Le mécanisme d’éjection des spores des hyménomycètes

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par Guy Fortin

avec la collaboration de Johanne Paquin.

Les spores des hyménomycètes s’expulsent activement des basides. Ces basidiospores sont situées sur un hyménium exposé à l’air libre à maturité. Après s’être éjectées, elles décrivent une trajectoire appelée sporabole et on les appelle balistospores. Plusieurs structures sont impliquées dans le processus d’éjection d’une basidiospore : le basidiome, l’hyménium, la baside, le stérigmate, le hile et l’apophyse (Fig. 1).

Le basidiome

Le basidiome ou sporophore est la fructification des basidiomycètes. Il supporte l’hyménium, la surface fertile qui produit les basidiospores.

Certains champignons refroidissent leur basidiome par évaporation pour provoquer une condensation sur les spores qui obtiennent ainsi l’humidité nécessaire au mécanisme d’éjection. Ce qui peut expliquer la pratique qu’ont les mycologues d’expérience de forcer la sporulation de leurs champignons en les soumettant à une alternance de température froide et chaude, par exemple du réfrigérateur à l’air ambiant, ce qui aurait, si l’humidité ambiante est suffisante, pour conséquence de provoquer sur l’hyménium, la condensation nécessaire au déclenchement du mécanisme d’éjection des spores (Fig. 2).

Fig. 2 Basidiomes de Tubaria confragosa. ©Guy Fortin

L’hyménium

L’hyménium est la surface fertile d’un basidiome. Il est formé d’articles terminaux spécialisés du mycélium secondaire qui servent à la production de basidiospores, au support ou à la protection : basidioles, basides, cheilo- et pleurocystides.

Chez les agarics, les bolets et les polypores, les basides occupent une position presque horizontale sur le basidiome, les spores sont éjectées horizontalement. Après une trajectoire de 100 à 300 µm, d’une durée de 2 à 3 msec, le vol horizontal s’arrête et les spores commencent à sédimenter à un rythme d’environ 5 mm/sec.

Dans la réalité, les spores ne sont pas éjectées tout à fait horizontalement et la distance horizontale qu’elles parcourent varie en fonction de leur angle de départ. De même, à la base des lames, là où l’espace entre deux lames est plus étroit, l’hyménium prend une forme en dôme et les spores sont éjectées vers le bas (Fig. 3).

Fig. 3. Détail d’une région de l’hyménium située près du dôme lamellaire. La trajectoire des spores s’appelle sporabole et les spores qui s’éjectent activement s’appellent balistospores.

La baside

La baside est l’article terminal fertile qui produit les basidiospores. Son contenu est sous tension et elle soutient le stérigmate et la spore pendant l’éjection de celle-ci. Cette tension de turgescence est due à une grosse vacuole remplie de liquide qui pousse sur la paroi de la baside à la façon de l’eau gazeuse qui donne sa rigidité à la bouteille de plastique. Cette vacuole apparaît à la base de la baside et en se développant agit comme un piston qui « pousse » le cytoplasme dans les spores, laissant après l’éjection de celles-ci, une baside vide qui donne une image de « vide optique » à la microscopie optique (fig. 4).

Fig. 4. Une baside typique à maturité.

Le stérigmate

Pendant la croissance de la baside, les stérigmates bourgeonnent sur son apex à des endroits prédéterminés.  Ce bourgeonnement se fait par perforation de la paroi de la baside et non par simple extension de sa paroi. Juste avant l’éjection de la spore, un bouchon se forme qui bloque la paroi sporale au niveau du hile de la spore et un autre bouchon se forme qui bloque la partie supérieure du stérigmate. Ce deuxième bouchon à l’apex du stérigmate  prend le Rouge Congo et devient parfois visible au microscope optique (Fig. 5). Entre les deux bouchons, un septum se forme qui constitue le point de rupture entre la spore et le stérigmate.

Fig. 5. Une baside bisporée de Leucocoprinus birnbaumii. La flèche de gauche pointe vers le bouchon qui s’est formé à l’extrémité du stérigmate après que la spore se soit éjectée. La flèche de droite pointe vers le point de rupture de la paroi de la baside perforée par la croissance du stérigmate.

Le stérigmate participe passivement au processus d’éjection à la façon d’une « base de lancement ». Il doit sa rigidité, non pas à la solidité de ses parois, mais à une forte tension de turgescence interne de la baside.

Même si la majorité des basides des hyménomycètes produisent quatre stérigmates, leur nombre peut varier de un à huit. Les basides à deux stérigmates ne sont pas rares. L’Agaricus bisporus est le champignon à deux stérigmates le plus fréquent, on trouve aussi dans ce champignon des basides à un ou trois stérigmates et au moins deux variants à quatre stérigmates. Les basides avec cinq à huit stérigmates sont très rares chez les hyménomycètes, mais Cantharellus cibarius a, en général, des basides à quatre ou six stérigmates. On y rencontre aussi parfois des basides ayant entre deux et huit stérigmates. Plusieurs hyménomycètes ont régulièrement quelques basides bisporées dispersées parmi les tétrasporées.

 

L’apophyse, le hile et l’appendice hilaire

L’apophyse est un petit corps sphérique qui se développe à l’apex d’un stérigmate. Il est d’abord posé symétriquement sur le stérigmate, mais rapidement prend une position asymétrique et se développe principalement du côté extérieur au grand axe de la baside. Il formera une basidiospore (Fig. 6). L’étroite région où la spore est attachée au stérigmate est appelée hile. C’est à cet endroit que la spore se détachera éventuellement du stérigmate et laissera une cicatrice sur la paroi de la spore. La partie de l’apophyse qui se développe très peu et qui sera éjectée avec la spore deviendra l’appendice hilaire ou apicule (Fig. 7), c’est à cet endroit que se développera la goutte apiculaire ou goutte de Buller impliquée dans le processus d’éjection de la spore.

Fig. 6. Une basidiospore posée sur un stérigmate. Elle s’est développée à partir de l’apophyse, du côté abaxial de la baside. Les flèches indiquent la direction de son développement, d’abord presque perpendiculaire au stérigmate pour devenir rapidement presque parallèle à celui-ci.

 

 

Fig. 7. Détail de la jonction spore-stérigmate. En rouge, le bouchon qui obstruera le stérigmate après l’éjection de la spore. Le hile est l’étroit point de rattachement de la spore au stérigmate. C’est à cet endroit que le lien entre la spore et le stérigmate sera rompu lors de l’éjection de la spore. L’apophyse est un bourgeonnement d’abord sphérique qui s’est développé à l’apex du stérigmate. Elle se développera considérablement du côté abaxial de la baside pour former une basidiospore (flèche bleue). Du côté adaxial, l’apophyse se développera très peu. Cette région sera éjectée avec la spore (flèche blanche). Avec le hile, elle formera l’appendice hilaire ou apicule.

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Comment s’éjectent les basidiospores

Pendant la maturation de la spore, il se forme, à l’intérieur de l’apicule, une zone composée d’un concentré gélatineux hydrophile (principalement du mannitol et du glycérol), qui absorbe l’humidité ambiante et qui deviendra la goutte apiculaire ou goutte de Buller ( Fig. 8).

Fig. 8. Étapes du processus d’éjection des spores des hyménomycètes. A : une spore qui s’est développée à l’apex d’un stérigmate. Son centre de masse est indiqué par un point clair. B : la goutte de Buller ou goutte apiculaire (bleu foncé) et la goutte adaxiale (bleu clair) ont commencé à se développer déplaçant le centre de masse vers la région inférieure de la spore. C : les deux gouttes sont rendues à leur pleine expansion et le centre de masse s’est encore approché de la base de spore. D : les gouttes fusionnent, le centre de masse est près de la base de la spore. E : l’étalement presque instantané des deux gouttes sur toute la surface de la spore entraîne un déplacement rapide du centre de masse de la spore qui acquiert de l’énergie cinétique dirigée dans le sens du déplacement du centre de masse, ce qui exerce simultanément une force opposée dirigée vers l’apicule et provoque l’éjection de la spore.

 

La goutte apiculaire prend environ 3 heures pour atteindre un diamètre moyen de 0,6 µm. Elle reste plusieurs heures dans cet état pendant que la paroi externe de l’apicule, située en regard de la goutte, se dissout lentement.

Dès que la paroi est dissoute, le contenu hygroscopique de la goutte apiculaire absorbe très rapidement l’eau de l’air ambiant et son volume atteint un diamètre moyen de 3 µm en 5 à 30 secondes selon l’espèce. L’augmentation de la masse de la goutte apiculaire déplace le centre de gravité de l’ensemble spore-goutte vers l’apicule.

Pendant ce temps, à l’autre extrémité de la spore, par condensation de l’humidité ambiante, la surface de la spore se couvre d’une couche de liquide qui forme une deuxième goutte, la goutte adaxiale, qui progresse vers le bas à mesure qu’elle grossit.

Dès qu’elles entrent en contact, les deux gouttes fusionnent instantanément et leur masse combinée se répand rapidement sur la surface de la spore en s’éloignant de l’apicule et en déplaçant le centre de gravité de la spore dans le même sens. Le système spore-goutte acquiert de l’énergie cinétique dirigée dans le même sens, ce qui exerce simultanément une force opposée dirigée vers l’apicule et le stérigmate rompant le lien fragile qui unit la spore au stérigmate au niveau du hile. Tout ceci se produit en environ 1 µsec pendant laquelle la spore s’éjecte avec une vélocité de 30 à 60 cm/sec et une accélération de départ qui varie de 32,400 m/s2 à 140,000 m/s2 (3,240 g à 14,000 g). Certains auteurs avancent même jusqu’à 25,000 g.

Glossaire

  • Abaxial : indique ce qui est orienté en direction opposée à l’axe d’une structure ou opposé à sa face ventrale ou interne
  • Adaxial : indique ce qui est orienté vers l’axe d’une structure ou vers sa face ventrale ou interne
  • Balistospore : spore qui s’éjecte activement grâce à un mécanisme de catapulte initié par la formation de la goutte de Buller
  • Sporabole : trajectoire que suit une spore après s’être éjectée de la baside

Références

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Merci à Roland Labbé et Jacques Landry pour leur aide.

 

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