Histoire d’hyphes II*

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Petite capsule microscopie : Les hyphes sécrétrices

par Guy Fortin et Johanne Paquin

Nous avons vu dans le premier article de cette série, que les hyphes sécrétrices proviennent d’une différenciation des hyphes génératrices, tout comme les hyphes sclérifiées, les hyphes de stockage, les hyphes physaloïdes et les hyphes gélifères.

Traditionnellement, les hyphes sécrétrices sont classées en fonction de la présence ou de l’absence de septa, de l’aspect de leur contenu (laiteux, huileux), de la coloration des parois et du contenu (deutéroplasme) par des colorants et réactifs.

La terminologie conventionnelle distingue cinq classes d’hyphes sécrétrices:

  1. Les laticifères (dans un sens très restreint): produisent et transportent du latex. Elles sont à paroi mince, non septées et ramifiées. Elles n’absorbent pas nécessairement le bleu de crésyl et ne deviennent pas nécessairement bleu foncé dans la sulfovanilline ou noires dans le sulfobenzaldéhyde.
  2. Les oléifères (dans le sens de Fayot): ne transportent pas de latex, mais contiennent une huile, une graisse, une résine ou une substance d’apparence huileuse, graisseuse ou résineuse. En général, elles virent au bleu dans la sulfovanilline, au brun dans la sulfoformaline ou au noir dans le sulfobenzaldéhyde.
  3. Les gléoplères (gloeo-vessels de Singer, rebaptisées gloeoplerous par Donk) : sont attachées (reliées) aux gléocystides qui proviennent de la trame et se colorent en bleu foncé dans le bleu de crésyl. Elles ont un contenu granulaire et peuvent se gélifier. Il est possible qu’elles transportent aussi du latex.
  4. Les coscinoïdes (dans le sens de Singer) : sont des hyphes de transport de couleur foncée, avec une surface ressemblant à un tamis. On les rencontre dans toutes les parties des basidiomes de Linderomyces et d’autres genres comme Paxillus. Ce sont des hyphes filiformes spongieuses émergeant en coscinocystides dans l’hyménium.
  5. Les chrysovaisseaux (Chryso-vessels) : sont semblables aux gléoplères ou aux oléifères, mais avec un contenu granulaire ou résineux semblable à celui des chrysocystides, qui vire au jaune dans les alcalis. On les rencontre dans certains genres de la famille des Strophariaceae, en particulier dans le genre Pholiota.

Cette terminologie conventionnelle, largement utilisée, a été remise en cause par Clémençon (1997) qui propose une terminologie moderne des hyphes sécrétrices, basée sur l’apparence ou la réactivité chimique de leur deutéroplasme.

En général le deutéroplasme est insoluble ou légèrement soluble dans l’eau. Il peut être observé sous forme de gouttelettes qui s’accumulent et peuvent devenir assez nombreuses pour former une suspension laiteuse qui s’écoulera ou non de l’hyphe selon sa viscosité, la grosseur de l’hyphe et la pression de turgescence interne. S’il y a un écoulement, il s’agit alors d’un latex.

À mesure que de plus en plus de substance sécrétée s’accumule, les gouttelettes peuvent fusionner et former une masse d’apparence grumeleuse ou homogène, ou cristalliser et produire un deutéroplasme plus ou moins ferme.

En se basant sur cette progression, d’une solution aqueuse à une masse gélatineuse, Clémençon a sélectionné et nommé quelques étapes de transformation du deutéroplasme de la façon suivante :

Hydromorphe: désigne un deutéroplasme clair et liquide, qui peut être coloré ou non, ou qui peut se colorer en s’écoulant de l’hyphe ou en séchant. Rare.

Hétéromorphe: désigne un deutéroplasme formé de gouttelettes ou de cristaux en suspension dans le cytoplasme. Il peut être liquide et s’écouler de l’hyphe en grande quantité (latex) ou être visqueux et ne pas s’écouler de l’hyphe. Commun.

Isomorphe: désigne un deutéroplasme qui est liquide et peut s’écouler de l’hyphe et qui n’est ni laiteux ni aqueux, mais d’apparence homogène comme de l’huile. Rare.

Diplomorphe: désigne un deutéroplasme liquide, isomorphe, dans lequel sont dispersés des gouttelettes ou des granules d’une autre sécrétion. Comme la masse isomorphe est liquide, le deutéroplasme diplomorphe peut s’écouler d’une hyphe brisée. Rare.

Méromorphe: désigne un deutéroplasme qui ne contient ni gouttelettes ni granules, mais des grumeaux plus gros, des caillots ou des cristaux, directement en suspension dans ce deutéroplasme . Rare.

Thrombomorphe: désigne un deutéroplasme gélatineux, ferme et surtout homogène. Ce deutéroplasme ne s’écoule pas, mais surgit de l’hyphe brisée et forme un exsudat en forme de petits boutons. Très commun.

À partir de cette description morphologique du deutéroplasme, on peut définir des classes d’hyphes sécrétrices:

Deutéroplasme hydromorphe. Le contenu des hyphes sécrétrices est liquide et clair, toutes les substances sécrétées sont dissoutes. Les basidiomes coupés exsudent un jus aqueux, quoique parfois coloré … Les hydroplères

Deutéroplasme opalescent. Le contenu des hyphes sécrétrices est laiteux, granuleux, avec des cristaux, ou gélatineux et ferme … 

Deutéroplasme hétéromorphe ou diplomorphe. Le contenu des hyphes sécrétrices est liquide, mais parfois visqueux. Lorsque coupés, certains basidiomes exsudent un latex laiteux, d’autres non … Les hétéroplères

Deutéroplasme thrombomorphe. Les basidiomes n’exsudent jamais de latex … Les thromboplères

Les hétéroplères englobent les hyphes gléoplères et laticifères conventionnelles.

Les thromboplères sont les « hyphes oléifères » de Fayod.

Les hyphes hydroplères

Elles exsudent un suc clair et transparent, soluble dans l’eau, limpide, mais pouvant être coloré ou non. Ce n’est pas un latex, celui-ci est insoluble dans l’eau. Même si les hydroplères exsudent une grande quantité de liquide lorsqu’elles sont brisées, comme le font les laticifères, le liquide qu’elles exsudent n’est pas un latex et elles ne sont donc pas appelées laticifères. Elles se différencient à partir des hyphes génératrices et cette différenciation peut se faire progressivement d’un article à l’autre. Ces hyphes peuvent souvent être reconnues par la rareté ou l’absence de septa et par leur grand diamètre. Hygrocybe conica et les espèces apparentées sont des exemples de champignons qui ont des hydroplères dans leur basidiome (Fig. 1)

Fig. 1a : Hyphe hydroplère.  Trame lamellaire de Hygrocybe conica. Mosaïque formée de trois photos. Les hydroplères (HH) se différencient à partir d’hyphes génératrices (HG), cette transition peut être progressive. Ce sont des hyphes vivantes, turgescentes, à deutéroplasme hydrosoluble qui souvent, est ou devient foncé. Observation dans l’eau à 1000x. © Guy Fortin

 

Fig. 1b Hyphe hydroplère
Figure 1b. Hyphe hydroplère, ici avec un deutéroplasme foncé. Trame lamellaire d’un Hygrocybe conica. Les hydroplères peuvent se reconnaître à leur deutéroplasme hydrosoluble, à la rareté de leurs septa et à leur gros calibre. Elles sont fréquentes dans les genres Mycena et Hydropus. Observation dans le rouge Congo SDS à 400x. © Guy Fortin

Les hyphes hétéroplères

Le deutéroplasme est hétéromorphe ou diplomorphe, fait de gouttelettes ou de fins granules en suspension dans le cytoplasme ou dans un liquide isomorphe d’apparence huileuse. Il peut s’écouler des hyphes en grande quantité (c’est alors un latex), ou il peut être visqueux et ne pas s’écouler. Le deutéroplasme hétéromorphe est laiteux ou opalescent. Il coagule souvent lorsqu’il est exsudé. Certains deutéroplasmes sont colorés ou le deviennent lorsqu’ils sont exposés à l’air. Certains ont un goût âcre ou qui le devient lorsqu’exposés à l’air. Les hétéroplères peuvent être septées, mais ces septa sont parfois rares, donnant l’image de longs conduits, qui ont généralement un plus grand diamètre que les autres hyphes.

Les hétéroplères des espèces du genre Lactarius et d’autres champignons exsudant un latex sont connus sous le nom d’« hyphes laticifères », et les hétéroplères similaires qui n’exsudent pas de latex sont nommées « hyphes gléoplères ». La distinction entre laticifères (Fig. 2) et gléoplères (Fig. 3) est basée uniquement sur la quantité de deutéroplasme exsudé lorsque les hyphes sont blessées. Les deux catégories sont conservées surtout pour des raisons historiques. Cette distinction est d’autant plus brouillée que la quantité de liquide exsudé dépend de l’âge du basidiome et des conditions atmosphériques. Les gléoplères exsudent aussi, comme les laticifères, mais en quantité microscopique. Ceci peut être dû à une viscosité différente, à une pression de turgescence différente ou à un calibre différent des hyphes.

La plupart des espèces du genre Lactarius ont des laticifères dans leur basidiome alors que les espèces des genres Russula, Lentinellus et Gomphus ont des gléoplères.

Fig. 2a Hyphes laticifères
Figure 2a. Hyphes laticifères. Photo prise à la base de la trame lamellaire d’un Lactarius thyinos. Le deutéroplasme est fait de fins granules en suspension dans le cytoplasme. Les hyphes laticifères sont des hyphes hétéroplères comme les gléoplères et ne s’en distinguent que par la quantité de deutéroplasme qu’elles exsudent lorsqu’elles sont brisées. Observation dans l’eau à 1000x. Barre-étalon : 10 µm. © Guy Fortin

 

Fig. 2b Hyphes laticifères
Figure 2b. Hyphes laticifères. Trame lamellaire d’un Lactarius thyinos. Les hyphes laticifères ont un gros calibre et sont très nombreuses dans la trame lamellaire du L. thyinos, ce qui explique la grande quantité de latex exsudé lorsqu’il est frais et que la chair est brisée. © Guy Fortin

 

 

Figure 3a. Hyphe gléoplère.  Stipitipellis d’un Lentinellus vulpinus. Ici, une hyphe gléoplère (HGl) provenant d’une hyphe génératrice (HG), séparée par un septum bouclé (b). Les hyphes gléoplères exsudent peu ou pas de latex. La quantité de latex exsudé par une hyphe brisée peut être due au calibre de l’hyphe, à la pression de turgescence présente dans l’hyphe ou à la viscosité du deutéroplasme. Observation à 1000x dans la solution iodée de Melzer. © Guy Fortin

 

Fig. 3b Hyphe gléoplère
Figure 3b. Hyphe gléoplère. Pileipellis d’un Russula sp. La distinction entre les hyphes laticifères et les hyphes gléoplères, basée sur la quantité de deutéroplasme exsudé lorsque les hyphes sont brisées, est compliquée par le fait que la quantité de liquide exsudé dépend de l’âge du basidiome et des conditions atmosphériques. Un champignon peut « saigner » lorsqu’il est jeune et ne pas le faire lorsqu’il est vieux. Certains exsudent à l’humidité, mais non au sec ou au froid. Il arrive qu’un champignon cesse d’exsuder peu de temps après avoir été cueilli, même s’il est gardé à l’humidité. Observation à 1000x dans l’eau. © Guy Fortin

 

Les hyphes thromboplères

Le deutéroplasme des thromboplères est gélatineux et ne contient pas de noyaux. Dans la plupart des thromboplères, le deutéroplasme est homogène (presque sans structure) et réfringent, rappelant de l’huile. C’est pourquoi les thromboplères ont été appelées « hyphes oléifères » pendant des décennies après que Fayod (1889) les eut baptisées ainsi. Les thromboplères complètement différenciées et presque totalement comblées par un deutéroplasme homogène sont probablement des hyphes mortes. Lorsqu’une telle hyphe est étirée passivement, comme lors de la croissance du stipe des agarics, le contenu de l’article se brise en petits fragments cylindriques, aux extrémités bien nettes et perpendiculaires à l’axe de l’hyphe, les fragments demeurent en place, maintenus par la paroi hyphale étirée (Fig. 4). On en conclut que le deutéroplasme n’est ni liquide ni dur et que sa consistance gélatineuse est responsable de la délimitation nette des fragments et de l’aspect de caillot que prend le deutéroplasme qui surgit d’une hyphe brisée (Fig. 5). Agaricus bisporus et Lactarius deterrimus sont des champignons chez lesquels on peut trouver des hyphes thromboplères, mais elles sont présentes chez de nombreuses espèces, surtout au niveau du pied.

Figure. 4. Hyphe thromboplère. Hyménium d’un Agaricus bisporus. L’étirement de l’hyphe a provoqué la fragmentation du deutéroplasme gélatineux. Celui-ci est maintenu en place par la paroi de l’hyphe qui n’est pas visible ici. Observation dans le rouge Congo SDS et la Phloxine B à 1000x. © Guy Fortin

 

 

Figure 5. Hyphe thromboplère. Trame lamellaire d’un Lactarius deterrimus. Le contenu gélatineux surgit par une déchirure dans la paroi de l’hyphe sous forme d’un fragment coagulé (flèche). Observation dans le rouge Congo SDS à 1000x. © Guy Fortin

 

Les hyphes des hyménomycètes

Tableau récapitulatif

 

Hyphe indifférenciée

  • Dans le mycélium = hyphe végétative
  • Dans le basidiome = hyphe génératrice

Hyphe différenciée

  1. hyphe sclérifiée
    •  hyphe squelettique (hyphe fibreuse)
      • hyphe squeletto-ligative
    • hyphe ligative (hyphe conjonctive, hyphe liante, hyphe collective)
      •  hyphe de type Bovista
    • hyphe de support (hyphe squelettoïde, hyphe génératrice à paroi épaissie)
  2. Hyphe de stockage
  3. Hyphe physaloïde (hyphe fondamentale de Fayot)
    • acrophysalide
    • sphérocyte
    • sphérocyste
  4. Hyphe gélifère
  5. Hyphe sécrétrice (son cytoplasme modifié s’appelle un deutéroplasme)

Hyphe sécrétrice

Terminologie conventionnelle :
  • hyphe laticifère ou lactifère
  • hyphe oléifère
  • hyphe gléoplère
  • hyphe coscinoïde
  • chrysovaisseaux
Terminologie moderne (en fonction de l’apparence du deutéroplasme) :
  • hyphe hydroplère
  • hyphe hétéroplère
    • hyphe gléoplère
    • hyphe laticifère
  • hyphe thromboplère
Notes:
  • Les préfixes : gloeo-, gloéo- et glio- deviennent gléo- comme dans gléoplère et gléocystide
  • Les hyphes laticifères incluent les « hyphes lactifères »
  • Les hyphes gléoplères diffèrent des laticifères uniquement par la quantité de
    deutéroplasme exsudé lorsqu’elles sont brisées.
  • Les hyphes thromboplères sont les « hyphes oléifères » de Fayod.

Glossaire

  • Anse d’anastomose : voir Boucle d’anastomose et Anse dangeardienne 
  • Anse dangeardienne : autre nom des boucles d’anastomose, décrites, entre autres, par le mycologue français Pierre Clément Augustin Dangeard (1862-1947). Voir Boucle d’anastomose
  • Basidiome : structure qui supporte l’hyménium produisant les basidiospores. Voir Sporophore
  • Biomasse : ensemble des matières organiques d’origine végétale, animale ou fongique
  • Boucle d’anastomose : petite structure latérale recourbée qui relie deux articles, au niveau du septum. On parle alors d’hyphes bouclées
  • Deutéroplasme : cytoplasme d’une hyphe sécrétrice
  • Hyménomycète : basidiomycète qui expose son hyménium à l’air libre lorsqu’il est rendu à maturité
  • Hyphe : mot d’origine grecque huphê (ὑφή) qui signifie tissu, filament
  • Hyphe génératrice : hyphe vivante, nucléée, septée, parfois bouclée, à paroi mince, qui constitue le tissu de base des basidiomes des champignons. Appelée hyphe végétative dans les mycéliums
  • Hyphe indifférenciée : hyphe qui constitue le matériel de base de tous les champignons. On les appelle hyphe végétative dans les mycéliums et hyphe génératrice dans les basidiomes.
  • Hyphes physaloïde (physalohyphes) : du grec physa– (φυσα) : vessie et –oides (οιδες) : qui ressemble à, semblable à
  • Hyphe végétative : hyphe indifférenciée qui forme le mycélium
  • Plectenchyme : contexte ou chair de tout champignon
  • Plectologie : étude du contexte (plectenchyme) des champignons, tout comme l’étude des tissus des animaux est appelée histologie
  • Sporophore : structure portant les spores chez les champignons supérieurs. Terme qui remplace : appareil fructifère, fructification, carpophore et sporocarpe

Remerciements

Nos remerciements à Roland Labbé pour ses conseils et sa lecture critique.

Références 

  • Clémençon, H. (2012). Cytology and Plectology of the Hymenomycetes (2e éd.). Stuttgart: J. Cramer
  • Largent, D., Johnson, D., Watling, R. (1977). How to Identify Mushrooms to Genus III: Microscopics Features. CA, É.-U.: Mad River Press Inc.
  • Moreau, P.-A. (2012). Hyphes et structures chez les Basidiomycota. Adapté de la séance de travaux pratiques de la SMNF, Lille, 10 juin 2012.
  • Labbé, Roland, Glossaire mycologique de Mycoquébec, consulté en octobre 2015.

* Ce texte est paru dans le Boletin de novembre 2015 Volume 62 Numéro 4

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