Petit champignon de toutes les couleurs*

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Guy Fortin, avec la collaboration de Johanne Paquin


Plusieurs espèces de champignons donnent des sporophores de couleurs vives qui sont dans certains cas, comme la teinte de la sporée, une caractéristique importante pour la détermination. Toutefois la pluie, le rayonnement solaire ou l’âge du champignon peuvent affadir ou délaver les couleurs; les mycologues les interprètent donc généralement avec prudence.

La coloration des champignons et des spores est due à des pigments. Ce sont des métabolites secondaires créés dans des circonstances particulières telles que l’atteinte d’un certain degré de développement ou l’absence d’un nutriment essentiel. Le mycélium déclenche alors des mécanismes métaboliques menant à la fructification, à la sporulation et à la fabrication de pigments.

Les caroténoïdes sont des pigments très répandus dans la nature, en particulier dans les champignons. Les plus fréquents sont la β-carotène (orange) et la γ-carotène (orange-rouge). Mais on rencontre aussi en quantité moindre l’α-carotène (orange-jaune), le lycopène (rouge foncé) et des xanthophylles. D’autres pigments tels la mélanine et la sporopollénine sont aussi présents.

Plusieurs pigments de couleurs différentes peuvent se trouver en même temps sur le même champignon. Leur mélange produit toutes ces couleurs vives dans des tons de rose, rouge, orange, jaune, violet, vert olive et gris. Mais les pigments ne sont pas que de jolies couleurs, ils jouent aussi un rôle important dans les cellules en les protégeant contre l’agression des rayons solaires, en particulier contre certaines longueurs d’onde dans l’ultraviolet. Les spores pigmentées sont plus résistantes que les spores non pigmentées dans la plupart des conditions environnementales. Par exemple la mélanine, un pigment noir ou brun foncé, absorbe les radiations et dissipe l’énergie, protégeant ainsi la paroi sporale. De plus, en agissant comme élément de renforcement, elle pourrait protéger physiquement les spores contre l’action des enzymes produites par d’autres microbes.

L’identification des pigments nécessite des procédures chimiques compliquées, mais leur localisation dans les champignons est relativement facile à observer au microscope optique et on peut les classer selon leur topographie (Fig. 1).

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Fig. 1 – Topographie des pigments fongiques. Dessin fait à partir d’une photographie originale d’une hyphe turgescente (physaloïde) d’une lame d’Agaricus bisporus.

Les pigments vacuolaires sont hydrosolubles et dissous dans les vacuoles. Ils sont concentrés dans le centre de la cellule. Ils peuvent être délavés par la pluie et, conséquemment, la couleur du champignon, surtout le pileipellis, s’affadit (Fig. 2).

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Fig. 2 – Pigments vacuolaires (flèche rouge). Mycena leaiana, pileipellis. Dans l’ellipse, des pigments intrapariétaux, voir plus loin.

Les pigments cytoplasmiques ou protoplasmiques sont rares chez les Hyménomycètes. Ce sont des pigments granulaires qui sont aussi hydrosolubles. Ils apparaissent comme une coloration plus ou moins uniforme du cytoplasme (Fig. 3).

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Fig. 3 – Pigments cytoplasmiques. À gauche : Russula decolorans, hyphe du pileipellis. À droite : Leucocoprinus birnbaumi, écaille du pileipellis

Les pigments intrapariétaux sont déposés dans la paroi. Ils sont facilement reconnaissables lorsque la paroi est épaissie, comme chez les spores à paroi épaissie, lisse et colorée. Sur les hyphes, ils peuvent être confondus avec des pigments incrustants distribués le long de la paroi externe. On peut les différencier en faisant la mise au point avec minutie: la paroi externe apparaît alors lisse et la paroi interne apparaît ornementée (Fig. 2 et 4).

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Fig. 4 – Pigments intrapariétaux. Cortinarius uliginosus, pileipellis.

Les pigments épipariétaux ou pigments incrustants sont fréquents chez les Hyménomycètes. Ils adhèrent à la surface externe des parois. Avec la croissance de l’hyphe et son étirement, ils prennent la forme de granules ou de bandes transversales. Les basidiospores qui ont des ornementations de la paroi de couleur brune, comme les Cortinarius, appartiennent à cette catégorie puisque leur pigmentation est située au niveau du myxosporium. Ce dernier correspond à la paroi externe de l’hyphe, là où sont situées les pigmentations épipariétales (Fig. 5).

Les pigments incrustants sont insolubles dans l’eau. Ils peuvent toutefois être accompagnés, dans le même champignon, de pigments intracellulaires hydrosolubles. Ceci explique pourquoi certains champignons ont une double pigmentation et peuvent changer de couleur à la suite d’une forte pluie. En effet les pigments intracellulaires sont alors délavés et disparaissent tandis que les pigments épipariétaux demeurent.

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Fig. 5 – Pigments incrustants ou épipariétaux. À gauche : Hericium americanum, scalp d’un aiguillon. À droite : Geastrum sp, filaments du capillitium.

Les pigments interhyphiques ou tramaux (intercellulaires) ne sont pas fréquents. Ils sont situés entre les hyphes et sont formés de grains ou de cristaux de taille variable. Souvent, les pigments tramaux sont des grains incrustants qui se sont détachés de la paroi des hyphes (Fig. 6).

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Fig. 6 – Pigments interhyphiques. Calvatia gigantea, capillitium.

Les nécropigments apparaissent à la mort ou après la mort de la cellule. Ils sont en général d’une teinte qui va du brun au noir et peuvent se rencontrer partout dans le champignon, de l’intérieur des vacuoles jusqu’aux régions interhyphiques.

Lorsqu’ils sont écrasés ou manipulés, les basidiomes de certaines espèces prennent une teinte rouge, jaune, brune, bleue, grise ou presque noire. D’autres espèces prennent une couleur orange, brune ou foncée avec l’âge. Ces « décolorations » sont accompagnées naturellement d’une production de nécropigments dans les hyphes, les basides ou les cystides (Fig. 7).

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Fig. 7 – Nécropigments. À gauche : Hericium americanum, scalp d’un aiguillon, Au centre et à droite : Cortinarius uliginosus, hyménium, basides.

Nos remerciements à Roland Labbé pour sa lecture critique.

* Ce texte est paru dans le Boletin de mai 2014 Volume 61 Numéro 2, sous le titre de « À propos des pigments fongiques »

Références :

  • Clémençon, H. (2012). Cytology and Plectology of the Hymenomycetes (2e éd.). Stuttgart: J. Cramer : 255-258
  • Isaac, S. (1994). Many Fungi Are Brightly Coloured; Does Pigmentation Provide Any Advantage To Those Species? Mycologist, Mycology Answers. Volume 8, Part 4
  • Izarra, Z. de. (2006). L’examen des champignons. Société Mycologique du Poitou. Bulletin Spécial numéro 6: 21-22
  • Josserand, M. (1952). La description des champignons supérieurs. Paul Lechevalier éd., Paris : 270-274
  • Largent, D., Johnson, D., Watling, R. (1977). How to Identify Mushrooms to Genus III: Microscopics Features. CA, É.-U.: Mad River Press Inc. : 36-38
  • Lecomte, M. & col. (2012). Séminaire de microscopie. Association des Mycologues Francophones de Belgique : 112-113
  • Moore, D., Robson, G., Trinci, T. (2011). 21st Century Guidebook to Fungi. Cambridge University Press, New York : 167-168
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2 Responses

  1. Jean Després

    Très intéressant. Je ne suis pas certain d’avoir bien compris ce passage « Ce sont des métabolites secondaires créés dans des circonstances particulières telles que l’atteinte d’un certain degré de développement ou l’absence d’un nutriment essentiel. ». Est-ce bien l’absence d’un nutriment qui peut provoquer la génération de la métabolite secondaire ?

    Jean Després

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