Amanita lividella Y. Lamoureux nom. prov.

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L’Amanite livide, une nouvelle amanite du groupe Vaginata

Par Yves Lamoureux
Rédaction : Louise Rocheleau
Cet article a paru également dans le bulletin du Cercle des mycologues de Montréal, Le Mycologue, Vol. 40, No. 2 Juillet 2015.

Résumé

L’auteur rappelle les caractères communs aux espèces d’Amanita du groupe Vaginata. La découverte de la nouvelle entité A. lividella est racontée. Cette amanite est illustrée et décrite à titre provisoire. A. lividella se reconnaît à son chapeau sillonné et non zoné, de couleur pâle, beigeasse à crème rosé, à ses lames et sa chair rosées, à son pied non annelé, souvent concolore aux lames à l’apex, émergeant d’une volve membraneuse. A. lividella est comparé à A. albiceps et A. populiphila. Une clé de terrain permet de distinguer les diverses amanites vaginées connues au Québec.

 

Dans le tome deux de la série « Champignons du Québec », Lamoureux (2006) décrit et illustre neuf espèces du groupe Vaginata, dont cinq à titre provisoire, et mentionne que « d’autres entités restent à découvrir dans ce groupe particulièrement difficile ».

Rappelons d’abord que l’on reconnaît les amanites du groupe Vaginata, aussi nommées « amanites vaginées », à cet ensemble de caractères :

  • Voile général laissant un sac membraneux (volve) à la base du pied, soudé dans la partie inférieure et libre dans la partie supérieure.
  • Voile partiel absent.
  • Chapeau habituellement nu (sans restes du voile général ou parfois orné d’un ou deux-trois gros flocons), souvent omboné, à marge distinctement sillonnée dès le tout jeune âge. (Des restes vélaires sur le chapeau ne constituent pas un caractère d’identification chez les espèces de ce groupe, car leur présence est aléatoire, sauf chez A. populiphila.)
  • Lames poudreuses à l’arête.
  • Pied jamais annelé, glabre, duveteux ou chiné, non bulbeux, tout au plus tronqué et un peu élargi à la base.
  • Spores blanches, inamyloïdes (l’absence de réaction dans le Melzer va de pair avec la présence de sillons sur le chapeau, sans que l’on sache pourquoi).

Toutes les espèces du groupe Vaginata ont une silhouette quasiment identique. Celles-ci comptent parmi les amanites les plus petites et les plus élancées, même si quelques-unes sont très grandes. D’autre part, les basidiomes sont particulièrement fragiles, surtout à maturité.

On distingue les différentes amanites vaginées avant tout par la taille, la couleur du chapeau, les caractères de la volve (texture et couleur), l’absence ou la présence de chinures sur le pied, ainsi que par leurs partenaires symbiotiques et les types de forêts qu’elles habitent.

Le groupe comprend des entités de différentes couleurs, jadis considérées comme de simples formes et regroupées sous le nom d’Amanita vaginata. Les techniques modernes ont éventuellement démontré que plusieurs espèces distinctes se cachaient sous ce nom. Ces amanites ont en général des caractères microscopiques assez semblables. Il ne fait pas de doute que l’étude de leurs profils génétiques aidera à distinguer de nouvelles espèces, tout en démêlant ce groupe complexe.

La découverte d’une nouvelle amanite

Même si nous visitions régulièrement une forêt à Saint-Côme depuis l’an 2004, ce n’est qu’en août 2010 que nous y avons trouvé, pour la toute première fois, une Amanite livide. Un seul basidiome, au beau milieu d’un chemin ensoleillé, à l’orée d’une sapinière : de loin, on aurait dit une amanite blanche. Mais une fois cueillie, il devenait évident qu’il n’en était rien.

Bien que pâle, le chapeau est distinctement coloré. Il s’agit d’une espèce du groupe des amanites vaginées. Comme il est toujours risqué de juger une espèce à partir d’un seul spécimen, nous avons pensé qu’il pouvait s’agir d’un champignon connu, mais délavé pour une quelconque raison. D’autant plus qu’Amanita fulva, la plus commune des amanites vaginées au Québec, se trouvait un peu partout sur le site.

Mais cette amanite isolée nous intriguait vraiment. Nous avons donc préféré attendre avant de porter un jugement définitif sur l’espèce, espérant trouver d’autres spécimens tôt ou tard. L’unique basidiome a tout de même été photographié sous divers angles (figures 1, 2 et 3), puis nous avons pris une sporée et conservé l’échantillon séché.

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Figure 1. Collection Lamoureux 4149. Première récolte de l’espèce; basidiome approchant la maturité.
Figure 2. Collection Lamoureux 4149. À gauche : chapeau à l’envers montrant les lames du basidiome illustré par la figure 1; à droite : lames du même chapeau après sporulation.
Figure 2. Collection Lamoureux 4149. À gauche : chapeau à l’envers montrant les lames du basidiome illustré par la figure 1; à droite : lames du même chapeau après sporulation.
Figure 3. Collection Lamoureux 4149. Surface du chapeau après sporulation, même basidiome qu’illustré par la figure 1.
Figure 3. Collection Lamoureux 4149. Surface du chapeau après sporulation, même basidiome qu’illustré par la figure 1.

Durant les années qui ont suivi, nous avons visité le site régulièrement, sans jamais revoir l’amanite tant recherchée… Mais voilà que quatre ans plus tard, le 4 septembre 2014, l’Amanite livide réapparut enfin (figure 4). Un seul basidiome encore une fois, au milieu d’un stationnement, à une dizaine de mètres de l’endroit où nous avions trouvé le tout premier spécimen. Cette fois-ci, le champignon se dressait tout près d’un jeune bouleau blanc d’une quinzaine d’années. Aucun autre arbre à proximité. Tout comme en 2010, le chapeau était pâle; il ne s’agissait donc pas d’une espèce décolorée, nous en étions maintenant convaincu. Le spécimen se fait photographier, sécher, puis conserver, tout en espérant trouver plus d’un basidiome d’un seul coup. Nous choisissons d’attendre encore avant d’attaquer l’étude complète de cette mystérieuse espèce.

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Figure 4. Collection Lamoureux 4181. Deuxième basidiome récolté. Remarquez la volve divisée en deux parties sur le pied.

Notre patience fut récompensée! Environ deux semaines plus tard, le 16 septembre, exactement au même endroit, trois nouveaux basidiomes nous attendent (figure 5) : un à mi-développement, deux au stade de primordium. La couleur du chapeau est toujours semblable, terne et pâle. Plus de doute, nous ne connaissons pas cette espèce, et avons enfin tout ce qu’il faut pour l’étudier.

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Figure 5. Collection Lamoureux 4294. De gauche à droite : primordium en coupe illustrant la teinte rosée des lames et de la chair, basidiome approchant la maturité, primordium entier.

Amanita lividella se distingue de ses semblables avant tout par l’étrange couleur de son chapeau. Elle est en effet si difficile à interpréter que nous nous sommes mis à deux, le mycologue et l’aquarelliste, pour bien juger de sa pigmentation, photos des collections précédentes en main. D’ailleurs, dans un cas aussi difficile, la prudence exige d’accorder autant d’importance à la description de la couleur qu’aux photos. Même si la teinte des photos a été ajustée à l’aide d’un carton gris neutre, la couleur des champignons ne paraîtra pas la même pour tous, les divers ordinateurs, tablettes et téléphones intelligents ayant des écrans différemment calibrés.

Dans la littérature disponible, autant européenne que nord-américaine, aucun taxon déjà décrit ne correspond bien à cette entité. Nous nous devions alors de la décrire. Après avoir longtemps tergiversé, à cause de la couleur particulière de l’espèce, ma Douce et moi avons conclu : elle est livide!

Description des principaux caractères d’Amanita lividella

  • Basidiome petit à moyen.
  • Chapeau atteignant 4 à 5 cm de diamètre, habituellement dépourvu de restes vélaires, lisse, viscidule, terne et pâle, de couleur crème rosé, beigeasse, brunâtre ou grisâtre, parfois plus foncé sur le disque (gris-brun à brun jaunâtre), distinctement sillonné sur le quart ou le tiers du rayon, à marge plus pâle.
  • Lames distinctement rosées à crème rosé dans le jeune âge, plus pâles avec l’âge, poudreuses à l’arête. La teinte rose s’accentue au séchage, en plus de prendre parfois une vague coloration grisâtre.
  • Pied atteignant 10 à 15 cm de hauteur et 0,8-1,2 cm de largeur à l’apex, égal ou à peine aminci vers le haut, tronqué et un peu élargi à la base, creux, jamais annelé, au revêtement finement floconneux, blanchâtre, souvent concolore aux lames dans la partie supérieure, émergeant d’une volve membraneuse.
  • Chair mince, fragile, teintée dans le chapeau et le haut du pied de la même couleur que les lames, blanchâtre ailleurs, à odeur et saveur non distinctives.
  • Voile partiel absent.
  • Voile général membraneux, fragile, persistant sous forme d’un sac soudé au pied dans la partie inférieure, libre et plus ou moins évasé dans la partie supérieure, blanc, parfois grisâtre par endroits.
  • Spores blanches en tas, globuleuses, inamyloïdes, 8,8-11,5 x 8,3-9,3 µm, surtout 10-10,5 x 8,5-9 µm (atteignant 12 x 10 µm vues de face). Qm= 1,17.

Habitat et période de fructification : lié au bouleau blanc, en terrain ouvert, sur sol sablonneux et rocailleux, en août et septembre.

Espèces semblables

Amanita populiphila, au Québec lié au peuplier deltoïde, diffère d’A. lividella par sa taille plus grande et par son chapeau différemment coloré, souvent en partie couvert de restes du voile général. A. albiceps, lié au peuplier faux-tremble, se distingue des deux précédents par son chapeau blanc pur, tout au plus jaunâtre ou brunâtre sur le disque.

Clé de terrain des espèces d’Amanita du groupe Vaginata¹

Cette clé fonctionne ainsi : choisissez d’abord entre les deux no ; si votre choix est le premier no , vous devez alors choisir entre les deux no ; et selon le cas, entre les nos ③ ou les nos . Si votre premier choix est le deuxième no , choisissez simplement entre les nos .

 

Taille petite ou moyenne (basidiome atteignant environ 7 à 15 cm de hauteur)

Chapeau jamais zoné, pâle, blanc, beigeasse, rosâtre ou cendré

Chapeau blanc, parfois jaunâtre ou brunâtre sur le disque. Lames rosées. Volve blanche. Surtout sous peuplier faux-tremble … A. albiceps

(Voyez aussi A. populiphila², au Québec sous peuplier deltoïde.)

Chapeau toujours pâle mais distinctement pigmenté, crème rosâtre à jaunâtre-grisâtre, parfois plus foncé sur le disque. Lames rosées. Pied rosé à l’apex. Volve blanche ou grisâtre. Sous bouleau … A. lividella

Chapeau toujours uniformément gris cendré pâle. Volve petite, blanche ou grisâtre. Basidiome de petite taille. Sous chêne et bouleau … Amanita sp.3,4 (non étudié)

Chapeau parfois zoné, vivement coloré ou foncé (sauf à la marge), orange rosé, jaune olive, fauve, brun orangé, brun-gris, noirâtre, etc.

Chapeau gris-brun ou gris foncé, souvent zoné. Volve blanche ou grisâtre. Sous feuillu … A. fuscozonata5

Chapeau brun-noir à brun jaunâtre foncé, souvent zoné. Volve blanche, tachée de brun-roux. Sous épinette … A. subnigra

Chapeau jaune olivâtre à jaune brunâtre, parfois zoné. Volve toujours grise au moins par endroits. Sous conifère … A. sinicoflava

Chapeau beige rosé, jaune rosé, orangé à orange vif, non zoné. Pied souvent chiné d’orangé à maturité. Volve blanche ou orangée. Sous hêtre … A. crocea

Chapeau fauve à brun orangé, non zoné. Pied non chiné, blanc à fauvâtre. Volve blanche, tachée de roux. Sous conifère, parfois sous bouleau … A. amerifulva

Chapeau brun orange, zoné. Pied parfois chiné. Volve blanche, rosée, rousse ou grisâtre. Sous chêne, caryer et charme … A. pseudofulva

Taille grande (basidiome atteignant environ 22 à 30 cm de hauteur)

Chapeau jaune olivâtre à jaune brunâtre, plus foncé sur le disque, parfois zoné. Sous chêne … A. elongatior

Chapeau brun à gris noirâtre, plus foncé sur le disque, zoné. Sous hêtre … A. magna

Chapeau brun roux à brun orange vif, zoné ou non. Pied non chiné (toujours?). Sous chêne … Amanita sp.3,6 (non étudié)

Notes 
  1. A. vaginata ss. str. est une espèce apparemment absente en Amérique du Nord selon Rod Tulloss, spécialiste du genre Amanita (comm. orale).
  2. Trouvé au Québec par Raymond McNeil.  Nous ne connaissons pas assez Amanita populiphila pour l’inclure dans la clé.
  3. Les espèces identifiées « Amanita sp. » dans la clé ont été vues par l’auteur sans avoir été récoltées, faute de basidiome de qualité. Il s’agit d’entités à rechercher.
  4. Petite espèce à chapeau uniformément gris cendré pâle et à petite volve illustrée par Raymond McNeil et Fernand Therrien sur Mycoquebec.org, sous Amanita vaginata s. l.
  5. La plupart des photos d’A. vaginata s. l. sur le site Mycoquebec.org correspondent à A. fuscozonata.
  6. L’espèce désignée « Amanita sp. », à la toute fin de la clé, n’est pas illustrée sur Mycoquebec.org. Toutes les autres le sont.

Références

DESPRÉS, J., Y. Lamoureux, R. Boyer, R. Archambault & A. Jean, 2002. Mille et un champignons du Québec. (Cédérom). Montréal : Cercle des mycologues de Montréal. 1 disque au laser d’ordinateur; 4 ¾ po.

LAMOUREUX, Y., 2006. Champignons du Québec. Tome 2. Les Amanites. Montréal : Cercle des mycologues de Montréal. 109 pages, 26 planches photographiques.

LANDRY, J. & R. LABBÉ. Mycoquébec. [en ligne]. http://www.mycoquebec.org/ [page consultée le 17/6/2015].

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