Panaeolus antillarum, une nouvelle espèce pour le Québec

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Par Renée Lebeuf

Le mois de juin est un mois où la diversité fongique est faible. Pour cette raison, il s’agit d’un temps idéal pour partir à la recherche de champignons fimicoles. Les centres équestres sont particulièrement favorables à cet égard. On y trouve toute une variété de champignons dans le fumier de cheval, en particulier du genre Panaeolus, qui peuvent présenter un intérêt pour les mycologues. Lors d’une excursion dans un tel centre, j’ai eu l’occasion d’observer de jeunes spécimens d’un champignon blanc au chapeau convexe et visqueux, au pied visqueux et dont les lames étaient larges, blanches à l’arête et portaient des spores noires formant des taches. Ces différents caractères m’ont amenée à soupçonner la présence d’un Panaeolus. En fouillant dans la littérature, j’ai constaté qu’il existait deux Panaeolus à chapeau blanc, mais un seul sans voile partiel : Panaeolus antillarum. L’examen microscopique m’a permis de confirmer qu’il s’agissait bien de cette espèce.

Panaeolus antillarum
Panaeolus antillarum

Voici une description sommaire de ma collection :

  • Chapeau : 1,2-2,4 cm, hémisphérique, blanc, visqueux mais vite sec, non hygrophane.
  • Lames : ascendantes-adnées, convexes, 0,3-0,6 cm de largeur, serrées, crème puis mouchetées de noir, demeurant blanchâtres à l’arête.
  • Pied : 5,5-10 x 0,3-0,4 cm, strié, pruineux dans le haut, blanchâtre, cassant, visqueux.
  • Chair concolore, mince.
  • Sporée noire.
  • Odeur nulle. Saveur ? (je n’ai pas osé y goûter…)
  • L’espèce serait comestible et ne renferme pas de substances psychoactives.

Les spécimens que j’ai cueillis étaient petits pour l’espèce, mais nous avons aussi trouvé des spécimens beaucoup plus gros, mais séchés, qui appartenaient de toute évidence à cette espèce. Le chapeau de P. antillarum peut atteindre 10 cm de diamètre. Voici maintenant mes données microscopiques.

  • Spores : 15-18 x 10-12,5 x 7-9 µm, hexagonales de face, ellipsoïdes de profil, à paroi épaisse, à pore germinatif tronqué, brun très foncé, lisses. (La valeur des spores va comme suit : longueur x largeur de face x largeur de profil.)
  • Basides tétrasporiques, largement clavées, 32-37 x 14 µm.
  • Pileipellis en ixohyméniderme épithélioïde.
  • Caulocystides très abondantes, cylindriques-flexueuses, atteignant 70 x 7-9 µm, le plus souvent fasciculées.
  • Cheilocystides formant une bande stérile, ventrues, subutriformes, sublagéniformes, 28-45 x 8‑13 µm.
  • Sulphidies abondantes sur les faces et à l’arête des lames, clavées, souvent mucronées, 31‑62 x 13-17 µm.
Spores
P. antillarum possède des spores distinctement hexagonales de face, alors que celles de P. semiovatus var. phalaenarum sont moins larges et non distinctement hexagonales

Parmi la dizaine de Panaeolus qu’on peut trouver sur le crottin de cheval au Québec, P. antillarum est le seul à posséder un chapeau blanc visqueux et à ne pas avoir de voile partiel. P. semiovatus peut lui aussi avoir un chapeau blanc visqueux, mais il possède un voile partiel sous forme d’anneau (var. semiovatus) ou de restes de voile à la marge (var. phalaenarum). Une autre différence importante entre P. semiovatus var. phalaenarum et P. antillarum est la forme des spores : de face, P. antillarum possède des spores distinctement hexagonales, alors que celles de P. semiovatus var. phalaenarum sont moins larges et non distinctement hexagonales. Les deux espèces possèdent des sulphidies (cystides similaires à des chrysocystides, mais dont la couleur jaune est présente avant l’ajout de KOH, contrairement aux chrysocystides vraies, qui sont blanches avant l’ajout de KOH).

Les deux espèces possèdent des sulphidies (cystides similaires à des chrysocystides, mais dont la couleur jaune est présente avant l’ajout de KOH, contrairement aux chrysocystides vraies, qui sont blanches avant l’ajout de KOH).
P. antillarum et P. semiovatus possèdent des sulphidies (cystides similaires à des chrysocystides, mais dont la couleur jaune est présente avant l’ajout de KOH, contrairement aux chrysocystides vraies, qui sont blanches avant l’ajout de KOH).

Dans sa Flore, Pomerleau fait mention sous P. semiovatus d’ « un champignon de taille, de forme et de couleur assez semblables au P. semiovatus, mais quelque peu différent par le pied sans anneau et les craquelures du chapeau » qu’« on trouve occasionnellement au sud du Québec, sur les tas de fumier ». Il pourrait s’agir de P. antillarum, car, outre son absence de voile partiel, cette espèce a aussi un chapeau qui craque par temps sec; toutefois, comme Pomerleau ne mentionne pas s’il y a ou non des restes de voile à la marge, il est impossible de l’affirmer avec certitude. Par ailleurs, Peck a décrit sous le nom d’Agaricus solidipes (1872) un champignon blanc à partir d’une collection faite à West Albany, dans l’État de New York. Selon la description et la planche, il s’agirait de P. antillarum. La plupart des auteurs considèrent maintenant ces deux taxons comme synonymes. P. antillarum a aussi été décrit sous d’autres noms par plusieurs autres auteurs (Agaricus sepulchralis, Panaeolus teutonicus, Agaricus eburneus, P. ovatus), ce qui n’est pas étonnant vu la grande distribution spatiale du champignon. La synonymie de ces différentes espèces semble fixée, et, après beaucoup de confusion (même jusqu’à tout récemment), les caractères distinctifs des deux variétés de P. semiovatus et de P. antillarum semblent bien établis.

Voici un petit tableau résumant les caractères macroscopiques permettant de distinguer P. antillarum (= P. solidipes) de P. semiovatus var. semiovatus et de P. semiovatus var. phalaenarum (= P. phalaenarum) :


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P. antillarum a été décrit pour la première fois en 1828 par Fries à partir d’une collection faite par un pharmacien danois, Peder Eggert Benzon, aux Îles Vierges américaines, d’où son nom. Cette espèce, considérée comme thermophile, a été répertoriée sur tous les continents dans des régions tropicales ou subtropicales, mais aussi dans des régions tempérées. Aux États-Unis, elle a été recensée dans les États du Sud (Alabama, Arizona, Californie, Kansas, Louisiane, Nevada, Caroline du Sud), mais aussi dans les États de New York, Pennsylvanie, Ohio, et Virginie occidentale. Selon Halama (2014), elle n’aurait pas encore été répertoriée au Canada, bien qu’elle ait sans doute été trouvée auparavant. Il est à noter que notre récolte a été faite pendant une période de chaleur et de pluies assez abondantes à Mascouche, dans la région de Montréal, à la fin de juin. Le substrat préféré de P. antillarum semble être le crottin de cheval, mais il peut aussi pousser sur d’autres types d’excréments, dont celui des bovins. Une recherche plus systématique dans l’habitat particulier que constitue le fumier, plus particulièrement le fumier de cheval, devrait permettre de retrouver l’espèce assez rapidement.

Je souhaite remercier André Paul pour son aide dans la détermination de l’espèce et Joseph Nuzzolese de m’avoir amenée sur le site où le champignon a été trouvé.

Références

  • Doveri, F. (2004).  Fungi fimicoli Italici: a guide to the recognition of basidiomycetes and ascomycetes living on faecal material. Vicenza, A.M.B. Fondazione Studi Micologici, 1104 p.
  • Eyssartier, G. et Roux, P. (2011). Le Guide des champignons – France et Europe, Éditions Belin, 1120 p.
  • Knudsen H. et  Vesterholt, J. (2012). Funga Nordica, Nordsvamp, Copenhague, 1083 p.
  • Halama, M., Witkowska, D., Jasicka-misiak, I., Poliwoda, A.  (2014) An adventive Panaeolus antillarum in Poland (Basidiomycota, Agaricales) with notes on its taxonomy, geographical distribution, and ecology. Cryptogamie, Mycologie, 35:3-22.
  • Peck, C. H. (1872). Report of the botanist. Annual report of the Regents of the University of the State of New York on the condition of the State Cabinet of Natural History, and the historical and antiquarian collection, Annexe 23:27-135.
  • Pegler, D. N. (1983). Agaric Flora of the Lesser Antilles, Kew Bulletin Additional Series IX, Londres, 668 p.
  • Pomerleau, R., (1980). Flore des champignons au Québec et des régions limitrophes. Les Éditions la Presse, Ltée., Montréal,  653 p.
  • Roux, P., 2006  Mille et un champignons, Édition Roux, Sainte-Sigolène,  1224 p.
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