Des papillons dans la tête… des Panaeolus

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par Jacques Landry et Guy Fortin

Lors d’une récente conférence donnée dans le cadre des cours de mycologie organisés par le Cercle des mycologues amateurs de Québec (CMAQ), le conférencier expliquait qu’un des caractères les plus significatifs pour reconnaître les panéoles (Panaeolus et Panaeilina) sur le terrain, est l’aspect marbré de leurs lames (Roux, 2015). Bien que non spécifique à ce genre, cette caractéristique des lames, présentant en alternance des régions foncées et des régions plus claires est des plus évidentes chez les Panaeolus, les Panaeilina et les Lacrymaria. C’est d’ailleurs ce qui est à l’origine du nom du genre Panaeolus qui vient du grec  « παν αιολος » et qui signifie « panaché, bariolé ». On dit également de ces lames qu’elles sont papilionacées, telle une aile de papillon, ce qui a donné le nom à l’espèce type des Panaeolus, Panaeolus papilionaceus.

Un survol rapide des photos sur mycoquebec.org nous confirme la présence de ce caractère chez Panaeolus papilionaceus, Panaeolina foenisecii et Lacrymaria lacrymabunda  (Figures 1-4).

Panaeolus papilionaceus  PHOTO : Georges Lachaîne
Figure 1a. Panaeolus papilionaceus
PHOTO : Georges Lachaîne
Paneolus papilionaceus PHOTO : Joseph Nuzzolese
Figure  1b.  Panaeolus papilionaceus
PHOTO : Joseph Nuzzolese

 

Figure 2. Panaeolina foenisecii
PHOTO : King Coin

 

"Lacrymaria
Figure 3. Lacrymaria lacrymabunda
PHOTO : Jacqueline Labrecque

 

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Figure 4. Lacrymaria lacrymabunda
PHOTO : Raymond McNeil

Mais quelle est la cause de ce phénomène et pourquoi ces espèces ont-elles acquis ce caractère au cours de l’évolution?

Origine des marbrures des lames?

Les marbrures des lames proviennent d’une maturation par plaques des basides (les cellules produisant les spores) à la surface des lames. Les lames des panéoles sont beiges ou brun pâle alors que la sporée est brun-noir. Ainsi, de grandes plaques noires deviennent visibles là où les basides sont en pleine production de spores et un effet de marbrure apparaît à l’oeil nu sur la surface des lames.

Ces connaissances concernant le patron de maturation des basides sur les lames des panéoles datent de près de 100 ans. Buller, au début des années 1920, étudie les patrons de distribution des basides actives chez plusieurs types de champignons au cours de leur croissance. Il discerne deux types de lames.

Sur une lame de type Coprinus ou inéquihyménifère, les basides commencent leur maturation dans une région bien précise pour progresser à l’ensemble de la lame vers la fin du cycle. Chez les coprins, par exemple, la maturation débute à l’arête de la lame puis le front de maturation progresse vers le point d’attache de la lame au chapeau. Les lames se liquéfient derrière le front de maturation permettant la dispersion des spores nouvellement produites (voir le blogue Coprins, merveilleux Coprins). Bien que non étudiées par Buller, les lames des amanites sont également inéquihyménifères, non pas qu’elles se liquéfient, mais parce que la maturation des basides suit également un patron spatiotemporel bien précis. Chez les Amanita, la maturation des spores se fait en diagonale. Elle commence à la partie supérieure de la lame près du pied et se déplace vers l’arête de la lame à la marge du chapeau (R.E. Tulloss, communication personnelle à Halbwachs et Bässler, 2015; voir aussi le lien).

Buller décrit également des lames de type équihyménifère. Les basides de ces lames commencent leur maturation dans toutes les régions d’une lame en même temps, entraînant l’apparition d’hyméniums de type anisotrope ou isotrope. Chez les hyméniums anisotropes, comme c’est le cas des Panaeolus, de petites zones irrégulières de maturation synchrone se développent partout à la fois sur les lames, avoisinées par des zones non développées, créant ainsi un motif marbré. Les zones de maturation peuvent être très petites; on les dit microanisotropes et les marbrures ne sont alors pas visibles à l’œil nu. Les hyméniums microanisotropes ne peuvent être identifiés qu’au microscope, la surface de leurs zones de maturation étant inférieure à environ 0,1 mm2. Chez les hyméniums macroanisotropes, les zones sont visibles à l’œil nu, ce qui conduit à l’apparition de lames tachetées, particulèrement chez les espèces à spores colorées comme les Panaeolus. Des zones d’environ 0,1 à 4 mm2 de maturation simultanée des basides sont visibles sur les lames des Panaeolus.  (Figures 5, 6)

 

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Figure 5. Hyménium anisotrope de Panaeolus papilionaceus, coupe transversale d’une zone de maturation avec quatre générations successives de basides. 1 = basidioles; 2 = basides en maturation; 3 = basides matures; 4 = basides collapsées. Les basides de chaque génération sont toutes au même stade de développement. Tiré de Buller (1922).

 

 

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Figure 6.  Panaeolus papilionaceus, dessin de Buller (1922)

Chez les hyméniums isotropes, la maturation des basides ne se fait pas par zone, mais de façon synchrone sur toute la surface de la lame. C’est le cas de la plupart des agarics et l’exemple type donné par Buller est l’Armillaria.

Bien qu’il s’agisse d’un caractère surtout évident chez les Panaeolus et les Lacrymaria, la présence de marbrures sur les lames n’est pas unique à ceux-ci. Buller en a observées chez de nombreuses espèces : Panaeolus semiovatus, P. papilionaceus, Panaeolina foenisecii, Hypholoma ericaeum, H. fasciculare, Lacrymaria lacrymabunda, Psilocybe semilanceata, Protostropharia semiglobata, Stropharia aeruginosa, Agaricus campestris, Agaricus bisporus, Agaricus silvaticus, Kuehneromyces mutabilis, Pholiota highlandensis, Crepidotus mollis, Cortinarius collinitus, Cortinarius arvinaceus et Macrolepiota procera (Buller, 1922,1924). Le tableau présenté à la Figure 7 est tiré de Buller (1922).

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Figure 7. Le tableau est tiré de Buller 1922.

 

Parmi les photos sur mycoquebec.org, on peut observer ce caractère entre autres chez Protostropharia semiglobata et Hemistropharia albocrenulata (Figures 8-10).

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Figure 8. Protostropharia semiglobata
PHOTO : Fernand Therrien

 

Protostropharia semiglobata  PHOTO : Jacques Landry
Figure 9. Protostropharia semiglobata
PHOTO : Jacques Landry

Hemistropharia albocrenulata  PHOTO :  Jonathan Mack
Figure 10. Hemistropharia albocrenulata
PHOTO : Jonathan Mack

Chez certaines espèces, les marbrures sont très visibles alors que dans d’autre cas, comme Agaricus campestris, elles ne sont visibles que chez les spécimens en excellent état et alors seulement si l’on regarde très attentivement (Figure 11).

 

Agaricus campestris
Figure 11. Agaricus campestris.
Texte traduit de Buller, 1922 : « Chez certaines espèces comme Panaeolus foenisecii et Stropharia semiglobata, si le champignon est en bon état, les marbrures sont aussi faciles à observer que chez les Panaeolus. Chez d’autres espèces comme Agaricus campestris, le phénomène peut facilement passer inaperçu à moins de regarder les lames très attentivement. Dans ce cas, les marbrures ont une texture fine, mais tout de même visible à l’oeil nu ».  À noter que Panaeolus foenisecii est maintenant un Panaeolina et que Stropharia semiglobata est un Protostropharia.

 

Quel en est le rôle?

Il est difficile de déterminer pourquoi de telles stratégies de production de spores ont été acquises au cours de l’évolution, mais on peut facilement imaginer qu’il s’agit de différentes façons permettant de diminuer au maximum l’obstruction lors de la libération des spores. Le mécanisme le plus simple pour maximiser le nombre de spores et en même temps optimiser l’espace pour les éjecter est la maturation asynchrone des basides, de sorte que les basides qui portent des spores et celles qui n’en ont pas (basidioles) sont entremêlées (hyménium isotrope). Les champignons de type Coprinus ont trouvé eux aussi une façon efficace d’éjecter leurs spores. La liquéfaction des basides et du sous-hyménium aussitôt que les spores sont éjectées place de nouvelles basides sur le front, directement en contact avec l’extérieur où elles peuvent éjecter leurs spores sans obstacle. La maturation des basides en tachetures (Panéoles) et en diagonale (Amanites) pourrait n’être que des voies alternatives pour minimiser les obstructions pendant l’éjection des spores.

Il pourrait y avoir un autre avantage à ces différents mécanismes : les insectes qui se nourrissent de spores pourraient avoir moins de succès sur des lames tachetées que sur des lames dont la maturation des basides commence à la marge du chapeau. Le type d’éjection des spores des Amanita débutant près du pied et à la base de la lame, surtout combiné à la présence d’un voile qui arrête les petits invertébrés, pourrait avoir un avantage semblable.

 

Remerciements

Les auteurs remercient les collègues qui ont accepté de partager leurs photos : Georges Lachaîne, Joseph Nuzzolese, King Coin, Jacqueline Labrecque, Raymond McNeil, Fernand Therrien et Jonathan Mack

 

Références

  • Buller, A.H.R. (1909). Researches on fungi. [Vol. I]. An account of the production, liberation, and dispersion of the spores of Hymenomycetes treated botanically and physically : also some observations upon the discharge and dispersion of the spores of Ascomycetes and of Pilobolus. London. Longman, Greene & Co.
  • Buller, A.H.R. (1922). Researches on Fungi [Vol II]. Further investigations upon the production and liberation of spores in hymenomycetes. London. Longman, Greene & Co.
  • Buller, A.H.R. (1924). Researches on fungi. Vol. III: the production and liberation of spores in Hymenomycetes and Uredineae. London. Longman, Greene & Co.
  • Clémençon, H., Emmett, V., and Emmett, E.E. (2012). Cytology and Plectology of the Hymenomycetes. J. Cramer.
  • Halbwachs, H.,  Bässler, C. (2015). Gone with the wind–a review on basidiospores of lamellate agarics. Mycosphere 6, 78–112.
  • Largent, D., Johnson, D., Watling, R. (1977). How to Identify Mushrooms to Genus III: Microscopics Features. CA, É.-U.: Mad River Press Inc.
  • Roux, R. (2015) Les panéoles du Québec. Conférences du Cercle des mycologues amateurs de Québec.
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