par André J. Fortin
Ce texte a également été publié dans Le Boletin 63(2), 2016
Ce néologisme que je propose veut dire textuellement qui se nourrit de racines mourantes.
J’ai entendu parler des morilles de feu en1994 lorsqu’un forestier travaillant à la station forestière de Petawawa, en Ontario, m’a informé qu’après une expérience de brûlage contrôlé dans une plantation de conifères, de nombreuses morilles sont apparues l’année suivante au pied des arbres morts. Par après, j’ai obtenu une petite subvention m’ayant permis de conduire sur ce site des brûlages contrôlés, arbre par arbre, en variant l’intensité du brûlage. L’année suivante, des morilles sont apparues et je me suis interrogé à savoir comment se comportait le mycélium dans le sol sous-jacent.
À la mi-mai, je me suis donc rendu sur place; de toutes jeunes morilles étaient en formation. J’en ai délicatement déterré la base pour constater que chacune de ces jeunes morilles était portée par une sorte de socle columnaire se rendant jusqu’aux horizons colorés [couches colorées], à une vingtaine de cm plus bas dans le sol (Fig. 1). Cette structure était constituée par une agglomération de grains de sable liés ensemble par le mycélium de la morille.
Dans son mémoire de maîtrise à la fin des années 1980, Line Gosselin avait démontré au laboratoire que le mycélium de morille ne peut pas pousser à des pH acides inférieurs à 5,0. Or, l’humus très acide dans les forêts de conifères se maintient plutôt entre 3,5 et 4,5; cependant, au niveau des horizons colorés en profondeur, le pH est plutôt de 5,5, juste ce qu’il faut pour permettre une lente croissance du mycélium de morille. De plus, Line avait observé que sous ces conditions la morille produit des microsclérotes, petites boules de mycélium entourées d’une membrane protectrice épaisse. Les sclérotes des champignons sont connus comme organes de persistance sous des conditions moins favorables. La question se posait à savoir de quoi peut donc bien se nourrir le mycélium de la morille dans cette partie profonde du sol.
L’hypothèse que j’ai proposée est que les racines mourantes seraient la source de nourriture. Des racines s’aventurent souvent en profondeur dans ces sols, mais les conditions leur étant peu favorables, elles meurent. Ces racines mourantes entretiendraient, année après année, une lente croissance du mycélium avec accumulation de sclérotes. L’année du feu, deux choses se passent : 1) Les parties aériennes des arbres étant détruites, les racines ne reçoivent plus suffisamment de sucres pour survivre. Cet état de faiblesse entraînant un arrêt des réactions de défenses, la racine devient intéressante comme nourriture supplémentaire. 2) La combustion de l’humus acide en surface du sol génère des cendres surtout de la potasse, qui percole dans le sol relevant le pH au-dessus de 6,0, conditions favorables à la croissance du mycélium de la morille. C’est ainsi que ce mycélium, provenant de la germination massive des petits sclérotes accumulés depuis plusieurs années, entreprend son ascension vers la surface du sol, attachant sur son passage les grains de sable, de son mycélium abondant. Dès l’émergence du mycélium, la fructification de la morille se développe, nourrie par les réserves accumulées dans le sol profond depuis plusieurs années.
Dans les années 1980 et 1990, alors que les ormes mouraient par centaines dans le sud du Québec, dès le printemps suivant les connaisseurs y cueillaient d’énormes morilles blondes. Encore une fois l’hypothèse des racines mourantes est confirmée. Et ce ne sont pas des morilles de feu cette fois !
Dans les territoires du Lac-St-Jean, si riches en morilles venant au pied des peupliers, il suffit que l’on ait rafraîchi les canaux de drainage le long des chemins pour voir apparaître d’abondantes morilles du côté extérieur. Ce faisant on a coupé les racines des peupliers qui s’étaient aventurées sous le chemin. Les racines coupées mourantes ont encore une fois favorisé le développement de ce champignon rhizonécrophage.
Pour réussir la culture des morilles, il faudrait peut-être faire pousser des peupliers dans un sol bien inoculé avec le mycélium et les sclérotes de morille, laisser pousser une année ou deux avant de couper les tiges des peupliers sous le niveau sol pour empêcher les rejets. Il faudra alors préparer les paniers pour le printemps suivant…
Richard Charette
Fort intéressant et instructif cet article
Cédric
C’est une belle théorie mais j’y vois beaucoup de biais et de manque de preuve, je vois croirai lorsque vous aurez réussi à la cultiver comme vous prétendez pouvoir le faire. (Personne n’a jamais réussi)
Laboutière
Bonjour, André. C’est Laurence. Je suis heureuse de retrouver votre trace. Je suis maintenant productrice de champignons dans le Maine et Loire. J’ai pris la suite de votre grand mère à Lafayette à Angers… Ha, elle nous fait gamberger, cette morille. A vous lire