Texte et photos de Suzanne Béland
C’est en 2012 que je débutai mon apprentissage en mycologie. Je me souviens, lors d’une sortie mycologique, avoir rapporté la tête d’un Cordyceps militaris (Fig.1) pensant que c’était une sorte de clavaire ou une mitrule. Je fus peu fière de moi quand on me fit remarquer que j’avais laissé en terre l’autre moitié du champignon et sa victime, la chrysalide! Ma naïveté en fit rire plus d’un parmi le groupe. Mais quelle fascination d’apprendre que de si minuscules champignons pouvaient entraîner la mort d’insectes!
En 2013, je commençai à m’intéresser aux myxomycètes qui forcément m’amenèrent à chercher dans le petit monde de la fonge. C’est alors que je découvris, sur un tronc d’arbre en décomposition, une petite tête jaune orangé couverte de pustules couleur de rouille. Bien ancré dans le bois, cet organisme ne me semblait pas provenir du monde végétal mais plutôt du monde fongique. Je récoltai donc mon spécimen et l’apportai aux Lundis mycologiques pour le faire identifier. Mais malheureusement personne ne connaissait la nature de la chose en question. Plus tard, j’eus l’occasion d’aller à Québec présenter la petite « bête » à d’autres mycologues amateurs, et encore là, rien de concluant, sauf que quelqu’un me dit qu’il s’agissait probablement d’une larve d’insecte! Aussitôt dit, l’échantillon que je conservais si minutieusement prit vite le bord de la poubelle!
Quelque temps après, je me procurai le livre si riche en photos, Ascomycete Fungi of North America, de Allan E. Bessette. Or, un soir, en examinant les images d’Ophiocordyceps, de Cordyceps, et d’Elaphocordyceps, j’eus une impression de déjà vu qui me rappela le petit spécimen que j’avais malheureusement jeté l’année d’avant.
Le destin fit qu’en 2015 je trouvai à nouveau une autre petite tête orangée de 3 mm de haut, émergeant du bois pourri de conifère, recouvert de mousse. Emballée par cette « retrouvaille », je l’extirpai délicatement de son socle en découpant une bonne marge du substrat, m’assurant ainsi de récolter le corps de l’insecte parasité. Je le rapportai chez moi pour l’observer au microscope et le photographier.
Une fois le travail terminé, suivant la suggestion de Michèle Ledecq, j’envoyai un courriel et les photos à M. Joey Spatafora, spécialiste des Cordyceps de la Oregon State University, qui, après quelques échanges virtuels, le nomma : «Ophiocordyceps ferruginosa … aussi longtemps que les études phylogéniques ne viendront pas contester l’identification.», me dit-il ironiquement. (Fig. 2)
Spatafora précisa que l’insecte-hôte qui est parasité par ce champignon appartient généralement à l’Ordre des Coléoptères, une révélation qui piqua ma curiosité. Toutefois, parce que c’était, selon Mycoquébec, une première au Québec, je n’osai pas faire la dissection pour connaître l’hôte de peur d’abîmer le spécimen que je voulais conserver précieusement.
Or, ce qui se produisit quelques semaines plus tard fut un coup de chance! Je trouvai un deuxième Ophiocordyceps ferruginosa à Notre-Dame-de-la-Merci, situé à 100 kilomètres au nord de Montréal. Cette fois, je me résolus à dégager l’insecte-hôte du substrat. Le spécimen se fractura inévitablement lors de l’opération « microchirurgicale », mais en recollant les morceaux comme on le fait en archéologie, j’obtins un bon aperçu de l’ensemble de sa morphologie et de son rapport avec sa proie. (Fig. 3).
CHAMPIGNONS ENTOMOPATHOGÈNES
Le cycle biologique des champignons entomopathogènes diffère légèrement selon les groupes taxonomiques, mais il comprend toujours une phase parasitaire (de l’infection de l’hôte jusqu’à la mort de ce dernier) et une phase saprophyte (après la mort de l’insecte hôte). La survie de ces champignons, soit leur reproduction, est dépendante de l’infection d’insectes hôtes qui entraîne invariablement la mort de ceux-ci. Réf. Wikipedia.
Maintenant, comment un insecte finit-il parasité par un si petit champignon qu’on dit « entomopathogène »?
Le processus d’infestation peut se produire comme suit : les spores de l’ascomycète se collent sur le corps de l’insecte. Lorsque les conditions climatiques sont favorables, c’est-à-dire lorsque l’humidité et la température sont élevées, les spores produisent des hyphes et colonisent la cuticule de l’insecte pour ensuite la traverser et atteindre la cavité du corps. Les hyphes envahissant l’intérieur du corps de l’insecte-hôte provoquent la mort de celui-ci. Puis, la sporulation reprend son cycle lorsque les conditions climatiques sont favorables.
Ainsi donc, pour finir mon histoire, en juin dernier, dans un boisé de Laval, des taches blanches dans de la mousse attirèrent mon attention. Me rendant compte que l’élément d’intérêt que j’essayais de récolter était bien fixé au bois, je réalisai en l’observant à la loupe que je découvrais un autre champignon entomopathogène : Isaria farinosa. (Fig. 4). Les extensions blanches (2-3 mm) recouvertes de spores sont des fructifications émergeant du corps de l’insecte qui est enveloppé d’hyphes, imitant une petite momie! Le champignon fructifie donc hors de sa proie pour permettre la sporulation. Les spores ainsi exposées sont propagées dans l’environnement pour reprendre un nouveau cycle de vie.
L’intelligence de la nature ne cessera jamais de m’impressionner!
Les champignons entomopathogènes ne forment pas un groupe monophylétique, ils appartiennent à différents taxons rattachés à plusieurs des principaux groupes fongiques. On en connaît près de 700 espèces appartenant à une centaine d’ordres différents. Il existe deux ordres principaux de champignons entomopathogènes : les Entomophthorales (Zygomycètes) et les Hypocréales (Ascomycètes). Référence : Wikipedia.
FIN!
Guylaine Gagnon, Alma
Bravo Suzanne ?? C’est l’fun de te lire.
Faaxaal
Bravo – Beau travail et belles découvertes. Pour ma part je n’en suis pas encore là : je n’ai observé que le cordyceps militaire
Renée Lebeuf
Un bel article, Suzanne. Félicitations!