Intoxication grave par un cortinaire, une première au Québec

Classé dans : Général | 2

Par Jean Després, Patrice Dauzet, René Blais et Marilyn T. Durivage

Au début d’août 2020, un pompier forestier a consommé quelques spécimens du Cortinaire roux (Cortinarius rubellus), une espèce potentiellement mortelle, dont l’identification a été formellement confirmée par Patrice Dauzet (voir annexe A). Voici la mésaventure du pompier racontée par lui-même. Elle sera suivie de son bilan médical par sa médecin, d’une description du Cortinaire roux, de la toxine qu’il contient et du syndrome qu’il occasionne. Des recommandations d’usage, des lectures suggérées et une liste des ressources suivront.

Je suis né en Abitibi et j’y ai fait une carrière de pompier forestier. Je suis aujourd’hui à la retraite, je vis seul et j’ai de nombreuses occupations, dont la cueillette occasionnelle de champignons, que je pratique depuis environ 4 ans. J’y ai été initié par un collègue, qui m’a appris à reconnaître quelques champignons comestibles. Pour compléter, je me suis acheté le livre Champignons comestibles faciles à identifier de Yvon Leclerc, aux Éditions Broquet. Pensant que c’était facile et sans problème, je n’ai pas vu la nécessité de faire partie d’un club ou d’utiliser l’Internet. Dans mon entourage, on me disait que le pire que je risquais était une indigestion, pourvu que je me tienne loin des amanites blanches et de bien faire cuire mes champignons.

Alors que j’étais en quête de mes champignons préférés, que sont la Dermatose des russules, le Marasme des Oréades et le Chaga, j’ai fait un petit détour dans une tourbière à sphaignes, espérant y trouver une nouveauté pour agrémenter mon repas. J’y ai trouvé cinq beaux champignons rougeâtres et appétissants, que j’ai consommés le soir même avec des dermatoses de russules. Le lendemain et les jours suivants, j’ai ressenti de légers troubles abdominaux et j’ai remarqué que certains aliments, en particulier les œufs et les fèves vertes, prenaient un goût de soufre. En raison de la COVID, j’ai hésité à me rendre à l’hôpital, mais après 18 jours, mon état s’est aggravé et j’ai dû me faire une raison. J’ai été admis à l’hôpital le 28 août et j’ai été traité pour une insuffisance rénale aiguë. J’ai alors dit à la docteure que j’avais mangé des champignons environ deux semaines auparavant. Le 31 août, alors que je prenais un peu de mieux, j’ai demandé à retourner chez moi pour m’occuper de mes animaux. J’ai fait un détour par la tourbière pour récolter quelques spécimens des champignons que j’avais consommés, pour les montrer à la docteure. Elle a alors fait appel au Centre antipoison du Québec pour identifier le champignon. C’est alors qu’on m’a annoncé que j’avais consommé un champignon très toxique, responsable de mes symptômes. Avant mon empoisonnement, j’étais en pleine forme et je pouvais m’adonner à mes occupations toute la journée. Depuis, mon hospitalisation, je n’ai plus d’énergie, certains aliments ont toujours un goût de soufre et la docteure ne sait pas si je peux espérer un rétablissement complet.

Bilan médical

Par Marilyn T. Durivage

Le 28 août 2020, le patient, un homme de 61 ans en bonne santé, se présente à l’urgence d’un hôpital en Abitibi pour une douleur abdominale basse, une perte de poids avec perte d’appétit et une fatigue importante. L’urgentologue observe surtout une très légère douleur à la palpation de l’abdomen, qui demeure souple. Ce sont les bilans sanguins qui démontrent une très franche insuffisance rénale aiguë et quelques anomalies de laboratoire reliées.

Lorsque les reins n’arrivent plus à faire leur travail usuel, c’est-à-dire éliminer certains déchets du corps tels que la créatinine, ceux-ci s’accumulent dans le sang. En la dosant, il est facile d’évaluer le fonctionnement des reins. Or, dans le cas qui nous occupe, la valeur initiale dosée était de 837 micromoles par litre de sang, soit au-delà de 8 fois la valeur normale.

Comme la consommation des champignons remontait aux alentours du 10 août et que le cortinaire n’était pas suspecté à ce moment-là, des investigations sanguines, urinaires et radiologiques ont été effectuées en début d’hospitalisation pour trouver une cause à l’insuffisance rénale. Cette dernière a été attribuée initialement à une déshydratation prolongée en raison de la diarrhée et du manque d’apports liquidiens. Une réhydratation intraveineuse a permis une amélioration de la fonction rénale en quelques jours à l’hôpital, sans la normaliser toutefois, en raison des probables dommages aux reins faits par la toxine orellanine. Une hypertension artérielle, vraisemblablement causée par l’atteinte aux reins elle aussi, s’est ajoutée durant l’hospitalisation.

Les symptômes ressentis par le patient se sont estompés graduellement, mais même environ 6 semaines après l’ingestion des champignons, il ressent encore des maux de tête légers, un inconfort abdominal bas et une légère fatigue. Comme une fonction rénale prend normalement quelques mois à se stabiliser, il est impossible pour le moment d’affirmer qu’elle reviendra à la normale à moyen terme, même si son amélioration est encourageante à ce jour.

Le Cortinaire roux (Cortinarius rubellus)

Par Patrice Dauzet

Le Cortinaire roux appartient au genre Cortinarius qui comprend plus de 360 espèces au Québec seulement. Il est très proche de son voisin européen le Cortinaire couleur de rocou (Cortinarius orellanus). Tous les deux font partie de la section Orellani des cortinaires, à partir de laquelle a été formé le mot orellanine, nom donné à la toxine qu’ils contiennent.

Le Cortinaire roux porte bien son nom. En effet, presque toutes ses parties viennent dans des tons de brun orangé à brun rougeâtre. Son chapeau, duveteux à très finement écailleux et souvent mamelonné, peut atteindre 8 cm, et son pied se couvre de bandelettes jaunâtres.

 

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Cortinarius roux / Cortinarius rubellus
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Un cortinaire typique

Les cortinaires croissent au sol, généralement en forêt, et se composent d’un pied central et d’un chapeau sous lequel apparaissent des lames recouvertes au début d’un voile semblable à une toile d’araignée. À maturité, il se rompt et vient se coller le long du pied. En tombant des lames, les spores s’y agglutinent en y laissant des traces de couleur rouille bien reconnaissables.

Il est fortement recommandé d’éviter la consommation de cortinaires, particulièrement les sosies du Cortinaire roux, susceptibles de contenir de l’orellanine, une toxine potentiellement mortelle. L’identification d’un cortinaire représente un véritable défi, même pour les experts. Une étude des caractères microscopiques s’avère souvent indispensable pour confirmer l’espèce.

L’orellanine est un composé organique dérivé de la pyridine, de formule C10H8N2O6. Pour les non-initiés à la biochimie, il est surtout important de retenir qu’il s’agit d’une molécule très similaire à celle du diquat, un puissant herbicide

maintenant interdit dans plusieurs pays européens. Cette toxine résiste à une température de 500 °C, et comble de malchance pour qui en aurait ingéré, pour laquelle on ne connaît à ce jour aucun antidote. Connue depuis 1957 pour avoir empoisonné 135 personnes en Pologne dont 19 mortellement, elle est particulièrement nocive pour certaines cellules des reins qu’elle peut détruire en laissant des séquelles, une insuffisance rénale chronique nécessitant dialyse, et à forte dose elle peut même entraîner la mort.

Le syndrome orellanien

Par René Blais

Le syndrome orellanien se caractérise par une phase digestive et une phase rénale qui se chevauchent partiellement. La phase digestive débute habituellement environ trois jours après l’ingestion, mais ce délai peut varier en fonction, entre autres, de la quantité de toxine ingérée. Elle se caractérise principalement par des vomissements, de la douleur abdominale et de la diarrhée. Souvent, cette phase ne semble pas se résorber complètement parce que la phase rénale est en voie d’installation. Dans bon nombre de cas, une douleur aux flancs, une soif intense, l’émission d’une grande quantité d’urine et parfois des crampes musculaires et des engourdissements des membres signent la présence de cette phase plus grave de l’intoxication. Lorsque la personne décide de consulter, l’atteinte rénale peut déjà être présente depuis plusieurs jours. L’insuffisance rénale progressive peut débuter dès le 4e ou le 5e jour après l’ingestion, mais elle peut aussi survenir plus tôt ou être retardée jusqu’à deux semaines ou plus.

Lorsque la phase digestive est relativement bénigne ou retardée, il peut arriver que le consommateur ingère à nouveau des cortinaires avant que le diagnostic ne soit posé, aggravant ainsi le pronostic. Il se peut aussi que le diagnostic soit manqué parce que le lien entre l’atteinte rénale et le champignon coupable n’a pas été fait.

Situation et recommandations

Par Jean Després

Du 1er avril au 18 septembre, une quarantaine de cas d’intoxications avérés par des champignons sauvages ont été constatés par le Centre antipoison du Québec. C’est plus du double de toute l’année 2019. Force est de constater que les cas d’intoxications augmentent au rythme de leur popularité. Un rappel s’impose : la

consommation de champignons sauvages comporte des risques bien réels. Au Québec, environ 200 espèces, réparties dans tous les habitats et dans plusieurs familles, peuvent provoquer des intoxications allant de troubles digestifs à une atteinte grave du foie ou des reins, en passant par des perturbations neurologiques ou du système nerveux autonome, des troubles cardiaques et autres.

Le risque d’intoxication augmente avec la méconnaissance et la spontanéité des consommateurs attirés par les belles couleurs des champignons, dont voici quelques exemples : une personne de Terrebonne qui croyait avoir consommé une chanterelle s’est intoxiquée avec une amanite jaunâtre du groupe de l’Amanite tue-mouches (Amanita muscaria). Pourtant, cette amanite n’a en commun avec une chanterelle que la couleur vaguement jaunâtre de son chapeau. Une octogénaire s’est laissé tenter par un magnifique champignon, typique des bandes dessinées, qu’elle a consommé sans savoir qu’il s’agissait de l’Amanite tue-mouches, variété de Güssow (Amanita muscaria var. guessowii), une espèce toxique causant des vomissements et des troubles neurologiques.

Pour prévenir les empoisonnements, voici quelques conseils :

  1. Évitez les champignons sauvages si vous avez une santé fragile, une maladie chronique ou que vous êtes incommodé par le Champignon de Paris, le champignon blanc vendu en épicerie.
  2. Abstenez-vous de consommer un champignon que vous avez vaguement reconnu ou qu’une personne aux compétences incertaines vous a conseillé.
  3. Soyez absolument certain de votre identification et confirmez-la à l’aide de sa description et de sa photo dans un guide ou demandez l’avis d’un mycologue expérimenté et reconnu par des clubs de mycologie.
  4. Si vous débutez, écartez les principaux groupes à risque, tels les amanites, les petites lépiotes, les cortinaires et les petits champignons bruns ou blancs (PCB), ainsi que les espèces ayant des sosies toxiques. Tenez-les à au moins deux mètres de la cuisine.
  5. Suivez un cours d’initiation ou tenez-vous-en aux espèces bien caractérisées et faciles à reconnaître.
  6. Ne jouez pas au cobaye avec des espèces de comestibilité inconnue ou suspecte.
  7. Ne consommez que des champignons frais, en bon état et bien cuits. Même les meilleurs comestibles peuvent contenir des toxines ou des bactéries détruites par la cuisson.
  8. Comportez-vous en gourmet et non en gourmand. Consommez avec modération, de préférence une espèce par occasion. Il est recommandé de se limiter à moins de 250 grammes de champignons sauvages à l’état frais par semaine.
  9. En cas d’une éventuelle intoxication, conservez quelques spécimens au réfrigérateur pour l’identification par un expert. Si possible, prenez aussi des photos des spécimens, comprenant une vue générale, une vue en coupe et une vue du dessous.

Lectures suggérées

  • Blais, R. & Després, J. (2012). Les intoxications fongiques. Dans J. Després (dir.), L’Univers des champignons, (pp. 251-284). Presses de l’Université de Montréal.
  • Després, J. (2020). Les champignons toxiques. Beautés fatales. Nature sauvage, 13(3), 70-74.
  • Després, J. (2017). Champignons à éviter. Dans J. Després, Champignons comestibles du Québec (pp. 48-55). Éditions Michel Quintin.
  • Labbé, R. (avril 2019). Cortinarius rubellus / Cortinaire roux. Mycoquébec.org (Consulté le 17 septembre 2020).
  • Lambert, H. (octobre 2015). Les cortinaires. Le blogue Mycoquébec. Consulté le 17 septembre 2020.

Les ressources

  • En cas d’empoisonnement

Centre antipoison du Québec

En cas d’une possible intoxication, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7
Tél. : 1-800-463-5060
Site : www.ciusss-capitalenationale.gouv.qc.ca/centre-antipoison-du-quebec/capq-accueil

  • Aide à l’identification par Internet

Cercle des mycologues de Montréal https://www.facebook.com/groups/2194731114110633/

(ICSQ) Identification des champignons sauvages du Québec https://www.facebook.com/groups/329197307975954

Cercle des mycologues amateurs des Laurentides https://www.facebook.com/groups/144344126087710

CMAQ Cercle des mycologues amateurs de Québec https://www.facebook.com/groups/155469917846952

Mycologues amateurs de l’A.-T. https://www.facebook.com/groups/mycologuesamateursat

Pour mycologues plus avancés :
Mycoquébec : Les champignons du Québec https://www.mycoquebec.org/

  • Clubs de mycologie par région

Abitibi : Mycologues amateurs de l’Abitibi-Témiscamingue http://myam-at.ca/

Bas-Saint-Laurent : Cercle de mycologie de Rimouski inc. http://foosballquebec.com/myco/

Bois-Francs : Association des mycophiles sylvifrancs http://www.champignonsboisfrancs.ca/

Cantons-de-l’Est : Les mycologues de l’Estrie inc. https://www.mycologues-estrie.org/

Côte-Nord : Cercle des mycologues de Sept-Îles http://w2.cegepsi.ca:8080/raymondboyer/cmsi.html

Lanaudière et Mauricie : Cercle des mycologues de Lanaudière et de la Mauricie https://www.mycolanauricie.ca/  info@mycolanauricie.ca

Laurentides : Club des mycologues des Laurentides http://www.mycolaurentides.ca/

Montréal : Cercle des mycologues de Montréal https://mycomontreal.qc.ca/

Jardin botanique de Montréal
4101 rue Sherbrooke est
Montréal, QC H1X 2B2
Téléphone : 514-872-7239
Courriel : mycomtl@mycomontreal.qc.ca

Outaouais : Mycologues amateurs de L’Outaouais https://www.mao-qc.ca/

C.P. 1463 Succursale Hull Gatineau QC J8X 3Y3
Courriel : mycomao@mao-qc.ca

 

Québec : Cercle des mycologues amateurs de Québec http://www.mycologie-cmaq.org/

Domaine Maizerets
2000, boulevard Montmorency
Québec (Qc) G1J 5E7
Courriel : info@mycologie-cmaq.org

Saguenay-Lac-Saint-Jean :

Cercle des mycologues du Saguenay https://www.facebook.com/groups/9647702279/

Société de mycologie d’Alma https://sites.google.com/site/somycoalma/ Courriel : somycoalma@gmail.com

Annexe A – Étude

Par Patrice Dauzet

 

SPÉCIMENS OBSERVÉS (2)

  • Chapeau 4,5 cm, brun roux foncé, mamelonné, fibrilleux à finement écailleux, non hygrophane.
  • Lames adnées, larges, espacées, brun rouges.
  • Pied égal, fibreux, brun rougeâtre avec des chinures jaunes positives au KOH (rouge vif).
  • Chair jaunâtre à jaune orangé.
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Photos des spécimens apportés par le patient au Centre antipoison

MICROSCOPIE

  • Spores ovoïdes, légèrement verruqueuses, finement apiculés, à paroi épaisse, 9,5-11,3 x 7,3-8,3 μm, en moyenne 10,3 x 7,8 μm, Q = 1,32.
  • Trame lamellaire régulière.
  • Pileipellis en trichoderme, formé d’hyphes irréguliers dressés. Avec pigments formant des granulations brunes dans le KOH.
  • Basides en massue tétrasporées (parfois bisporées).
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Spores, trame lamellaire, pileipellis, baside
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2 Responses

  1. Isabelle

    Merci pour cet article très complet. Je suis encore au stage amateur et cette histoire est un rappel de ne jamais manger de champignon si on ne peut en faire l’identification de façon sûre!

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