La trame lamellaire

Classé dans : Microscopie | 1

Petite capsule microscopie

par Guy Fortin

Chez les champignons lamellés, une coupe transversale d’une lame laisse voir ses différentes parties (Fig. 1) :

  • L’hyménium.
    Partie fertile de la lame qui produit les spores, il est formé de la rangée de basides qui tapissent la face externe de la lame.
  • Le sous-hyménium.
    Zone située juste sous les basides, il est constitué d’articles qui donnent naissance aux basides.
  • L’hyménopodium.
    Étroite région formée surtout d’hyphes génératrices situées entre le sous-hyménium et la trame lamellaire. Il s’agit d’un vestige de la trame lamellaire primordiale qui s’est modifiée avec le temps en gonflant les articles situés au milieu de la trame lamellaire. Chez de nombreux champignons lamellaires, il est très réduit ou absent.
  • La trame lamellaire.
    Partie de la lame située entre deux sous-hyméniums ou deux hyménopodiums.
  • La médiostrate.
    Étroite région située juste au centre de la trame lamellaire.
Fig. 01 : Pluteus sp. Photographie montrant les différentes parties d'une lame de champignon telles qu'observées dans la partie médiane de la lame. De l'extérieur vers le centre de la lame, on rencontre l'hyménium, le sous-hyménium, l'hyménopodium et la trame lamellaire. La médiostrate est une zone située au centre de la lame.
Figure 1.   Photographie montrant les différentes parties d’une lame de champignon (Pluteus sp.) telles qu’observées dans la partie médiane de la lame. De l’extérieur vers le centre de la lame, on rencontre l’hyménium, le sous-hyménium, l’hyménopodium et la trame lamellaire. La médiostrate est une zone située au centre de la lame.

 

L’architecture de la trame lamellaire est utilisée en taxonomie depuis plus de cent ans et la plupart des auteurs modernes utilisent la description qu’en a faite Fayod (1889). Il distingue les trames irrégulières, sous-régulières à régulières, bilatérales et inversées. Cette description peut être raffinée et des architectures intermédiaires peuvent être décrites. Clémençon (2012) en présente jusqu’à douze, qui seront décrites plus loin.

Pour bien observer la trame lamellaire, la coupe transversale d’une lame est la plus utilisée. Une lame du champignon est déposée à plat sur la lame porte-objet et plusieurs sections perpendiculaires à l’arête et à la base sont faites dans la région du centre de la lame. On s’assure ensuite sous la loupe binoculaire que les coupes ne sont pas tordues sur elle-même et on tente de les redresser au besoin. Souvent plusieurs coupes seront nécessaires pour en obtenir une ou deux dans la bonne position.

Une trame lamellaire est constituée d’hyphes dont l’architecture change avec l’âge du basidiome et avec l’endroit où on l’observe sur la lame. Ainsi, l’arête a souvent une architecture bidirectionnelle indépendamment du reste de la lame et la base a souvent une architecture irrégulière ou même bidirectionnelle, parce que les hyphes du contexte du pileus, entremêlées ou disposées radialement, peuvent pénétrer dans la base de la lame et se mélanger aux hyphes de la trame lamellaire. Il faut donc, pour bien observer une trame lamellaire en microscopie, le faire dans la région médiane de sa longueur et sur une lame mature (Fig. 2).

Figure 2. La trame lamellaire d’un champignon a une architecture différente selon l’endroit où on l’observe. Ici, sur une lame d’Entoloma sp., la trame lamellaire est irrégulière à la base (à gauche), régulière (au centre) et bidirectionnelle à l’arête (à droite). C’est dans la partie médiane d’une lame qu’il faut observer la trame lamellaire d’un champignon. Barre étalon = 50 µm

Notes :

Ce texte ne traite que de l’architecture des trames lamellaires.
Dans la majorité des dessins présentés plus loin, une structure de base comprenant deux hyméniums (en bleu), deux sous-hyméniums (en jaune) et deux hyménopodiums (en vert foncé) est illustrée. Au centre de cette structure de base, apparaît une architecture de trame lamellaire spécifique.
Même s’il a la même forme sur tous les dessins, le sous-hyménium est une structure complexe qui peut prendre plusieurs architectures. Sa description ne sera pas traitée ici. De même, pour des raisons de simplification, l’hyménopodium, qui peut être plus ou moins présent, ou même absent selon les champignons, est présenté de la même façon sur la majorité des dessins.

Description

La description des trames lamellaires suit la présentation qu’en fait Clémençon (2012).

1- Trame irrégulière.

Elle est formée d’hyphes emmêlées, serrées (comme un plat de spaghetti) ou lâches, dont les espaces sont comblés par une matière gélatineuse ou de l’air. On la rencontre entre autres chez Omphalina, Marasmius, Crepidotus, Pleurotus (Fig.­ 3). Lorsque les cellules hyphales sont courtes et qu’elles subissent une inflation turgescente importante, il peut en résulter une trame cellulaire ou sous-cellulaire (Fig. 4).

Figure 3. Trame lamellaire irrégulière formée d’hyphes emmêlées (vert pâle). À gauche : Crepidotus sp.

2- Trames cellulaire ou sous-cellulaire.

Elles proviennent des trames irrégulière ou sous-régulière par le gonflement turgescent important des courtes cellules hyphales. Les cellules fortement gonflées s’éloignent l’une de l’autre et l’espace libre entre elles est comblé par de l’air ou une masse gélatineuse. Ce type de trame se rencontre dans le genre Mycena (Fig. 4).

Figure 4. Trame cellulaire ou sous-cellulaire. Ici, une trame lamellaire sous-cellulaire formée de courtes hyphes turgescentes (vert pâle). À gauche : Mycena galopus

3- Trame entremêlée (intermixed).

Elle se caractérise par la présence de deux ou trois types différents d’hyphes. Comme dans plusieurs autres types de trames lamellaires, on y voit occasionnellement des hyphes thromboplères, mais elles ne sont pas caractéristiques des trames lamellaires entremêlées. Ce type de trame lamellaire entremêlée est fréquent chez les Russulaceae où il est formé d’hyphes des génératrices originales et de sphérocystes. Une matrice gélatineuse peut maintenir en place les hyphes et les sphérocystes lorsque ceux-ci sont très espacés l’un de l’autre. On rencontre aussi la trame entremêlée chez plusieurs champignons Aphyllophorales, mais elle est alors décrite avec le mitisme des polypores, qui n’est pas étudié ici (Fig. 5).

Figure 5. Trame lamellaire entremêlée formée d’hyphes génératrices (bleu) et de sphérocystes (vert pâle). À gauche Russula fragrantissima.

4- Trame bidirectionnelle.

Elle se rencontre dans les genres Xeromphalina et Panellus, mais est aussi fréquente près de l’apex et à la base des lames de nombreux agarics. Elle est composée d’hyphes génératrices allant de la base à l’apex dans un arrangement sous-régulier et d’hyphes génératrices parallèles à l’apex dans un arrangement sous-régulier. Elles forment un contexte lâche dont les hyphes sont grossièrement parallèles à l’hyménium, mais disposées selon deux directions principales comme les fibres d’un tissu (Fig. 6).

Figure 6. Trame lamellaire bidirectionnelle formée d’hyphes disposées dans deux directions (vert pâle). À gauche Panellus stipticus.

5 et 6- Trames sous-régulière à régulière.

Elles se traitent ensemble. Le degré de régularité des hyphes varie avec l’âge du basidiome et aussi avec la distance de la base de la lame. Il existe aussi parfois un gradient morphologique qui va du stipe à la marge du pileus. La médiostrate est soit formée d’hyphes génératrices, soit d’hyphes physaloïdes modérément ou fortement gonflées. Les strates latérales sont formées d’hyphes génératrices plus étroites souvent disposées de façon divergente rappelant la trame lamellaire primordiale. C’est un type de trame lamellaire très répandu qu’on rencontre chez Hygrocybe, Gymnopus, Tricholoma, Tricholomopsis, Clitocybe, Lepista, Entoloma, Agaricus, Lepiota, Xeromphalina, Hypholoma, Pholiota, Inocybe, Cortinarius, Galerina, Gymnopilus et bien d’autres (Fig. 7 et 8)

Figure 7. Trame lamellaire sous-régulière formée d’hyphes plus ou moins parallèles (vert pâle). La médiostrate et les strates latérales sont formées d’hyphes génératrices (bleu foncé).  À gauche, Hygrocybe punicea.

 

Figure 8.  Trame lamellaire régulière formée d’hyphes parallèles (vert pâle). La médiostrate et les strates latérales sont formées d’hyphes génératrices (bleu foncé). À gauche Entoloma sp.

7- Trame divergente.

Elle est divisée en deux types. Le type « divergent permanent » est considéré comme une continuation de la trame primordiale sans modifications secondaires des strates latérales. On la rencontre chez les Hygrophorus. Le type « bolétoïde » montre des strates latérales secondairement modifiées qui deviennent gélatineuses. Dans les deux types, la médiostrate est souvent étroite et régulière. La trame bilatérale qui est souvent appelée « trame bilatérale divergente » ou « trame divergente de type amanitoïde » est fondamentalement différente de la trame divergente (Fig. 9).

Figure 9. Trame lamellaire divergente formée d’une médiostrate étroite et régulière et de courtes hyphes orientées vers l’extérieur (vert pâle). À gauche Hygrophorus capreolarius.

8- Trame pachypodiale.

Elle est formée d’une couche de courtes hyphes horizontales disposées sous-régulièrement à irrégulièrement, qui se terminent directement sur les basides. Comme il n’y a pas de couche intermédiaire formant un sous-hyménium, cette couche a été interprétée comme un large sous-hyménium. On la retrouve dans les genres Gerronema, Chrysomphalina et Haasiella. La mince médiostrate est sous-régulière à irrégulière (Fig. 10).

Figure 10. Trame lamellaire pachypodiale formée de courtes hyphes horizontales (vert pâle) qui se terminent directement sur les basides. À gauche Chrysomphalina chrysophylla.

9- Trame physalo-irrégulière.

Elle se rencontre dans les genres Xerula et Oudemansiella. Elle est sous-régulière chez les jeunes basidiomes et formée seulement d’hyphes génératrices. Chez les sporophores matures, un réarrangement irrégulier et un fort gonflement turgescent de plusieurs hyphes donnent de l’épaisseur aux lames. De plus, les hyphes génératrices et physaloïdes qui restent deviennent largement espacées dans une masse gélatineuse. Les acrophysalides se développent dans toutes les directions et plusieurs poussent sur l’hyménopodium (Fig. 11).

Figure 11. Trame lamellaire physalo-irrégulière. Des hyphes génératrices résiduelles (bleu foncé) sont présentes entre des hyphes physaloïdes (beige) et des acrophysalides (rouge). À gauche Hymenopellis furfuracea.

10- Trame trabéculaire.

On la trouve chez les Leucocoprineae. Elle a été décrite pour la première fois par Buller (1924), qui a comparé sa structure à celle d’un pont de fer, sans proposer un nom particulier pour la décrire. Par la suite, plusieurs termes (« alvéolée », « entrecroisée et lacuneuse » ont été proposés pour la décrire). Clémençon (2012) a proposé le terme « trabéculaire » (trabécule = petite poutre) pour souligner l’importance mécanique des physaloïdes en forme de poutres plutôt que d’insister sur la présence d’espaces entre les physaloïdes. La trame primordiale est sous-régulière à régulière. Avec la maturation de la lame, les hyphes génératrices latérales de la médiostrate sont poussées vers l’extérieur et forment un hyménopodium. L’hyménopodium forme des trabécules et des acrophysalides orientées vers l’intérieur et un sous-hyménium cellulaire à l’extérieur (Fig. 12).

Figure 12. Trame lamellaire trabéculaire formée d’hyphes génératrices (bleu foncé), d’hyphes physaloïdes (vert pâle) et d’acrophysalides (rouge). À gauche Leucocoprinus birnbaumii.

11- Trame bilatérale.

Elle se rencontre dans le genre Amanita et Limacella. Elle est formée d’hyphes physaloïdes et d’acrophysalides compactées, provenant de la médiostrate et inclinées vers le sous-hyménium, dans la direction de l’arête lamellaire. Certaines hyphes physaloïdes ne sont pas des acrophysalides terminales et se prolongent dans le sous-hyménium par des hyphes génératrices. Le sous-hyménium est formé au début du développement de la lame, par des hyphes génératrices provenant de la médiostrate dont quelques-unes persistent chez la lame mature. Chez les Limacella, les acrophysalides sont rares et la majorité des hyphes physaloïdes ne sont pas terminales (Fig. 13).

Figure 13. Trame lamellaire bilatérale formée d’hyphes génératrices (bleu foncé), d’hyphes physaloïdes et d’acrophysalides (rouge) orientées vers le sous-hyménium dans la direction de l’arête. À gauche Amanita citrina.

12- Trame inversée.

Elle est typique des genres Pluteus et Volvariella. Elle est formée d’un hyménopodium provenant de la trame primordiale. Des acrophysalides, entre lesquelles on rencontre quelques hyphes génératrices résiduelles, arrivent de l’hyménopodium et sont orientées vers la médiostrate. Le sous-hyménium ne devient pleinement cellulaire qu’à la maturité de la lame (Fig. 14).

 

 

Figure 14. Trame lamellaire inversée formée d’hyphes génératrices résiduelles (bleu foncé) et d’acrophysalides (rouge) orientées vers la médiostrate dans la direction de l’arête. À gauche Pluteus sp.

Tableaux récapitulatifs en photographies et en dessins de tous les types de trames lamellaires.

 

Schémas - récapitulatif

Photographies récapitulatif-1  Photographies récapitulatif-2

Glossaire

Acrophysalide : article terminal turgescent, solitaire, parfois en chaînette, ayant la forme d’un bâton de baseball, provenant de l’apex d’une hyphe simple. Ils donnent de l’épaisseur et de la rigidité aux lames sans ajouter beaucoup de biomasse.

Aphyllophorale : ancien ordre des champignons Basidiomycètes qui sont dépourvus de lames.

Basidiome : Sporophore ou sporome des Basidiomycota. Structure qui supporte l’hyménium produisant les basidiospores. Voir Sporophore ou sporome.

Basidiomycètes : ancienne classe des champignons dont les spores sont produites sur des basides.

Hyphe : mot d’origine grecque huphê qui signifie tissu, filament

Hyphe génératrice : hyphe vivante, nucléée, septée, parfois bouclée, à paroi mince, qui constitue le tissu de base des basidiomes des champignons. Appelée hyphe végétative dans les mycéliums

Hyphe physaloïde (physalohyphe) : hyphe gonflée, turgescente; du grec physa- : vessie et – oides : qui ressemble à, semblable à

Sporophore ou sporome : structure portant les spores chez les champignons supérieurs, plus précisément ascome pour les Ascomycota et basidiome pour les Basidiomycota. Terme qui remplace : appareil fructifère, fructification, carpophore et sporocarpe

Trame primordiale : trame lamellaire telle qu’elle se présente au tout début du développement d’une lame.

Toutes les photographies ainsi que les dessins sont de l’auteur.

Nos remerciements à Renée Lebeuf pour les exsiccata de Mycena galopus et Leucocoprinus birnbaumii ainsi qu’à Raymond Archambault pour l’exsiccatum de Chrysomphalina chrysophylla déposé au Fongarium du Cercle des Mycologues de Montréal par Jacqueline Labrecque.

Merci aussi à Roland Labbé et Johanne Paquin pour leur lecture critique et leurs conseils.

Références

  • Clémençon, H. (2012). Cytology and Plectology of the Hymenomycetes (2e éd.). Stuttgart : J. Cramer
  • Fayod, V. (1889). Prodrome d’une histoire naturelle des Agaricinés. –Ann. Sci. Nat. Bot. VII :9, 181-411
  • Largent, D., Johnson, D., Watling, R. (1977). How to Identify Mushrooms to Genus III : Microscopics Features. CA, É.-U. : Mad River Press Inc.
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  1. julien paquet

    Guy,
    Tes articles sont d’une grande clarté.
    Quelles illustrations !
    Merci.
    Julien P.

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