Des polyozelles… chanterelle bleue, noire ou brune.

Classé dans : Taxonomie-Systématique | 1

par Jacques Landry

On la nomme « Chanterelle bleue » même si l’on sait qu’elle peut prendre une variété de teintes entre le bleu et le noir et même le brun. Une équipe de mycologues, dirigée par Andrus Voitk de Terre-Neuve, vient d’en donner une explication. Polyozellus multiplex est un complexe d’espèces. Trois espèces distinctes ont été trouvées dans l’est de l’Amérique du Nord. Deux d’entre elles ont été trouvées  au Québec, P. multiplex et P. atrolazulinus, et une troisième s’y trouve tout probablement, P. mariae.

Pas tellement bleue la chanterelle bleue, et pas une chanterelle non plus.

Cantharellus multiplex a été décrite pour la première fois en 1899 par Lucien Underwood à partir d’une collection du Maine. Underwood n’a pas vu à l’état frais l’échantillon que lui avait envoyé Elisabeth Woodworth. Il décrit le spécimen séché comme étant noirâtre (« blackish ») sur le dessus et cendré (« cinereous ») en dessous, et cite les notes de terrain de Woodworth qui réfèrent à une couleur pourpre (« dull purple or purplish lead color ») pour le spécimen frais. D’abord placée dans le genre Cantharellus, cette espèce plus noire que bleue a été transférée au genre Polyozellus par Murrill en 1910. En fait, Polyozellus n’est pas du tout une chanterelle. Ce genre n’est même pas dans l’ordre des Cantharellales où sont les chanterelles, mais bien dans les Thelephorales avec les Sarcodon et les Hydnellum. Jusqu’à maintenant, le genre Polyozellus ne contenait qu’une seule espèce distribuée presque partout en Amérique et en Asie, au nord sous les conifères comme au sud dans les montagnes. On en trouvait des noires, mais aussi des bleues et des brunes, que l’on croyait toutes être des variantes de la même espèce. Au Québec, les Polyozellus ne sont pas très communes, elles sont cependant trouvées d’une façon régulière dans toutes les régions. Sur la page Facebook du Cercle des mycologues amateurs de Québec, des Polyozellus ont été rapportés une dizaine d’endroits au cours des deux dernières années (de la Gaspésie et Côte-Nord jusqu’en Mauricie). Pomerleau qui la nommait en français Polyozelle multiplex, en connaissait 5 ou 6 stations, alors que Mycoquébec en présente des photos d’Anticosti, du Lac-Saint-Jean, de Kamouraska et de Lanaudière.

Découverte d’une polyozelle brune

C’est la découverte d’un Polyozellus à chapeau brunâtre et à chair blanche, deux caractères inhabituels pour les Polyozellus classiques, qui a mis la puce à l’oreille d’Andrus Voitk. Il est donc parti à l’assaut des fungariums pour réétudier le type décrit par Underwood, mais aussi les différentes collections disponibles. Heureusement pour nous, son étude a également inclus quelques échantillons du Québec dont deux cueillis à Anticosti par une équipe de Mycoquébec, et deux autres de la région du Lac-Saint-Jean cueillis par Guylaine Gagnon et Rachelle Simard.

Les analyses préliminaires morphologiques ont immédiatement suggéré l’existence de trois groupes de Polyozellus, des brunes à grandes spores et, des noires et des bleues à petites spores. L’analyse phylogénétique faite à partir de la séquence d’ADN (ITS) de ces échantillons confirma la présence au total de cinq (5) espèces.

Au Québec, nous aurions 3 de ces espèces (Fig. 1). Des quatre échantillons analysés, un, cueilli à Labrecque au Lac-Saint-Jean, correspond à l’espèce originale de  P. multiplex (la noire), alors que les trois autres, dont deux en provenance d’Anticosti et un en provenance du territoire des Passes-Dangereuses, correspondent à une nouvelle espèce, une bleue, P. atrolazulinus. Une troisième espèce, P. mariae, la brune, n’a pas encore été trouvée au Québec, mais est présente à Terre-Neuve et au Maine.

 

Fig 1. Arbre phylogénétique des Polyozellus du Québec. L’analyse a été réalisée par la méthode de maximum de vraisemblance basé sur le modèle évolutif proposé par Tamura et Nei (1993). Les séquences ITS réalisées par Voitk et al (2018) ont été obtenues de Genbank et alignées avec MUSCLE. L’arbre a été construit avec le logiciel MEGA7 (Kumar et al. 2015). L’arbre le plus vraisemblable est illustré à l’échelle, la longueur des branches étant proportionnelle au nombre de substitutions par site. Les chiffres sur les branches indiquent la valeur de bootstrap pour 500 itérations. Le nom de l’espèce est suivi du numéro de séquence Genbank, de la localité et, le cas échéant, de la nature de la séquence référence (holotype ou épitype). Les collections du Québec sont en rouge.

Comment les distinguer?

Évidemment qu’il sera plus difficile de nommer les Polyozellus maintenant qu’il y en a au moins deux, sinon trois différentes espèces.. Il faut également modifier les noms scientifiques français puisque P. multiplex, désigné auparavant Chanterelle bleue sur Mycoquébec, est noir et n’englobe plus les spécimens bleus. Et quant à y être, pourquoi ne pas changer le nom « Chanterelle »  puisque ces champignons ne sont pas du tout des chanterelles, même pas au sens large comme les craterelles pourraient l’être à la limite ? Nous proposons donc de retourner au joli nom de Polyozelle, un nom qu’utilisait Pomerleau dans son livre des années 80.

 

Pas bleue, ni chanterelle

P. multiplex qui n’est pas bleu, reprendra sur Mycoquébec le nom utilisé par Pomerleau, celui de Polyozelle multiplex.

Le joli nom « polyozelle » est formé du grec ancien πολυ (polú) qui signifie beaucoup, οζος (ozos), pousse, branche, et du diminutif « elle ». Il nous rappelle que l’espèce était à l’origine considérée comme une chanterelle à plusieurs petites branches.

 

Polyozelle multiplex (la noire)

Jusqu’à maintenant, le nom P. multiplex était utilisé pour tous les Polyozellus, non seulement au Québec mais partout au monde. Cependant le vrai P. multiplex correspond seulement à l’espèce noire.  Elle se distingue de la brune  P. mariae  par de plus petites spores et des spatules de couleur noir luisant. D’autre part, elle n’est pas aussi bleue et zonée que P. atrolazulinus.  Elle a été trouvée dans l’est de l’Amérique du Nord, du Québec jusqu’à la Caroline du Nord, et aussi en Asie de l’Est et le sud de la Chine. Au Québec, une collection est confirmée de Labrecque au Lac-Saint-Jean (Fig. 2)

Fig 2. Polyozellus multiplex. Spécimen trouvé au même endroit à Labrecque que le spécimen séquencé pour l’article (Voitk et al 2018; Genbank no. MF100830).
PHOTO Guylaine Gagnon ©2015

 

Polyozelle bleu-noir (la bleue)

P. atrolazulinus a été trouvé dans l’Ouest comme dans l’Est. Les plus beaux spécimens sont bleu brillant et ne peuvent alors être confondus avec aucun autre Polyozellus (Fig. 3 et photo à la une). Cependant, leur coloration bleue devient de plus en plus foncée avec l’âge, tirant vers le bleu foncé, bleu-noir, (Fig. 4, 5) et se rapprochant de la coloration noir pourpré ou même noir teinté de bleu que prend  souvent P. multiplex. P. atrolazulinus a aussi une tendance plus forte que les deux autres à être zoné et il n’est pas brunâtre comme P. mariae. Finalement, tout comme P. multiplex, il se distingue facilement de P. mariae par la longueur de ses  spores. Il pourrait s’avérer aussi possible de distinguer P. atrolazulinus et P. multiplex par leurs spores. En effet, il semble que plusieurs collections de P. atrolazulinus aient des spores encore plus petites que P. multiplex.  Plus de collections devront être étudiées avant d’en être certain.

Trois collections ont été confirmées au Québec. Deux proviennent du même endroit, à une vingtaine de mètres l’une de l’autre sur l’île d’Anticosti, une troisième provient du territoire des Passes-Dangereuses.

 

Fig 3. Photo à la Une, Polyozellus atrolazulinus. Spécimen trouvé aux Passes-Dangereuses, au même endroit que le spécimen séquencé pour l’article (Voitk et al 2018; Genbank no. MF100828).  PHOTO Guylaine Gagnon ©2010

 

Fig 4. Polyozellus atrolazulinus. Spécimen trouvé à Anticosti, correspondant au spécimen séquencé pour l’article (Voitk et al 2018; Genbank no. MF100835). 
PHOTO Jacques Landry ©2015

 

Fig 5. Polyozellus atrolazulinus. Spécimen trouvé aux Passes-Dangereuses, au même endroit que le spécimen séquencé pour l’article (Voitk et al 2018; Genbank no. MF100828). 
PHOTO Guylaine Gagnon ©2010

 

Polyozelle de Marie (la brune)

Malgré qu’elle ne soit pas encore décrite du Québec, P. mariae est sans doute la plus facile à identifier parmi les trois. En plus d’avoir des spores plus longues, ses basidiomes sont plus grands, et contrairement à P. multiplex et P. atrolazurinus, sa chair est pâle et le demeure même après séchage. P. mariae est également nettement brunâtre à tous les stades de croissance (Fig. 6), alors que P. atrolazulinus et P. multiplex le sont seulement lorsqu’immatures dû à la présence de courts poils bruns.

 

Fig 6. Polyozellus mariae. Spécimen observé à Terre-Neuve. Cette espèce n’a pas encore été trouvée au Québec, mais sa présence est probable ayant été trouvée à Terre-Neuve et également dans l’État du Maine.
PHOTO : Andrus Voitk ©

En résumé :

  • Polyozellus atrolazulinus / Polyozelle bleu-noir : Espèce bleu clair, au moins lorsque jeune; chapeau zoné; spores de longueur plus petites que 7 µm, souvent sous les 6 µm.
  • Plolyozellus multiplex / Polyozelle multiplex : Espèce noire, sans coloration bleu clair; chapeau habituellement non zoné; spores entre 6 et 7 µm de longueur.
  • Polyozellus mariae / Polyozelle de Marie. Espèce brunâtre, même chez les spécimens matures ou séchés; chair blanche; spores plus grandes que 7 µm :

Remerciements

Merci beaucoup à Guylaine Gagnon et Andrus Voitk pour m’avoir accordé la permission d’utiliser leurs photos et à Roland Labbé pour la prélecture.

 

Bibliographie

  • Kumar S., Stecher G., and Tamura K. (2016). MEGA7: Molecular Evolutionary Genetics Analysis version 7.0 for bigger datasets.Molecular Biology and Evolution 33:1870–1874
  • Pomerleau R (1980) Flore des champignons au Québec et régions limitrophes. Les Éditions la Presse, Ltée
  • Tamura K., Nei M. (1993). Estimation of the number of nucleotide substitutions in the control region of mitochondrial DNA in humans and chimpanzees. Molecular Biology and Evolution 10:512-526.
  • Understood LM (1899) A new Cantharellus from Maine. Cantharellus multiplex. Bulletin of the Torrey Botanical Club 26:254–255.
  • Voitk A (2017a) Denver Blues. The Mycophile 57:11–15.
  • Voitk A (2017b) The Polyozellus Collection at the NY Botanical Garden’s Steere Herbarium. The Mycophile 57:5–10.
  • Voitk A, Saar I, Trudell S, et al (2018) Polyozellus multiplex (Thelephorales) is a species complex containing four new species. Mycologia 186:1–18.
Print Friendly, PDF & Email

Laisser un commentaire