Ma découverte de Bryoperdon acuminatum

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par Gwenaël Cartier.

Sous l’une de mes photos de Helicoglea compressa prise le 10 novembre, en cette année 2020 de pandémie (Fig. 1), j’ai raconté les détails de sa récolte et de sa conservation. J’y mentionnais que, curieusement, ce n’était pas la seule histoire associée à cette espèce qui m’était arrivée cette année.

Fig. 1 Helicoglea compressa (voir commentaires sur Flickr)

En effet, une autre histoire liée à cette espèce, encore plus rocambolesque, confirme comment le hasard fait parfois bien les choses.  Et cette histoire, cette fois-ci, c’est bien celle de ma découverte de Bryoperdon acuminatum.

Ainsi, quelques jours plutôt, en plein milieu de cet été des Indiens mémorable de l’année 2020, le 7 novembre, ma douce et moi sommes au chalet pour profiter des derniers chauds rayons de soleil de l’année. Pour certains, la saison est déjà bien terminée, mais pour moi, je garde toujours l’œil ouvert, car je sais que certains champignons peuvent même se cacher sous la neige.

Mais loin de moi cette idée, car en ce beau matin de novembre, nous partons voir nos nouveaux voisins qui viennent tout juste de faire l’acquisition du terrain en flanc de montagne juste à côté du mien. Ils ont amorcé les travaux préliminaires pour l’édification de leur chalet et les débuts de leurs travaux sont exécutés en partie sur une zone très proche de la ligne qui sépare nos deux terrains. Question de voir si les travaux avançaient rondement et de leur dire bonjour, cette visite s’imposait.

Le haut de cette partie de mon terrain y est assez hostile, car très abrupt, mais ma douce et moi avions décidé au départ que compte tenu des conditions météo exceptionnelles, ce serait une belle activité que de monter en haut de la montagne pour profiter de la vue qui devrait, en cette journée magnifique, être spectaculaire.

J’ouvrirai ici une petite parenthèse, car la partie de ce boisé presque exclusivement peuplée d’érables, bouleaux blancs et bouleaux jaunes recèle quelques espèces de champignons relativement peu fréquentes. Par exemple, c’est là, au bas de la pente, dans un petit marécage que, bon mal an, j’y trouve Mitrula elegans. En même temps, plus on monte moins il y a d’espèces, mais j’y ai déjà fait des trouvailles intéressantes comme Lepiota clypeolaria ou Inocybe hystrix. Par contre, aujourd’hui, comme je n’avais pas vraiment l’esprit à ça, je n’ai pas non plus apporté de matériel mycologique ni d’appareil photo. Ce devait être une simple balade en montagne.

La rencontre avec nos nouveaux voisins étant terminée nous avons donc commencé l’escalade. Une fois en haut de la montagne, ma douce et moi admirons le paysage lointain, une vue à couper le souffle, qui nous est offert grâce à l’absence du couvert végétal, disparu au gré des vents et de la baisse de luminosité. Une fois de plus, c’est le temps de rêver à la construction d’une petite plateforme pour jouir pleinement de cet horizon idyllique. Ces bons moments sont malheureusement de courte durée, car nous devons penser au diner et donc nous devons redescendre de la montagne. Plutôt que de repasser par la section escarpée de la face nord que nous venons d’emprunter, nous passerons donc par le flanc sud-est qui est beaucoup plus adapté à la descente. Ce faisant, nous allons sur une partie de mon terrain que je n’avais jamais arpenté et je sais déjà que nous allons longer la limite du terrain conjointe à de nombreux voisins qui jouxtent la montagne et que nous n’aurons d’autre choix que de traverser le terrain de l’un d’eux pour le retour sur la route.

Chemin faisant, j’observe les restes de certaines espèces encore accrochées aux troncs et tout à coup, mon regard arrête sur un vieux tronc couché densément peuplé par des Helicoglea compressa 

Sûr que cette scène mérite une photo, mais je n’ai malheureusement pas mon appareil avec moi.

Nous revenons donc au chalet, mais je traine avec moi un ardent désir de retourner sur mes pas afin de revoir cette scène et de pouvoir l’immortaliser avec mon appareil photo.

Une fois le diner complété, je me prépare à repartir vers le flanc de montagne où j’avais vu ces Helicoglea compressa . J’avise ma douce que mon trajet est de repasser sur nos pas et d’aller ensuite un peu plus loin en direction du lac qui se trouve au bout du terrain, au-delà du versant sud de la montagne. Ainsi, le sac au dos, je repasse sur le terrain d’un de mes voisins pour accéder à mon terrain et tenter de retrouver le tronc où se trouvaient ces perles vues plutôt ce matin. Je n’avais pas pris exactement les traces de nos pas si bien que j’ai dû tourner un peu en rond pour finalement retomber dessus. Une fois retrouvé, je prends donc mes photos de ces Hélicogloéa (Fig. 2), ainsi que quelques autres photos d’autres spécimens autour. Puis je repars vers le lac.

Fig. 2 Helicoglea compressa (Flickr)

Le décor est tout simplement enchanteur. À l’aller, je n’avais pas bien remarqué que le flanc sud-est de ma montagne faisait face à un flanc nord-ouest d’une élévation moindre, mais qui créait une gorge pointant vers le lac où je me dirigeais. Puis, quelques minutes plus tard, descendant doucement dans le creux des deux pentes, au beau milieu du ravin, un arbre abattu dont la partie du tronc restée debout et mesurant une quinzaine de pieds avait gardé accroché sa partie tombée à la renverse sur le côté du ravin opposé à mon terrain. Cette curiosité de la nature se présentait comme une moitié de pont reliant une rive à l’autre.

S’il y a une chose que j’apprécie quand je fouille les troncs couchés à la recherche de champignons c’est quand ceux-ci sont tombés les uns sur les autres ou sur une grosse roche ou encore parce que déracinés, une partie des racines fait office de table pour le tronc qui touche le sol près de sa cime. La raison en est bien simple, pas besoin de se mettre à quatre pattes pour y jeter un coup d’œil, le tronc étant surélevé on n’a à peine à se pencher un peu pour en examiner l’écorce de près. Un excès de paresse diront certains, je leur répondrais que je ménage mon dos et mes genoux au maximum.

Je suis donc remonté un peu sur le côté opposé à ma montagne pour commencer debout l’examen de ce tronc penché, suspendu dans les airs. Ça doit faire déjà quelques années qu’il s’est brisé, car il est presque entièrement recouvert de mousses. Quand je me suis rapproché du tronc pour voir s’il n’y avait pas des myxomycètes, en posant ma main gauche sur le tronc, j’ai vu un nuage violacé de spores s’élever dans l’air. Je ne comprenais pas trop ce qui venait d’arriver parce qu’avant d’y poser ma main je n’avais rien vu et encore moins des vesses de loup. Puis, en n’y regardant de plus près… Surprise ! je les ai vues. Fascinantes !!! (Fig. 3)

Fig. 3 Bryoperdon acuminatum / Vesse-de-loup acuminée
Laurentides, 7 novembre 2020 (Flickr)

Elles étaient toutes petites, accrochées sur la mousse, mesurant à peine un petit peu plus d’un centimètre de haut, mais le plus caractéristique étant leur forme.  Évidemment, cela n’avait rien à voir avec les formes classiques des autres vesses-de-loup souvent en forme de poire ou de petit ballon rond. Ici, on pouvait davantage parler d’une forme ressemblant à la figue. Bref, j’étais tout excité d’avoir trouvé une vesse-de-loup que je n’avais jamais vue auparavant. Une fois un peu remis de mes émotions, j’ai pris quelques photos et ramassé quelques échantillons; la routine habituelle. Puis je me suis remis en marche vers le lac pour finalement rebrousser chemin et retourner au chalet.

De retour à Montréal, je scrute la base de données de Mycoquébec, je passe en revue les 25 espèces présentes et aucune des vesses-de-loup n’a cette apparence en forme de figue. J’ai également scruté sur internet au hasard, mais, peau de balle, il n’y avait rien de tel. Peut-être que si j’avais consulté une clé j’y serais arrivé.

Bref, je dépose tout de même ma photo sur le site d’identification et c’est à nouveau Roland Labbé [1] qui me met sur la bonne voie. Il s’agit bien de Bryoperdon acuminatum. Je vérifie donc sur d’autres sources pour compléter ma recherche qui me confirment l’identification de cette vesse-de-loup qui a une forme toute particulière; elle est acuminée.

Les choses ensuite ont déboulé. J’ai complété une planche microscopique que j’ai déposée sur le site d’identification de Mycoquébec (Fig. 4)

Fig. 4 Bryoperdon acuminatum / Vesse-de-loup acuminée (Flickr)

L’identification de mes spécimens a été confirmée assez rapidement, et cet intérêt une fois soulevé a permis de retrouver une rare photo de cette espèce prise par Raymond McNeil (Fig. 5). Cette photo s’était égarée dans l’abysse des souvenirs, mais a été finalement remise sur son socle par Jacques Landry [2]. Il faut également remercier la mémoire de Renée Lebeuf [3] qui avait bien retenu le dévoilement de cette photo lors de l’hommage rendu à Raymond McNeil [4] lors du congrès de la FQGM en septembre 2012.

Fig. 5 Bryoperdon acuminatum / Vesse-de-loup acuminée
Collection Raymond McNeil #606, CMMF004561(Flickr)

Ceci dit, même si l’histoire semble se clore ici, ceux qui me connaissent savent très bien que j’ai un rendez-vous l’an prochain pour les revoir naissantes, plus jeunes, toutes blanches et compléter ainsi le portrait de cette petite espèce magnifique.

Le 24 juillet 2021, mois d’un an plus tard, cette fois-ci je m’y prend de bonne heure pour ne rien rater du spectacle. J’ai décidé d’y aller cette journée-ci parce que la veille j’ai vu ma première vesse de loup perlée blanche. Je pense que c’est un bon signal malgré que je trouve que c’est un peu tôt dans la saison. Il faut mentionner ici qu’à date 2021 étant une saison assez mauvaise pour les mycologues, je peux m’attendre à tout. Mais, de toute façon, vu la nature de ma quête, vaux mieux trop tôt que trop tard…

Ainsi, je retourne dans mon boisé en cette belle journée de juillet, mais je ne m’y retrouve pas comme en 2020. À la différence du mois de novembre, fin juillet toutes les feuilles sont bien accrochées aux arbres, ce qui change pas mal le décor. Je dois donc retrouver mes repères, mais je n’arrive pas à retrouver mon arbre. J’arrive finalement à le retrouver, mais pas dans la même position. Vraisemblablement, à cause du poids de la neige et de la glace, celui-ci s’est décroché du tronc et s’est écrasé sur le sol. Malheureusement, dans sa chute la partie où j’avais repéré les bryoperdons l’an dernier est allée s’écraser sur un tronc encore debout. Heureusement, ma joie s’est concrétisée à la vue de jeunes spécimens non loin de là. Il y en avait moins que l’an dernier, mais au moins il y en avait encore. Par contre, cette fois-ci, ils étaient beaucoup plus jeunes. J’ai évidemment installé rapidement mon matériel afin de cristalliser ce moment dans ma mémoire numérique (Fig. 6).

Fig. 6 Laurentides, 24 juillet 2021 (Flickr)

Au bilan, ma joie fut immense de les retrouver, mais aussi de réaliser que si l’arbre était tombé un an plus tôt je ne les aurais peut-être jamais trouvés. Vraisemblablement je serais passé à côté malgré que cela devait faire déjà quelques années que cet arbre s’était abattu et que ces vesses-de-loup s’y soient installées dans la mousse qui le recouvrait.

Malheureusement, à cause du délai pour les retrouver j’avais eu à peine le temps de prendre quelques photos cette journée-là si bien que je suis revenu le lendemain pour en prendre d’autres. Il faut avouer que j’étais malgré tout un peu déçu de ne pas les retrouver toutes blanches et en tout début de croissance. Ainsi la confirmation de leur stade de développement m’a été donnée lorsque j’en ai coupé une en deux. Ma déception était de constater que malgré une apparence de jeunesse, la glèbe n‘était pas blanche, mais tirait déjà sur le gris (Fig. 7).

Fig. 7 Laurentides, 25 juillet 2021 (Flickr)

Ce qui m’a assez surpris c’est de voir à côté des spécimens très jeunes dont la couleur tirait sur le roux (Fig. 8). Donc je reste encore une fois sur ma faim avec cette question de leur passage au blanc ainsi que du moment où la glèbe est encore blanche.

Fig. 8 Laurentides, 25 juillet 2021 (Flickr)

Finalement, j’y suis retourné le 17 septembre afin de vérifier ce qui était advenu des plus jeunes dont le roux était la couleur prédominante. J’ai retrouvé des spécimens assez jeunes pour avoir une glèbe blanche (Fig. 9), mais leur aspect n‘était pas parfait si bien que j’en ai conclu qu’un suivi plus serré sur cette espèce était nécessaire afin de mieux les voir évoluer du début à la fin de leur courte vie.

Fig. 9 Laurentides 17 septembre 2021 (Flickr)

En terminant, cette histoire, je la dédie au hasard. À ce sacré hasard qui m’a porté vers la découverte d’une espèce assez rare en passant par une espèce qui l’est beaucoup moins, mais suffisamment photogénique pour m’inciter à retourner sur mes pas et, de là, plonger vers l’émerveillement d’une belle découverte. De plus, et c’est aussi ce qui ajoute au rocambolesque de cette histoire, c’est que la découverte s’est faite presque sur mon propre terrain dont je suis l’heureux propriétaire depuis près d’une cinquantaine d’années et que je n’avais jamais vu cette espèce auparavant. Comme quoi, il faut repasser souvent sur nos pas et dans des directions différentes afin de bien voir tout ce qui se trouve dans notre univers immédiat


[1] Roland Labbé, est une sommité en ce qui concerne l’identification des champignons, il est également administrateur et cofondateur du site Mycoquébec.

[2] Jacques Landry est administrateur et fondateur du site MycoQuébec et de ses produits dérivés.

[3] Renée Lebeuf est une mycologue experte, une sommité en ce qui concerne l’identification des champignons.

[4] Raymond McNeil est un professeur émérite de l’Université de Montréal. Il est l’auteur du Grand livre des champignons du Québec et de l’Est du Canada. Il nous a malheureusement quitté le 16 janvier 2022.

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