Morilles et morilleux

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Le cueilleur de morilles et les morilles : deux perspectives, deux destins

par Alain Victor

Le printemps québécois voit les jours défiler au rythme du lent éveil de sa nature, heureuse de sortir de sa torpeur hivernale. La jeune frondaison s’étire au soleil printanier. Le sol des forêts, à peine dégelé, incite la flore à se déployer pour gentiment accueillir l’arrivée des premières et timides chaleurs vernales.

Ce tableau bucolique est toutefois assombri par l’apparition d’un redoutable bipède qui sévit chaque printemps dans ces lieux féeriques… il s’agit de l’infâme cueilleur de morilles (c’est ainsi que le qualifient les morilles excédées).

Les cantilènes des elfes annonçant la pousse des mythiques ascomycètes (que voulez-vous, les elfes ne savent pas très bien chanter) titillent l’instinct du bipède mycophage et l’incitent à se diriger en catimini vers des lieux jalousement gardés secrets.

L’approche du lieu choisi se fait toujours avec circonspection; pas d’intrus à l’horizon… c’est bon, j’y vais, se dit la terreur des bonnets phrygiens (les morilles y ressemblent un peu) terrés dans les sous-bois, tout en modérant ses transports qui le talonnent pour l’encourager à aller plus vite … il entre dans le bois en marchant doucement… il ne faut surtout pas risquer d’alerter l’objet de sa convoitise. Vous riez?… regardez un cueilleur de morilles, on dirait qu’il marche avec des cailloux dans ses chaussures… on ne sait pas pourquoi, mais c’est ainsi que marche un vrai cueilleur.

L’alerte a été donnée par l’écureuil de service juché sur une branche à l’orée du bois. Les morilles savent que le quidam approche, elles se planquent. Vous riez?… c’est parce que vous n’avez jamais eu affaire à ces maîtres du camouflage.

Je crois d’ailleurs savoir ce que disent les mères morilles aux plus jeunes. Elles ouvrent d’abord très grands leurs asques pour mieux voir (c’est dur de regarder par un asque), elles regardent les jeunes et donnent les conseils qui leur permettront d’échapper au regard scrutateur des «morilleux»*. Grosso modo, voici ce qu’elles disent :

Collez-vous le plus possible sur une feuille morte de façon à ce que vues du dessus, les bipèdes ne puissent vous distinguer l’une de l’autre;
Si par malheur vous poussez sous des conifères, faites en sorte de pousser à travers des aiguilles mortes, car vos couleurs respectives se confondront et ne permettront pas de vous distinguer facilement;
Si vous poussez dans des fougères mortes, aucun souci, c’est là que, grâce à votre couleur, vous serez les moins visibles;
Si vous poussez dans des espaces verts, curieusement, vous ne serez pas faciles à détecter, car vous ressemblerez à des moignons d’arbustes coupés par les castors et en prime, les bipèdes ne semblent pas croire que vous pourriez pousser là;
Si vous poussez sur le dessus d’un talus, alors là vous êtes des candidates idéales au suicide;
Si vous poussez dans un potager ou dans un espace cultivé pour la décoration, vous êtes sûres de passer à la casserole et, sans méchanceté, vous devez être blondes… 

Revenons à nos moutons, enfin, à notre récit. Attention, il approche chuchotent les craintives morilles … claquements d’asques (elles n’ont pas de dents, alors elles font ce qu’elles peuvent…)… zut, il vient d’écraser le pépé… au moins, il n’a pas eu le temps de souffrir comme le tonton qui a eu la jambe coupée par un tranchant Opinel…

Celles qui ont échappé à la grande faucheuse, savent que leurs tracas ne sont pas finis, car un cueilleur consciencieux sait qu’il en a obligatoirement oubliées et il reviendra sur ses pas pour terminer la besogne.

Le cueilleur est toujours surpris de voir le nombre de morilles qui ont échappé à sa vigilance lorsqu’il revient sur ses pas. La nouvelle perspective lui en fait découvrir quelques-unes de plus, et il se demande toujours comment elles s’étaient dérobées à son regard.

Horreur!… le bruit typique de quelqu’un qui fourrage non loin est perçu par l’oreille aguerrie et toujours aux aguets du cueilleur… Non, pas un autre cueilleur dans «ma» talle se murmure-t-il dans l’autre oreille… Une ombre se profile à travers les branches, s’approche, se redresse et semble se tourner vers lui… Zut! Je suis repéré se dit-il amèrement…L’ombre est maintenant plus distincte et clairement aux aguets elle aussi. Mais qu’est-ce que je vais lui dire? Que je suis ornithologue? Que je suis perdu? Je ne peux pas lui dire que je suis en beau joual vert quand même et encore moins que je cueille des morilles?… Mais…mais… ouf!… Ce n’est qu’un ours!… Quel soulagement!

Notre cueilleur effectue un repli stratégique et s’éloigne de sa talle tandis que les morilles rescapées se relaxent enfin les asques, et exigent des elfes qu’ils apprennent à chanter convenablement de sorte que leur hymne au printemps ne soit plus perçu comme le son du glas pour elles.

Quant au cueilleur, il a simplement hâte à la prochaine fois et il rêve de découvrir une talle encore plus grande, car le rêve du morilleux est très simple : encore plus de morilles…

Son butin bien caché (un vrai morilleux n’exhibe jamais les fruits de sa passion) et la distance entre lui et sa talle s’accroissant, il se met à penser, l’ours, quelle chance, lorsqu’il m’a chassé il a marché dans mes pas… pas besoin d’effacer mes traces bin là j’exagère quand même… meuh non… à peine un peu… (Le morilleux se parle beaucoup, alors je vais l’arrêter, car il ne le fera pas de lui-même)… au fait, n’aurais-je pas dû avoir peur? continue-t-il de se dire… je vous l’ai dit, il est intarissable et en plus, son état extatique obnubile ses pensées d’un brouillard empreint d’un sentiment de tranquille quiétude de sorte que même un ours enragé se dit en l’observant: pourquoi ne fait-il pas comme les autres, c’est-à-dire déguerpir ventre à terre? (mon ours s’exprime très bien)… la nature reprenant très vite ses droits, l’ours de sagement conclure (dans son dialecte vernaculaire), Yé fou!… Ce qui reflète assez bien la réalité dans le fond…

Notre dangereux bimane s’éloigne du pas du conquérant qui vient de terrasser son adversaire, sa silhouette s’estompe petit à petit derrière les jeunes pousses des trembles papillonnant au gré du faible vent annonçant le crépuscule, et les morilles rescapées se préparent à sporuler convenablement pour assurer la pérennité de leur merveilleuse, mais tant convoitée espèce.Image4

Tels sont les destins et perspectives des deux entités complémentaires vus par la lunette d’un invétéré morilleux. Par respect pour nos bien-aimés ascomycètes, j’ajouterais que l’avis des morilles étant très difficile à obtenir, les paroles qui leur sont attribuées sont le fruit de l’imagination du cueilleur.

*Je vais devoir écrire à Larousse pour qu’il rajoute ce terme qui, à mon humble avis, s’inscrit dans la même lignée que violoneux.

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4 Responses

  1. Alain Poitras

    On ne peut dire on conter avec plus de réalisme !
    C,est vraiment beau , toutes mes félicitations !
    Alain Poitras

    • Line Ayotte Membre CMAQ

      Textes savoureux sans contredit… il n’y a pas à dire, la morille vous inspire Monsieur le Morilleux!

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