Coprins, merveilleux Coprins

Classé dans : Microscopie | 2

Guy Fortin, avec la collaboration de Johanne Paquin


La plupart des basidiomycètes sont équihyménifères (aequihymeniiferous), c’est-à-dire qu’ils ont un hyménium qui se développe presque simultanément sur toute la surface des lames. Ils ont tendance à prendre la forme d’un parapluie ouvert pour protéger cet hyménium de la pluie. Si ce dernier devient détrempé, le mécanisme d’éjection des spores ne peut se déclencher.

Certaines espèces des genres Coprinus, Coprinopsis, et Coprinellus font exception. Ils sont inéquihyménifères (inaequihymeniiferous), c’est-à-dire que leur hyménium se développe en zones successives de maturation. À maturité, ils prennent plutôt la forme d’un parapluie fermé. De plus, leurs lames étant très minces et très serrées (fig. 1), ils produisent de très grosses cellules, des pleurocystides, parfois appelées cystides trabéculaires (du latin trabecula : petite poutre), qui servent d’espaceurs pour empêcher les lames de se toucher. Chez certaines espèces de Coprinopsis et de Coprinellus, ces cystides trabéculaires sont exceptionnellement grandes, hyalines et à paroi mince (Fig. 2). Elles traversent l’espace entre deux lames adjacentes et s’ancrent dans l’hyménium adjacent. Lorsqu’une cystide en développement touche la lame opposée, elle induit la formation de récepteurs spécialisés appelés « cystesia » auxquels elle se lie chimiquement d’une façon si forte qu’en séparant deux lames, il arrive que la cystide trabéculaire soit arrachée du sous-hyménium d’où elle provient et reste accrochée aux cystesia auxquels elle a adhéré.

Fig-1 C. micaceus
Fig. 1 : Coprinellus micaceus. Lames minces et serrées.
Fig-2 C. comatus, cystide trabéculaire
Fig. 2 : Immense cystide trabéculaire face à une baside. Ces cystides trabéculaires servent à empêcher les lames de se toucher, assurant un espace dans lequel les basides peuvent éjecter leurs spores. Coprinellus micaceus, coloration au Rouge Congo SDS + Phloxine-B, dans le liquide glycériné.

Avec cette morphologie particulière, les Coprinus ont développé un mécanisme original pour éjecter leurs spores. Lorsque le basidiome arrive à maturité, une séquence parfaitement synchronisée d’événements se déclenche. À ce moment, seules les basides situées dans la zone près de la marge du chapeau et exposées à l’air libre peuvent parvenir à maturité et éjecter leurs spores. Tout de suite après, une vague d’autolyse (déliquescence) parcourt la marge du chapeau, permettant aux basides situées plus haut d’être exposées à l’air libre à leur tour, de parvenir à maturation et d’éjecter leurs spores avant qu’une nouvelle vague d’autolyse n’expose les basides situées plus haut et ainsi de suite jusqu’à ce que le chapeau en entier soit lysé (Fig. 3). Les cystides trabéculaires situées près de l’arête des lames se lysent en premier de sorte qu’elles ne sont pas sur la trajectoire des spores.

Fig-3 Coprin, lyse du chapeau
Fig. 3 : Progression de la lyse du chapeau chez un coprinoïde

Certains hyméniums, en particulier dans le genre Coprinus, possèdent des structures similaires à des basidioles (des basides immatures, avortées ou en développement), bien qu’elles soient plus grandes et plus gonflées. Elles ont été appelées brachybasidioles (ou brachycystides, ou pseudoparaphyses). Ces brachybasidioles se juxtaposent et forment une couche au travers de laquelle émergent les basides entourées de 3 à 6 de ces brachybasidioles (Fig. 4). Ces dernières agissent apparemment comme éléments d’espacement entre les basides et forment un type d’hyménium particulier appelé « Structure hyméniale coprinoïde » (Coprinoid Hymenial Structure) (Fig. 5).

Fig-4 C. comatus, basides et brachybasidioles
Fig. 4 : Coprinus comatus. Hyménium en coupe transversale. Basides qui émergent du pavé formé par l’entassement des brachybasidioles.
Fig-5 C. comatus, structure hyméniale coprinoïde
Fig. 5 : Coprinus comatus. Hyménium vu de face. Aperçu de la « Structure hyméniale coprinoïde ». Dans le cercle rouge, une baside à quatre stérigmates entourées de six brachybasidioles.

Post-scriptum –
Des chercheurs américains ont présenté récemment une étude qui démontre que les champignons peuvent projeter leurs spores au loin, même en l’absence de vent, et cela en produisant leur propre courant d’air sous l’hyménium.
Le processus serait assez simple : les champignons favorisent l’évaporation de leur humidité. Cette évaporation consomme de l’énergie, ce qui refroidit l’air ambiant. L’air froid, plus dense que l’air chaud, se met en mouvement. En même temps, l’évaporation produit de la vapeur d’eau, ce qui diminue la densité de l’air, lequel se met aussi en mouvement. Ces deux phénomènes provoquent, sous l’hyménium, un déplacement de l’air qui entraîne avec lui les spores qui ont été éjectées par le mécanisme expliqué dans la « Petite capsule microscopie » parue dans le Boletin de juillet 2013).
Ceci permet aux champignons situés dans des endroits défavorables, ou très près du sol, de disperser leurs spores.
Le nom des auteurs et le résumé de la recherche se trouvent à l’adresse suivante :

 meeting.aps.org/Meeting/DFD13/Event/203211

Références :

  • Clémençon, H. (2012). Cytology and Plectology of the Hymenomycete (2e éd.). Stuttgart: J. Cramer : 243
  • Kendrick, B. (2000). The Fifth Kingdom (3e éd.). Newburyport MA : Focus Publishing : 134-135
  • www.mycolog.com/fifthtoc.html
  • Kuo, M. (2008, February). Coprinopsis romagnesiana. Retrieved from the MushroomExpert.Com Web site: http://www.mushroomexpert.com/coprinopsis_romagnesiana.html
  • Largent, D., Johnson, D., Watling, R. (1977). How to Identify Mushrooms to Genus III: Microscopics Features. CA, É.-U.: Mad River Press Inc. : 90-92
  • Moore, D., Robson, G., Trinci, T. (2011). 21st Century Guidebook to Fungi. Cambridge University
  • Press, New York : 295
  • Webster, J., Weber, R. (2007). Introduction to Fungi (3e éd.). Cambridge, États-Unis d’Amérique : Cambridge University Press : 522-523
  • http://en.wikipedia.org/wiki/Coprinellus_micaceus

La figure 1 est de Fernand Therrien, les autres sont de l’auteur.

Merci à Roland Labbé pour sa lecture critique.

* Ce texte est paru dans : LE BOLETIN, Vol. 61 No1 Janvier 2014

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