deux espèces différentes : S. grevillei principalement européen avec un chapeau jaune et S. clintonianus de Sibérie, Asie et Amérique du Nord avec un chapeau brun rougeâtre et des spores plus grandes. Plusieurs considéraient ces deux espèces synonymes, S. grevillei étant le plus ancien et donc celui à retenir (voir par ex. Bessette et al.  (2016)).

Suillus PHOTO : Raymond McNeil
Suillus clintonianus, Notre-Dame-du-Rosaire
PHOTO : Raymond McNeil

La distance phylogénétique entre les spécimens de S. grevillei d’Europe et ceux d’Amérique du Nord/Asie de l’étude de Nguyen suggère également que ces deux espèces sont distinctes. Cette distribution géographique pourrait être liée à celle des mélèzes (Larix) avec lesquels ils mycorhizent : S. grevillei sous le mélèze européen (Larix decidua) et S. clintonianus sous le mélèze laricin (Larix laricina, le nôtre). Nguyen et al. suggèrent le nom S. grevillei pour l’espèce européenne et celui de S. clintonianus (Peck) Kuntze pour le taxon nord-américain/asiatique. La séquence de l’un de nos exemplaires provenant de Lac-Beauport et identifié comme S. grevillei, a été utilisée dans l’étude. Elle se positionne dans le clade de S. clintonianus.

Au Québec, nous retrouvons des spécimens avec des chapeaux jaunes et d’autres avec des chapeaux brun rougeâtre. La plupart du temps il s’agit probablement de S. clintonianus puisque, comme Yves Lamoureux l’a remarqué il y a plusieurs années, les deux formes peuvent se trouver dans le même mycélium. Cependant, il n’est pas dit que nous n’ayons pas le vrai S. grevillei . En effet, plusieurs exemplaires appartenant au clade européen S. grevillei ont été trouvés dans l’État de New York où le mélèze européen est naturalisé. Aussi, ce mélèze a été planté en abondance au Québec où il est présent presque toujours en plantation ou comme arbre décoratif. C’est une espèce non invasive, donc habituellement restreinte sur les sites où elle a été plantée (A. Guimond, comm. pers. 2017). Même s’il n’est pas solidement démontré que ces espèces ont un hôte aussi précis, il faudra tout de même garder l’oeil ouvert au type de mélèze présent, particulièrement lorsque de jeunes exemplaires jaunes se présentent. 

En conclusion, le nom S. greveillei demeurera dans l’Index Mycoquébec, cependant les photos existantes et la description actuelle de S. grevillei seront transférées à S. clintonianus.

Suillus serotinus ⇒ Suillus elbensis

Suillus PHOTO : Jacqueline Labrecque
Suillus elbensis, Québec.
PHOTO : Jacqueline Labrecque

Comme on s’y attendait, c’est dans le groupe des viscidus que se situe notre Suillus serotinus. Le nom S. viscidus (L.) Roussel a été utilisé en Europe, en Asie et en Amérique pour ce qui constitue des espèces distinctes qui apparaissent dans 3 clades différents. S. viscidus convient mieux au clade européen, car cette espèce avait d’abord été décrite en Europe sous le nom Boletus viscidus L. Le clade asiatique reste à nommer.

Le clade nord-américain comprend des séquences de Suillus elbensis ainsi que de Suillus serotinus, dont une en provenance du Québec (Lac-Beauport). La similarité des séquences confirme la synonymie de ces espèces qui avaient pris, à tort,  le nom de S. viscidus dans MycoBank. Suillus elbensis (Peck) Kuntze est le nom qui s’applique pour le taxon nord-américain.

La situation pour ce qui est appelé S. viscidus au Québec n’est pas claire puisqu’aucune séquence de ce que nous appelons S. viscidus n’a été utilisée dans l’étude. Il pourrait appartenir au clade européen qui serait peut-être venu avec le Mélèze européen ( Larix decidua), comme S. grevillei, ou encore, plus simplement, être une variante de S. elbensis (serotinus). Pour le moment, S. viscidus sera conservée dans l’index.

Suillus cavipes ⇒ Suillus ampliporus

 

Suillus ampliporus PHOTO : Renée Lebeuf
Suillus ampliporus
PHOTO : Renée Lebeuf

Suillus cavipes se différencie lui aussi en 2 espèces, l’une provenant d’Eurasie et l’autre de l’Amérique du Nord. S. cavipes ayant été désigné originalement pour des spécimens provenant d’Autriche, le nom S. cavipes est réservé pour le clade eurasien et le nom du taxon nord-américain devient S. ampliporus (Peck) Kuntze. Aucun S. cavipes du Québec n’a été séquencé, cependant le clade ampliporus contient des séquences du Michigan et de l’Ontario.

Suillus pictus ⇒ Suillus spraguei

Suillus spraguei , Tadoussac PHOTO : Herman Lambert

Le clade spraguei a une bonne robustesse. Il contient plusieurs sous-clades, dont un américain et un asiatique. La longueur différente des branches indique que l’espèce asiatique est différente de celle nord-américaine. Cette dernière contient une séquence de S. pictus provenant de Sainte-Pétronille, Îles-d’Orléans.

S. spraguei est souvent nommé Suillus pictus. Ce nom, basé sur Boletus pictus (Peck), est invalide selon les règles de nomenclature et celui qui doit être utilisé est Suillus spraguei (Berk. & M.A. Curtis) Kunze.

Suillus sibiricus ⇒ Suillus americanus

Suillus, Sacré-Coeur PHOTO : Herman Lambert
Suillus, Sacré-Coeur
PHOTO : Herman Lambert

S. sibiricus se distingue de S. americanus par des caractères faibles et variables. D’ailleurs plusieurs auteurs, comme Klovac (2013), les considèrent synonymes. L’étude de Nguyen a inclus beaucoup d’exemplaires de S. sibiricus et S. americanus provenant de partout dans le monde incluant le Québec ( S. sibiricus, séance d’identification du CMAQ, à Québec; S. americanus, Saint-Émile-de-Sulfolk). Il en ressort clairement que les séquences des deux espèces, quelle que soit leur origine, s’entremêlent indistinctement dans le même clade. Ceci suggère soit qu’il s’agit de la même espèce ou encore, que les gens ne les distinguent pas adéquatement. La conclusion est donc que S. americanus est prioritaire et est dispersée sur toute la planète. Une étude plus poussée autant au niveau phylogénétique que taxinomique pourrait cependant nuancer ces résultats.

 

Suillus paluster, Suillus luteus et Suillus sinuspaulianus

Photo à la une : Suillus par Herman Lambert
Photo à la une :
Suillus paluster
par Herman Lambert

Bonnes nouvelles! Notre S. luteus (Saint-Émile de Suffolk) se retrouve dans le même clade que des S. luteus en provenance de partout (É-U, Europe, Chine).  La même chose pour l’un de nos S. paluster (Radisson, Baie-James) qui se retrouve avec des séquences du Japon et des É-U. Quant à S. sinuspaulianus, il a sa branche à lui seul avec un exemplaire unique de S. glandulosus venu d’Alaska, ce qui supporte ce que certains pensent, que S, sinuspaulianus et S, glandulosus seraient une seule et même espèce (Lamoureux Y. comm. pers. 2017). À suivre…

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L’article de Nguyen et al. met en lumière la biodiversité des Suillus. Il y a encore des taxons non résolus et il faut s’attendre à ce que d’autres changements surviennent, particulièrement lorsque plus de gènes seront considérés.

  1. Nguyen NH, Vellinga EC, Bruns TD, Kennedy PG (2016) Phylogenetic assessment of global Suillus ITS sequences supports morphologically defined species and reveals synonymous and undescribed taxa. Mycologia. doi: 10.3852/16-106.
  2. Klofac W. 2013. A world-wide key to the genus Suillus. Osterr Z Pilzkd 22:211–278.
  3. Bessette AE, Roodey, WC, Bessette AR, (2016) Boletes of Easter North America, Syracuse University Press, Syracuse, New York.

 

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