Clastoderma dictyosporum, un myxomycète hors du commun.

Classé dans : Champignon vedette | 2

par ROLAND LABBÉ

Les myxomycètes ont un mode de vie étonnant par leur stade alternatif plasmode et myxocarpe. Celui que Jules Cimon a trouvé est l’un des plus étranges par sa petitesse, sa structure et son habitat unique sur un autre myxomycète. Il s’agit du très rare Clastoderma dictyosporum. Analysons un peu son historique, la place qu’il occupe dans ce groupe d’organismes et sa physionomie.

Bref historique

Jules s’est spécialisé depuis 10-12 ans sur la recherche de très petits organismes, tels que anamorphes, ascomycètes, basidiomycètes et myxomycètes. Ses milieux de recherche se situent à Lac-Beauport où il décortique tous les substrats inimaginables. Mais, le bois pourri et humide est le plus favorable et c’est souvent sur ce support qu’il fait ses plus belles découvertes, en renversant les grosses billes au sol. Il peut apercevoir des myxomycètes qui fructifient sur des dizaines de mètres. Il affirme que bien souvent il peut s’y trouver des milliers de spécimens d’une même espèce.

Le Clastoderma dictyosporum en question a été trouvé le 10 octobre 2019 et identifié le 23 février 2020. Il a été trouvé sur une bille peu décomposée de peuplier faux-tremble près du sol. C’est une découverte tout à fait fortuite, car Jules a d’abord remarqué une grosse talle d’un Trichia, genre qu’il reconnaît bien. Ne sachant pas quelle espèce il s’agissait, il l’a cueillie et transportée à la maison en vue de la photographier. De là la surprise ! En regardant les photos du Trichia, Jules a aperçu un autre mini myxomycète qui fructifiait sur lui. Il avait donc affaire à deux espèces, une directement sur le bois et une autre sur cette dernière. Du deux pour un !

Une fois les deux espèces herborisées et la fiche de récolte complétée, Jules a transmis le tout à notre microscopiste réputée, Jacqueline Labrecque. Évidemment que Jules et Jacqueline avaient leur idée sur son identité, puisqu’ils connaissaient déjà le genre Clastoderma, ayant déjà identifié C. debaryanum. Mais, cette évidence devait obligatoirement être concrétisée davantage.

Jacqueline a entrepris l’étude des éléments microscopiques en vue d’une difficile élaboration d’une planche complète microphotographique. C’est le résultat de son étude que nous allons voir ici.

Un peu de taxonomie

Le genre Clastoderma fait partie de la famille des Clastodermataceae, de l’ordre des Clastodermatales et de la sous-classe Columellomycetidae, des myxomycètes caractérisés par leur masse sporale foncée et un capillitium relié à une vraie columelle.

Le genre Clastoderma simplifié :

Ce genre donne des fructifications dispersées ou grégaires nommées sporocarpes. Elles sont très petites, ne dépassant pas 1,8 mm de hauteur. Elles possèdent un stipe creux, rempli de matériel granuleux sur la partie basale. Des restes de plasmode appelé hypothalle et entourant le stipe sont peu visibles. Ce stipe porte un sac sporifère globuleux et foncé appelé sporocyste et le traverse pour se convertir en columelle. Cette dernière devient graduellement un capillitium qui se ramifie, s’anastomose et fusionne en périphérie pour donner des renflements en forme de plaques. Un péridium fragile et simple recouvre le sporocyste, mais de façon fugace, laissant une petite collerette à l’apex du pied et une masse sporale interne brune servant de sporée qui contient les spores.  De petits fragments de la membrane péridiale sont souvent attachés aux extrémités des branches du capillitium.

Les caractères clés du Clastoderma dictyosporum :

D’abord les fructifications sont très petites. Celles trouvées par Jules ont une hauteur totale de 1-1,2 mm et un sporocyste brun foncé à presque noir de 0,2 mm de diamètre. Le pied présente un renflement aux 3/4 de sa hauteur. La columelle est petite mais présente et donne naissance au capillitium par 4-5 branches robustes. Ce capillitium a les caractères du genre, c.-à-d.  filaments ramifiés, peu d’anastomoses et extrémités attachées aux fragments de la membrane péridiale.

Deux caractères sont des plus importants :

  • des spores globuleuses presque réticulées et mesurant 7,5-9,5 µm de diamètre
  • une croissance sur des basidiomes de champignons

Ce qui est unique pour le Clastoderma dictyosporum trouvé par Jules est qu’il a fructifié sur un autre myxomycète, non sur un champignon, et qu’il provient de la région de Québec.

Cette espèce est loin d’être cosmopolite. Dans la monographie de Marianne Meyer et coll. et autres auteurs sur les myxomycètes, elle est reconnue en Inde, mais aucunement en Amérique du Nord. Jules aurait donc établi deux primeurs.

L’hôte en premier – le Trichia scabra

Figure 1. Trichia scabra à 18 heures d’intervalle.

Les Trichia ont souvent cette apparence à maturité. Ils sont stipités ou non, ont une masse sporale vive, jaune, dorée ou orangée, des élatères ornées de bandes à gauche et des spores réticulées ou non.

Cliquez sur la figure suivante pour découvrir les détails du Trichia scabra publiés sur la page Flickr de Jacqueline

Puis le Clastoderma dictyosporum :

À la figure 1, on voit une grande colonie de Trichia et un très petit organisme qui pousse dessus (flèches). Une photo agrandie de ce petit organisme est présentée à la figure 2. On le voit avec plus de précision avec son long pied et sa tête brune. Le soupçon d’un deuxième myxomycète poussant sur un autre était évident et qu’il s’agissait d’une espèce du genre Clastoderma était déjà suspectée. L’intuition de Jules fut marquante.

Figure 2 : Gros plan du Clastoderma poussant sur Trichia

Une étude détaillée de ces deux myxomycètes devenait obligatoire, surtout pour celui que l’on croyait parasite.

La planche microphotographique de Jacqueline nous offrait le choix d’un Clastoderma et de deux espèces.

Le schéma macroscopique qu’elle a réalisé grâce à l’observation au stéréoscope a définitivement établi qu’il s’agissant bien d’un deuxième myxomycète et d’une espèce parmi le genre Clastoderma (Figure 3).

Figure 3

On y observe un long stipe et un sporocyste globuleux, les deux sombres, un renflement haut sur l’apex du stipe, une petite columelle qui pénètre dans le sporocyste et se ramifie en capillitium qui se rend en périphérie du sac sporifère et un manchon à la jonction du pied et du sporocyste.

Deux espèces de Clastoderma sont munies d’un renflement dans la partie supérieure du stipe, C. debaryanum et C. dictyosporum.

La différence entre les deux est facile. Un petit tableau comparatif indique les principales différences.

Dans ce tableau, on découvre que les spores et le substrat sont des caractères primordiaux.

Voici le type de spores de chacune des espèces :

Les spores de C. debaryanum sont uniquement finement verruqueuses ou verruculeuses alors que celles de C. dictyosporum sont à la fois (sub)réticulées et verruqueuses. De plus, leurs dimensions ne sont pas les mêmes (Figure 4)

Figure 4

Maintenant, pour saisir et apprécier toute l’ampleur du travail accompli par cette petite équipe de Mycoquébec, voici la magnifique planche microphotographique du Clastoderma dictyosporum réalisée par notre microscopiste fort accomplie, Jacqueline Labrecque (Figure 5). Cliquez sur la figure pour accéder à une photo haute résolution et sa description détaillée.

Figure 5

Merci chaleureusement à mes admirables collègues et collaborateurs, Jacqueline Labrecque et Jules Cimon, que je connais et avec qui je travaille depuis longtemps. Grâce à eux, la réalisation de ce document permettra sans doute une plus grande visibilité de ce magnifique Clastoderma dictyosporum, maintenant observé au Québec.

Les trois amigos.jpg
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2 Responses

  1. Guylaine Gagnon

    Je suis impressionnée, BRAVO Jules, Jacqueline et Roland 👍🏻👏🏻

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