Hommage au champignon de Paris

Classé dans : Champignon vedette, Microscopie | 1

par Guy Fortin

Nous connaissons tous le champignon de Paris, le champignon le plus cultivé et le plus connu dans le monde (Fig. 1).

 

Fig. 1- Champignons de Paris (Agaricus bisporus) d’épicerie. ©Guy Fortin

Un peu d’histoire

Il fait partie des champignons de couche, les champignons qui poussent sur des couches de substrat. Ce type de culture serait apparu en Extrême-Orient il y a plusieurs milliers d’années. Il y a plus de 2000 ans, les Grecs utilisaient du fumier de cheval mélangé à de la cendre comme substrat qu’ils étendaient sur des couches de branches de figuier pour faire pousser des champignons [1].

Ce n’est cependant qu’au 17e siècle, dans les environs de Paris, que sa culture commerciale a commencé. Ce serait par hasard qu’on a découvert qu’il poussait spontanément dans des caves humides sur du fumier de cheval. Contrairement au champignon de couche classique qui pousse à l’air libre, le champignon de Paris pousse à l’humidité dans des grottes et c’est dans les catacombes de Paris que les premières champignonnières souterraines sont apparues [2]. Elles y sont demeurées jusqu’à la fin du 19e siècle. La construction du métro a alors obligé les producteurs à quitter Paris pour la région de Saumur où se fait actuellement la majeure partie de la production française [3].

Un peu d’économie

La production mondiale de champignons de Paris s’élève à 2,5 millions de tonnes [3].

On le cultive aujourd’hui presque partout, principalement en Chine. Cette dernière domine largement le marché mondial avec ses 10 millions d’éleveurs. Suivent, l’Europe (Pologne, Pays-Bas et France) et les États-Unis [4]. Le Canada vient loin derrière avec une production de 85 000 tonnes de champignons de Paris par année. L’Ontario en produit plus de 50%, la Colombie-Britannique environ 35% et les Prairies, 10%. Le Québec et les Maritimes se partagent le dernier 5% [5].

Au Québec, lorsque vous mangez des champignons de Paris, il est fort probable qu’ils proviennent de l’Ontario ou de la Chine.

Un peu de linguistique

Le nom scientifique du « champignon de Paris » est Agaricus bisporus.

Le nom de genre Agaricus a une origine incertaine et plusieurs hypothèses ont été suggérées sur son origine. En voici deux :

Une première hypothèse fait dériver le nom Agaric de la racine latine ager, agris, qui signifie « champ ». En effet, beaucoup d’Agaricus poussent dans des zones ouvertes. Cependant, Agaricus dérive du mot grec ἀγαρικόν (agaricon) qui, de Dioscorides (1° siècle apr. J.-C.) jusqu’à Linné, a été exclusivement utilisé pour désigner les champignons qui poussent sur le bois. Linné a changé sa définition pour inclure dans le genre Agaricus, toutes les espèces qui ont un hyménium lamellé [6].

Une autre hypothèse, celle-là généralement acceptée, propose que le nom du genre Agaricus dérive du nom d’une région de la Sarmatie appelée Agaria d’où le champignon Agaricon provient. La Sarmatie était une vaste plaine au nord de la mer Noire en Russie [6].

Le nom d’espèce bisporus, ou bisporé, signifiant « à deux spores », est particulièrement bien approprié puisqu’il décrit une caractéristique permettant d’identifier sans hésitation le champignon de Paris, ses basides portant deux spores presque invariablement et constamment.

Voici ce qu’en disent Parra et Kerrigan dans leur récente monographie [6,8] (Traduction libre) :

« Agaricus bisporus var. bisporus est facilement identifiable parmi les autres taxons européens parce que c’est le seul taxon avec des basides majoritairement bisporiques. La couleur du pileus, la stature du basidiome, l’intensité du changement de couleur du contexte et, dans une certaine mesure, la taille des spores, varient entre les collections, par conséquent je n’attache aucune signification taxonomique à de telles variations de caractère. » [6]

« La seule espèce connue pour, de façon constante, avoir majoritairement des basides bisporiques est A. bisporus; cependant, quelques espèces dans les sections Bivelares et Arvenses) et peut-être Chitonioides (per Singer, 1984), peuvent présenter cette condition transitoirement. » [8]

Beaucoup de microscopie

Mises à part ses basides bisporées, majoritaires et constantes, Agaricus bisporus, en microscopie optique, ressemble aux autres membres du genre Agaricus et ses diverses structures observées au microscope n’ont pas de valeur taxonomique [8].

La sporée en tas est brun foncé et très uniforme dans toutes les sections du genre Agaricus (Fig. 2).

Fig. 2- Agaricus bisporus. Sporée brun foncé. ©Guy Fortin

 

Les spores sont ellipsoïdes, lisses, à paroi épaissie, sans pore germinatif, avec appendice hilaire, généralement multiguttulées, brun rougeâtre dans l’ammoniaque (Fig. 3).

(6) 6,2 – 6,9 (8,1) × (4,5) 4,6 – 5,2 (5,6) µm

Q = 1,3 – 1,4 (1,5) ; N = 31

Me = 6,5 × 4,9 µm ; Qe = 1,3

Fig. 3- Agaricus bisporus. Spores observées à partir d’une sporée, dans l’ammoniaque 2,5%. ©Guy Fortin

 

La trame lamellaire est régulière à sous-régulière formée de courtes hyphes cylindriques à paroi mince et lisse, non resserrées aux septa (Fig. 4).

Dimension des hyphes de la trame lamellaire : Me = 51,1 × 6,7 µm ; N = 12

Fig. 4- Agaricus bisporus. Trame lamellaire régulière à sous-régulière. ©Guy Fortin

 

Le sous-hyménium est celluleux, formé de petites cellules globulaires ou cylindriques supportant les basides, les basidioles ou les cheilocystides à l’extérieur, et accolées aux cellules de la trame lamellaire à l’intérieur. Le sous-hyménium est semblable chez toutes les espèces du genre Agaricus et n’est pas considéré comme un caractère taxonomique significatif (Fig. 5).

Dimension approximative des cellules du sous-hyménium : Me = 9,6 × 6,7 µm ; N = 16

Fig. 5- Agaricus bisporus. Basides et cellules du sous-hyménium. ©Guy Fortin

 

Les basides sont clavées à largement clavées, surtout bisporées, mais fréquemment monosporées, à stérigmates pointus, non bouclées à la base (Fig. 6).

Dimension des basides : 22,1 – 27,1 × 5 – 6,3 µm; Me = 24,4 × 5,8 µm ; N = 12

Longueur des stérigmates : 3,2 – 4,6 µm; Me = × 4,0 µm; N = 14

Fig. 6- Agaricus bisporus. Basides majoritairement bisporées. ©Guy Fortin

 

Les pleurocystides sont absentes

Les cheilocystides sont nombreuses, en faisceaux, dispersées sur toute l’arête lamellaire, largement clavées à cylindriques, souvent apprimées (Fig. 7).

Dimension des cheilocystides : Me = 33,2 × 8 µm ; N = 20

Fig. 7- Agaricus bisporus. Cheilocystides en faisceaux. ©Guy Fortin

 

Le pileus est en général lisse ou formant, surtout vers la marge, des écailles émoussées à pointues, apprimées à légèrement redressées (Fig. 8). Le pileipellis est en cutis formé d’hyphes cylindriques, parallèles, orientées radialement, souvent redressées, non bouclées (Fig. 9 et 10).

Diamètre des hyphes du pileipellis : 4,2 – 6,3 µm; Me = × 5,3 µm; N = 18

Diamètre des hyphes des écailles : 4,8 – 6,3 µm; Me = × 5,4 µm; N = 18

Fig. 8- Agaricus bisporus. Écailles sur le pileus. ©Guy Fortin

 

Fig. 9- Agaricus bisporus. Pileipellis en cutis. ©Guy Fortin

 

Fig. 10- Agaricus bisporus. Hyphes des écailles présentes sur le pileus. ©Guy Fortin

 

Le stipitipellis est en cutis formé d’hyphes cylindriques légèrement resserrées aux septa et de fréquentes hyphes terminales clavées. (Fig. 11)

Diamètre des hyphes cylindriques du stipitipellis : 6,4 – 13,7 µm; Me = × 10,2 µm; N = 18

 

Fig. 11- Agaricus bisporus. Stipitipellis en cutis avec de nombreuses hyphes terminales clavées (flèches). ©Guy Fortin

 

Les boucles sont absentes ou inhabituelles dans le genre Agaricus

Les hyphes thromboplères sont des hyphes sécrétrices qui se rencontrent partout dans le basidiome de toutes les espèces d’Agaricus. Elles se reconnaissent à leur apparence sinueuse ou tortueuse et leur deutéroplasme d’apparence huileuse ou gélatineuse (Fig. 12).

Fig. 12- Agaricus bisporus. Hyphe thromboplère dans le contexte du stipe. ©Guy Fortin

 

En guise de conclusion

Même si la détermination du champignon de Paris, l’Agaricus bisporus, se fait par l’observation de ses basides majoritairement bisporées et que ses autres structures microscopiques n’ont pas de valeur taxonomique, il demeure un champignon intéressant à étudier, ne serait-ce que par son histoire, son importance commerciale, ses qualités gastronomiques, son omniprésence dans les supermarchés et sur nos tables ainsi que par ses magnifiques structures microscopiques. Il mérite bien l’hommage que nous lui rendons ici.

Nous avons bien ressenti le plaisir que Kerrigan [8] souhaite à ses lecteurs dans ce court extrait d’Agaricus of North America (traduction libre) :

« …dans la grande majorité des cas, vous ne pouvez pas mettre un Agaricus sous le microscope et déterminer exactement l’espèce en l’absence d’autres données. Les caractéristiques microscopiques ne sont tout simplement pas assez discriminantes. Si vous êtes un passionné de la microscopie – et c’est là un travail très utile et respectable – je vous suggère d’oublier Agaricus et de travailler sur un groupe ayant des cystides et des trames lamellaires diversifiées, des spores ornementées et des boucles d’anastomoses. Et si vous persistez à vouloir faire l’étude microscopique des Agaricus, je vous souhaite du plaisir et toutes les chances du monde. Il n’y a pas de pénurie de spécimens conservés, car Agaricus est un genre fréquemment récolté et rarement identifié de manière satisfaisante. »

Remerciements

Nos remerciements à Johanne Paquin, Roland Labbé et Jacques Landry pour leur lecture critique. Le titre nous a été inspiré par un texte de Walter Dioni « Hommage à une pelure d’oignon », paru sur le site microscopies.com.

Références

  1. Champignon de couche (Les noces cachées du). Version du 6 octobre 2010. La France pittoresque 
  2. Les champignons de Paris sont-ils parisions? Version du 19 mai 2016. Paris Zigzag
  3. Le champignon de couche appelé aussi champignon de Paris. Consulté en décembre 2018. La cave vivante du champignon
  4. Chapitre 8. Le marché aujourd’hui. Consulté en décembre 2017 Troglos
  5. d’où provient le champignon? Consulté en décembre 2017 Champingons Canada
  6. Parra, L.A. (2008). Agaricus L. Allopsalliota Nauta & Bas (parte I / part I). Fungi Europaei. Candusso Edizioni. Alassio. Italia
  7. Parra, L.A. (2013). Agaricus L. Allopsalliota Nauta & Bas. (parte II / part II). Fungi Europaei. Candusso Edizioni. Alassio. Italia
  8. Kerrigan, R.W. (2016). Agaricus of North America. New York Botanical Garden,
    Bronx, New York, USA

Informations supplémentaires :

  • Rinker, D.L. Culture du champignon. Version avril 2015 Encyclopédie canadienne
  • Production mondiale de champignons. Planétoscope. Consulté en décembre 2017 Planetoscope
  • Les étapes de la culture du champignon de couche. Consulté en décembre 2017  Rue des lumières
  • Blaizot, D. La culture du champignon de couche. Version 21 mars 2011. Gloubik Sciences
  • Chapitre 1. Origines de la culture du champignon en souterrain. Consulté en décembre 2017 Troglos
  • Malet, M. Les champignonnières de Villentrois [mushroom caves] : l’ultime visite. Consulté en décembre 2017. VIMEO

 

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  1. Jacqueline

    Présentation remarquable!

    A. bisporus est mon champignon préféré pour la table.