Xeromphalina campanella et Xeromphalina kauffmanii : jamais deux sans trois.

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par Jacques Landry

 

Une petite omphale orange à lames décurrentes, poussant en troupe sur une souche de bois pourri : Xeromphalina kauffmanii si sur bois de feuillus; Xeromphalina campanella si sur bois de conifères.

Assez simple, non? Pas tout à fait.

Il existe une troisième espèce du groupe campanella/kauffmanii, X. enigmatica, qui ne se distingue de X. campanella que par son ADN et ses affinités de reproduction.

Aldrovandi et al., (2015) dans un article qui vient de paraitre nous indiquent qu’en fait il existe deux espèces tout à fait identiques au niveau morphologique qui colonisent les souches de feuillus. Depuis 1997, on sait qu’il existe deux espèces sexuellement incompatibles sous le nom de X. campanella. Dans son récent article, Aldrovandi et al. complètent l’information avec une analyse génétique poussée et proposent le nom X. enigmatica pour cette nouvelle espèce.

GAUCHE : Xerompahlina kauffmanii, Photo Marc Bois;
DROITE : Xeromphalina campanella / X. enigmatica, Photo Herman Lambert

En 1997, Johnson et Petersen découvraient que X. campanella regroupe deux taxons sexuellement incompatibles. À défaut de bien les caractériser, ils les nomment tout simplement X. campanella 1 et X. campanella 2 et proposent qu’elles puissent être distinguées par la présence ou non de pigments dans leurs caulocystides (cellules sur revêtement du pied), ce que Aldrovandi et al. ne peuvent malheureusement pas reproduire. Dans cette étude, Johnson et Petersen confirmaient également qu’un troisième taxon, X. kauffmanii, endémique à l’est de l’Amérique du Nord, se distingue quant à lui par sa croissance sur bois pourri de feuillus et la taille de ses spores.

GAUCHE : Xerompahlina campanella, Photo Renée Lebeuf; DROITE : Xerompahlina campanella /enigmatica, Photo Jules Cimon
GAUCHE : Xerompahlina kauffmanii, Photo Renée Lebeuf;
DROITE : Xeromphalina campanella / X. enigmatica, Photo Jules Cimon

L’analyse génétique effectuée par Aldrovandi et al. de plusieurs spécimens du groupe campanella/kauffmanii provenant de différentes parties du monde confirme l’existence de trois clades monophylétiques en accord avec les groupes définis par croisement. Un premier clade contenant le néotype de X. campanella regroupe indistinctement des spécimens de Finlande, de l’Allemagne et de la Russie, mais aussi de l’Amérique du Nord, indiquant peu de variabilité géographique pour cette espèce. Le clade des X. enigmatica, par contre, se trouve scindé par région géographique en sous-clades qui pourraient presque être subdivisés en espèces distinctes, n’eût été leur compatibilité sexuelle. Dans cette analyse à trois gènes, X. kauffmanii se trouve dans un clade soeur de X. enigmatica.

Les auteurs proposent que X. enigmatica proviendrait d’Asie. Elle serait une espèce en pleine évolution. En effet, X. enigmatica comprend plusieurs sous-clades et bien qu’une reproduction sexuée semble encore possible entre ces groupes, elle est parfois difficile (par ex.  avec certains spécimens chinois ou japonais) et la divergence génétique est bien claire suggérant qu’une spéciation est en cours.  C’est ainsi que X. kauffmanii, une espèce soeur, serait apparue en Amérique du Nord, isolée d’abord de X. enigmatica en raison d’une préférence au bois franc comme substrat puis par la perte progressive de la capacité de reproduction.

Au contraire, la répartition mondiale de Xeromphalina campanella indique une stabilité génétique très grande. Il semble y avoir une constante dans l’écologie qui pourrait être à l’origine de la stabilité : le froid. On la retrouve toujours soit dans des régions nordiques ou en haute altitude, lorsque dans des régions moins froides. Dans l’est de l’Amérique du Nord, elle apparaît tard à l’hiver ou très tôt au printemps.

En conclusion, on ne sait pas pour l’instant si les spécimens que l’on nomme X. campanella sont vraiment X. campanella ou encore son sosie X. enigmata. En attendant que soient définis des caractères morphologiques ou macrochimiques, au niveau macroscopiques ou microscopiques, ce n’est que par des méthodes génétiques ou biologiques que l’on pourra les séparer l’une de l’autre.

Remerciements

Merci à Renée Lebeuf, Marc Bois, Jules Cimon et Herman Lambert, qui ont généreusement accepté que j’utilise leurs photos pour illustrer cet article.

Références

  • Aldrovandi, M.S.P., Johnson, J.E., O’Meara, B.C., Petersen, R.H.,  Hughes, K.W. (2015). The Xeromphalina campanella/kauffmanii complex: species delineation and biogeographical patterns of speciation. Mycologia sous presse.
  • Johnson, J. E., Petersen.R. H. (1997). Mating systems in Xeromphalina species. Mycologia 89: 393-399.

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  1. Patrick Poitras

    Article très intéressant! Toutefois, cela complique un peu (euphémisme) les choses si l’on n’a pas accès aux méthodes génétiques ou biologiques. Bon. Peu importe, j’attends les développements avec une certaine impatience. 🙂

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