Le Gomphide boréal, pas exclusif à la Sibérie.

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Gomphidius borealis fait son entrée dans l’index Mycoquébec des espèces.

par Jacques Landry et Roland Labbé.

Notre perception de l’espèce de gomphide retrouvée le plus fréquemment chez nous, Gomphidius glutinosus, est en train de changer. Ce sont les conséquences de la découverte d’un nouveau gomphide, Gomphidius borealis O.K. Mill., Aime & Peintner (Miller et al., 2002), qui se cachait à travers nos collections de Gomphidius glutinosus, ayant ainsi mystifié nos plus vigilants mycologues pendant des années.

Avec l’ajout de Gomphidius borealis, l’inventaire des Gomphidius au Québec passe de trois à quatre espèces.

Gomphidius borealis
Gomphidius glutinosus
Gomphidius maculatus
Gomphidius nigricans

D’abord décrit de la Sibérie il y a 20 ans et considéré tout ce temps comme une espèce unique à ce territoire, Gomphidius borealis vient d’être formellement identifié à Terre-Neuve, une découverte rapportée dans la revue Omphalina du mois de mars 2014 (Aime et Voitk, 2014; Voitk, 2014).

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Figure 1. Gomphidius borealis montrant une coloration orange typique entre les lames et une région annuliforme très peu développée. Val-Senneville, en Abitibi-Témiscamingue.
PHOTO : Patrick Poitras.

Des spécimens initialement identifiés comme G. glutinosus mais, qui apparaissaient un peu bizarres à l’oeil averti d’un mycologue terre-neuvien, ont finalement attiré l’attention d’une experte en Gomphidius. Le séquençage des spécimens disponibles a révélé une belle surprise : la plupart de ces gomphides étaient en fait des Gomphidius borealis, une espèce qui n’avait pas été revue depuis sa description originale de trois collections sibériennes. En fait, G. borealis avait déjà été décrit au Labrador en 2008, mais la découverte était passée inaperçue.

Figure 2. Gomphidius glutinosus et son épais gluten sur les lames. Saint-Casimir, comté de Porneuf
PHOTO : Renée Lebeuf.

Le grand nombre de collections différentes trouvées à Terre-Neuve  a permis aux auteurs d’en faire une description très précise, ce qui permettra, désormais, de les distinguer sur le terrain. Mais déjà, G. borealis a pu être reconnu sur quelques photos identifiées initialement comme G. glutinosus sur Mycoquebec.org.

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Il faudra tout de même un peu d’expérience avant de pouvoir distinguer les deux espèces avec certitude. Parmi les caractères décrits (Tableau I), trois semblent particulièrement discriminants, tout au moins à Terre-Neuve.

Premièrement, G. borealis a une coloration nettement orangée. La couleur orange ne se retrouve que chez G. borealis et elle est surtout évidente sous le chapeau, entre les lames.

Deuxièmement,  seul G. glutinosus peut avoir un épais gluten sur le chapeau et un voile glutineux recouvrant les lames au début (voir Fig. 3).

Fig. 3. Gluten recouvrant les lames d’un G. glutinosus. Gros plan de la fig. 2.

Ce voile glutineux se retrouve à la zone annuliforme chez les individus matures.  Les auteurs ont cependant noté qu’à Terre-Neuve, la présence d’un gluten épais sur G. glutinosus, tel que rapporté dans  les descriptions officielles, n’était pas un caractère utile. Ceci restera à vérifier sur les collections québécoises.

Chose certaine, on ne voit jamais ce gluten épais chez G. borealis et le voile qui recouvre les lames chez les jeunes spécimens est plutôt cortinoïde (voir Fig. 4). La présence de cette « cortine »  constitue un caractère nécessaire et suffisant pour le distinguer de G. glutinosus. Chez les individus matures, la zone annuliforme est à peine visible malgré la coloration noire due à la sporée. Ce caractère n’est pas très utile.

Source : Extrait de la page couverture de Omphalina vol 5 No 4. Avec la permission de Andrus Voitk.

 

Finalement, le ménage à trois :  Raymond Boyer (2004) décrivait ainsi l’habitat de G. glutinosus : « Sur le sol sous les épinettes noires et les sapins, de juillet à octobre. On le rencontre souvent accompagné du bolet glanduleux, Suillus glandulosus, les deux croissant à proximité, parfois appuyés l’un sur l’autre. » Cette observation a été également faite par plusieurs  comme l’illustrent les nombreuses photos où ces deux champignons sont intimement associés.

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Suilluis glandulosus et Gomphidius borealis. Région de Québec,
PHOTO : Jules Cimon
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Suilluis glandulosus et Gomphidius borealis, Région de Rimouski,
PHOTO : Pauline Dubé.

Ce que nous révèle l’étude terre-neuvienne, c’est que ce n’est pas G. glutinosus mais plutôt G. borealis qui est associé à Suillus glandulosus, lui-même étant associé au sapin baumier et à l’épinette noire.  La présence de S. glandulosus à proximité serait même un excellent critère pour identifier G. borealis. Quant à G. glutinosus, bien que ce soit hypothétique pour le moment, ce serait plutôt avec un hypogé, Rhizopogon pseudoroseus, qu’il serait associé, alors que ce dernier est lui-même associé au pin rouge. R. pseudoroseus n’a jamais été observé au Québec mais il est fort possible qu’il ait été confondu avec R. roseolus, ces deux espèces étant très semblables. Cependant, un autre partenaire est possible, car des spécimens avec les caractères typiques de G. glutinosus sont retrouvés sous des épinettes au Québec (Yves Lamoureux, communication personnelle, 2014)

Suillus, Gomphidius et Rhizopogon font partie de la même branche phylogénique. Dans ce groupe de champignons, la compétition pour les ressources a généré des interelations pas toujours amicales : un  ménage à trois,  deux champignons et un arbre.  Le cas de Gomphidius roseus et Suillus bovinus qui sont associés au pin sylvestre en Europe (Olsso et al., 2000) a été bien étudié. En général, dans cette association,  le Suillus peut se développer sans le Gomphidius, cependant, ce dernier ne peut exister sans le Suillus. On retrouve le Gomphidius intimement associé au Suillus dans les manchons de mycorhize et il forme des haustoria ou suçoirs avec le pin.  Le Gomphidius n’a que très peu de mycélium et ses hyphes s’étendent dans le carpophore du Suillus. Une interprétation de ces données est que le Gomphidius serait un parasite de l’association mycorhizienne entre le Suillus et le pin. Quoique non formellement démontré, le même type d’association existe probablement entre G. borealis et S. glandulosus.

L’association proposée à Terre-Neuve entre G. glutinosus et Rhizopogon pseudoroseolus est basée sur une association qui a déjà été démontrée entre G. glutinosus et un Rhizopogon, les hyphes de ce dernier ayant été retrouvés dans le pied du carpophore du Gomphidius (Agerer, 1991).   Cependant, ce n’est pour le moment qu’une hypothèse émise après que l’on ait retrouvé des exemplaires de R. pseudoroseolus sur le même site où l’on a trouvé G. glutinosus.  Cette information devra être vérifiée sur les sites de fructification du vrai G. glutinosus au Québec.

Remerciements à Jules Cimon, Pauline Dubé, Renée Lebeuf et Patrick Poitras pour la permission d’utiliser leurs photos.

Références

Agerer, R. (1990). Studies on ectomycorrhizae XXIV. Ectomycorrhizae of Chroogomphus helveticus and C. rutilus (Gomphidiaceae, Basidiomycetes) and their relationship to those of Suillus and Rhizopogon. Nova Hedwigia 50: 1–63.

Aime, M.C. et Voitk, A. (2014). Gomphidius in Newfoundland et Labrador with a redescription of Gomphidius borealis. Omphalina 5(4): 3-10.

Boyer, R. (2004). Les champignons de Sept-Îles. http://w2.cegepsi.ca:8080/raymondboyer/

Orson K Miller, J., Aime, M.C., Camacho, F.J., Peintner, U. (2002). Two new species of Gomphidius from the Western United States and Eastern Siberia. Mycologia 94, 1044–1050.

Olsson, P.A., Münzenberger, B., Mahmood, S., Erland, S. (2000). Molecular and anatomical evidence for a three-way association between Pinus sylvestris and the ectomycorrhizal fungi Suillus bovinus and Gomphidius roseus. Mycol Res 104, 1372–1378.

Voitk, A. (2014). The three-way life of Gomphidius. Omphalina 5(4): 11-13.

 

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2 Responses

  1. Roland Tremblay

    Très intéressant comme info, on ouvrira l’oeil. Je tiens toutefois à souligner que l’association à l’essence d’arbre dans le tableau mentionne l’épinette blanche pour le G. borealis, alors que dans le texte c’est l’épinette noire… Une erreur?

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